Chapitre 13

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J'entendais toutes les paroles de mon Adélaïde et toutes les prières de ma Marie. Je les observais. Elles étaient fatiguées. De grosses cernes, des yeux rougis et des traits tirés caractérisaient leurs magnifiques visages. Elles demeuraient tellement belles. Tout était ma faute, je m'en voulais terriblement.

J'avais la désagréable impression qu'un sadique avait pris plaisir à m'accrocher au plafond de la chambre pour me torturer ou me sacrifier.

Je flottais au dessus du lit. Mon âme semblait s'être dissociée de mon corps. Aucune douleur, je ne ressentais même pas le poids de mon corps. Un bien être absolu et inédit.

Il y avait comme une force étrange, inconnue, qui me tenait isolé de la réalité, du monde des vivants. Je me regardais allonger sur ce lit d'hôpital et je voyais un corps inconnu, absent de vie. Je réunissais toutes mes forces et ma concentration pour rejoindre ce corps sans vie mais cette force surpuissante m'en empêchait. Je tentais de saisir ma main froide et inerte. Je retentais, encore et encore, en vain.

Je hurlais sans cesse en mon fort intérieur:

«Pourquoi, laisse-moi, rends-moi mon corps et ma famille»

puis plus rien, le noir, le néant et de nouveau des douleurs atroces, des efforts inouïs pour continuer de respirer, pour faire battre mon cœur.

Durant l'une de ces phases d'état second ou d'extase, je les avais surnommées ainsi, je me revois survolant une immense prairie s'étendant à l'infinie. Je découvrais la sensation de voler, le fantasme de toute une humanité.

Soudain, je ressentis comme une brûlure ou un électrochoc en moi. J'étais de retour dans la réalité, dans ma chambre d'hôpital. Chaque rupture de ces phases étaient terriblement douloureuses et éprouvantes.

Il était là, assis près de moi.

Je le reconnus immédiatement, ce même petit garçon de l'accident. Il me tenait la main.

«C'est donc toi qui a interrompu mon moment d'extase» murmurais-je.

Il me tira hors de la chambre. Je réalisais que s'il me lâchait la main à ce moment précis, je m'envolerais vers l'inconnu. Je disparaîtrais pour l'éternité, tel un astronaute disparaissant dans un univers sans limites.

Nous errions dans les longs couloirs clairs et aveuglants de l'hôpital. Il stoppa devant la porte de la chambre 359. Sans mot dire, j'ouvris la porte de la chambre et nous y sommes entrés.

Le petit garçon s'assit sur le lit et me fit signe d'approcher. Un autre enfant était allongé sur le lit. Son visage, tout comme le mien, était à peine visible derrière un nombre incroyable de tubes dans la bouche et dans le nez. Il paraissait dormir. Il était âgé approximativement d'une dizaine d'années. Le petit garçon me prit la main et la  déposa sur celle de l'enfant allongé.

Un éclair m'aveugla totalement. Je me retrouva au centre d'une pièce qui m'était inconnue. Soudain la porte derrière moi vola en éclat. Un individu, de petite taille, trapu, à lunettes et dégarni, apparut. Il portait un enfant dans ses bras. Il le jeta violemment au sol. 

Il s'agenouilla à ses côtés et porta ses mains autour de la frêle gorge de l'enfant. Il serrait si fort que je parvins à discerner de timides craquements.

Il cria au gamin:

«Tu as tout vu, tu dois mourir».

Je me pencha vers l'individu pour l'empêcher de commettre ce crime. Je vis alors la détresse sur le visage de l'enfant, celui de la chambre 359. Ses yeux rougis exprimaient l'innocence affrontant le pire des monstres. Je tenta à plusieurs reprises d'agripper l'individu mais je ne distinguais même pas mes mains. Elles étaient comme transparentes et semblaient s'enfoncer dans le corps de cet homme. Je ne pouvais rien faire, un sentiment d'impuissance m'envahit et une profonde frustration commença à me brûler de l'intérieur.

Immédiatement, je fus de retour au chevet du petit garçon allongé sur son lit d'hôpital.

Je souffrais tellement. Pas une souffrance physique mais une souffrance profonde, déchirante. Un monde sans aucune pitié, sans amour, des actes inimaginables commis à nos enfants. Je pleurais des larmes de sang.

RosarioOù les histoires vivent. Découvrez maintenant