J'avais effectivement pris l'initiative de contacter les forces de police pour donner le signalement. Un agent m'avait précisé qu'un inspecteur me recontacterait pour plus de précisions concernant l'individu.
Je voyais dans les yeux de Marie une inquiétude grandissante.
Je décrocha le combiné. Une voix rauque, souillée par le tabac et l'alcool me questionna:
- «Monsieur Pereira, bonjour inspecteur Gonzalez de la judiciaire, excusez moi de vous rappeler si tardivement mais j'étais en intervention extérieure toute la journée»
- «Bonjour inspecteur, merci de me rappeler»
- «Pourrions-nous nous voir demain pour avoir plus de détails sur le signalement de cet individu que vous avez aperçu au parc de Montfleur?»
Je compris rapidement qu'il ne pouvait pas prendre ma déposition par téléphone.
Et la, je pensais à la longue journée de travail qui m'attendait demain. En effet, j'avais quitté depuis maintenant plus d'un an cet enfer de magasin. J'occupais depuis un poste de chauffeur poids lourd. Je conduisais mon camion avec un tel plaisir, comparable à un gamin qui apprend tout juste à pédaler et qui ne veut plus s'arrêter. Je débutais à l'aube ma tournée et à 16h30 je devais aller récupérer ma puce à l' école.
Tout allait très vite dans ma tête et l'inspecteur, me sentant hésitant et sans réponse immédiate, me précisa:
- «Si cela vous arrange je peux me déplacer à votre domicile pour approfondir votre déposition?»
- «On peut se dire 18h30 inspecteur si cela vous convient?»
Ce qui me laissait le temps de déposer ma princesse chez la nounou et de pousser de la fonte pendant au moins une heure.
Quelques secondes silencieuses s'écoulaient et je compris qu'il réfléchissait à son emploi du temps.
- «Parfait pour moi monsieur Pereira à demain alors»
Immédiatement une angoissante me traversa pensée l'esprit.
- «Inspecteur, personne aujourd'hui n'a signalé la disparition d'un enfant?»
- «Non pas à ma connaissance, pourquoi?» me demanda l'inspecteur d'un ton beaucoup plus ferme.
- «Juste une crainte inspecteur, je suis soulagé, je vous remercie à demain»
Ce fut la fin de cette discussion tardive et nous eûmes des difficultés Marie et moi à nous détendre et à dormir sereinement. La nuit fut longue.
Quand la sonnette retentit, Adélaïde concentrée dans son dessin animé me jeta un regard du coin de l'œil, elle ne voulait surtout pas être dérangée maintenant.
- «Bonjour monsieur Pereira, inspecteur Gonzalez de la police judiciaire»
Il me présenta une carte de police écornée avec une photo vieillissante. L'inspecteur était un homme de petite taille vêtu d'un hideux costume en velours marron. Ses cheveux décoiffés et une barbe grisonnante non entretenue négligeait fortement son apparence. Il avait des traits tirés et une fatigue apparente, solidement installée.
- «Bonjour inspecteur donnez vous la peine d'entrer»
Adelaïde, comme souvent face à un inconnu, courut vers moi pour que je la prenne dans les bras. Elle fixait l'inspecteur très discrètement du coin de l'œil fuyant son regard.
- «Qu'elle est mignonne quelle âge a t elle?»
- «Elle vient d'avoir 4 ans»
Soudainement l'inspecteur, le regard vide, eu une absence de quelques secondes. Je lui demanda si tout allait bien. Il ne me répondit pas.
Il prit la peine de me demander s'il pouvait enregistrer sur son vieux magnétophone ma déposition. J'acquiesça de la tête.
L'interrogatoire commença alors:
- «L'individu portait un jogging noir avec un sweat à capuche noir. Son visage était masqué par des lunettes de soleil. Il mesurait dans les 1m80 et avait à vu d'œil entre 35 et 40 ans»
- «Comment pouvez vous avancer qu'il avait un comportement étrange et qu'il observait avec insistance les enfants?»
Je sentis une pointe d'arrogance et d'ironie dans la formulation de la question de l'inspecteur mais je resta stoïque dans mes propos.
- «Et bien, il changea à plusieurs reprises de bancs et il paraissait essayer d'écouter les discussions des différentes personnes. je l'ai beaucoup observé, j'étais en retrait invisible à ses yeux. Mais ce qui m'a le plus troublé est le moment où il sortit son téléphone portable de sa poche pour prendre des photos ou une vidéo des enfants»
- «L'aviez vous déjà vu précédemment?»
- «Absolument pas. A 16h55, il quitta le parc emboitant le pas à une dame et son enfant. Il partit dans la même direction. Je ne peux pas vous dire s'il les pourchassait ou pas»
Je vis alors l'inspecteur froncer les sourcils.
- «Connaissez-vous cette dame?»
- «Non je ne la connais pas mais je l'ai déjà vu plusieurs fois au parc»
- «Pourriez vous me donner le signalement de cette personne si vous la recroisez une prochaine fois?»
L'idée d'assister un inspecteur de police dans un tant soit peu dans une enquête de police me procurait un fort sentiment de responsabilité et d'excitation. Paradoxalement, j'avais également terriblement peur.
- «Bien sur inspecteur, je m'y rends très souvent avec Adélaïde après l'école. Je passerai demain et vous tiendrai informer si je croise cette dame»
- «Merci monsieur Pereira. Je vous laisse ma carte de visite avec mes coordonnées et si vous avez d'autres éléments qui vous viennent en tête, n'hésitez pas à me contacter»
Sur le point de franchir la porte d'entrée, l'inspecteur fixa avec insistance Adélaïde assise sur le canapé et il eut de nouveau comme une absence. Je lui demanda de nouveau s'il y avait un problème et c'est alors qu'il me glissa discrètement une remarque qui me glaça le sang, comme quand on vous annonce une terrible maladie ou un accident.
- «Rosario mon petit fils avait 4 ans comme votre fille quand on me l'a enlevé pour toujours»
Et il sortit. Sans pouvoir prononcer le moindre mot, je repensais à ses derniers propos. Une souffrance inexprimable était visible dans ses yeux.
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Rosario
Mystery / ThrillerUn honnête père de famille est victime d'un étrange accident de la circulation. Il est plongé dans le coma et fait alors une mystérieuse rencontre surnaturelle. A son réveil, il constate à plusieurs reprises, qu'il est doté d'un pouvoir terrifiant. ...