— Supprime la photo, déclara solennellement Ariel en faisant face à Eli.
Il était passé 23h quand ils étaient montés dans leur chambre, à la suite des parents d'Eli. Alexandre et sa conjointe Amélie étaient allés se coucher bien avant eux. Ariel s'imaginait qu'avoir trois filles âgées entre cinq et deux ans devait tirer du jus.
Une fois passée la honte qu'Eli lui avait infligée, la soirée s'était étonnement bien déroulée. Dans l'ensemble, ça valait bien un 6 sur 10. Elle enlevait un point parce qu'Eli lui avait donné envie de se terrer sous la table quand il avait raconté ce monstrueux mensonge à sa mère. Et aussi parce qu'Alexandre les avaient surpris dans la position la plus compromettante qu'ils auraient pu avoir en public.
Il était hors de question que son ami envoie d'affreuses photos à ses sœurs par-dessus le marché.
— Je l'aime bien, moi, cette photo, dit Eli en sortant son cellulaire de la poche arrière de son jeans. J'aimerais la garder.
Devinant ses intentions, il écarta son bras, mais Ariel lui attrapa fermement le poignet.
— Eli. Donne. Moi. Ça.
De son autre main, elle tira sur le cellulaire.
— Arrête, c'est ma photo préférée de toi! protesta Eli.
Contre toute attente, Ariel réussit à lui arracher l'objet convoité des mains. Prise dans son élan, elle fit un pas en arrière, se cogna les mollets contre le lit et tomba à la renverse sur le matelas.
— Hé, attention! S'exclama Eli en voyant le cellulaire lui glisser de la main.
Ariel eut le souffle coupé quand il s'écrasa de tout son long sur elle pour rattraper le téléphone. Son bras droit était coincé sous celui de son ami, dans une position inconfortable. La sensation d'un corps d'homme sur le sien ne lui était pas étrangère, mais que cet homme soit Eli, ça, c'était nouveau.
— Eli, tu m'écrases, articula Ariel en lui tapotant le dos pour qu'il s'écarte.
Alors qu'elle parlait, elle se rendit que le chandail d'Eli avait remonté sur ses hanches et que sa main était directement sur sa peau. C'était chaud et doux et Ariel fut terriblement tenté de faire courir la pulpe de ses doigts sur cette petite zone de peau à découvert.
Eli et elle échangèrent un regard interdit, mais aucun des deux n'osa bouger. Les mèches de cheveux d'Eli lui chatouillaient la joue. La main d'Ariel était toujours dans le creux de son dos et le torse d'Eli continuait de lui comprimer les seins et le ventre et... Eh, merde.
Eli se releva vivement, mais pas avant qu'Ariel ait senti son érection contre elle. Le visage empourpré, il quitta la chambre sans un mot. Ariel s'assit sur le lit et remarqua qu'elle avait le téléphone d'Eli en main. Elle le regarda pendant un long moment, encore confuse, avant de penser à effacer la photo compromettante.
Lorsqu'Eli revint dans la chambre, cinq minutes plus tard, Ariel était en pyjama, sous les couvertures et la lumière était fermée. Elle se fit violence pour ne pas tourner la tête quand elle entendit ses vêtements qui tombaient sur le sol. Le bruissement des draps sur sa peau. Le grincement du matelas lorsqu'Eli s'y allongea. Le silence.
— Pour ta gouverne, commença Eli sur la défensive alors qu'Ariel n'avait encore rien dit, j'ai 22 ans et mon corps réagit normalement quand il y a une fille allongée sous moi.
— J'en suis flattée. Ça faisait longtemps que j'avais pas fait bandé un gars.
Ariel avait essayé de répondre sur le ton le plus indifférent qu'elle pouvait, mais elle se mordait la lèvre pour ne pas se mettre à glousser comme une petite fille qui avait entendu le mot « pénis ».
— Ariel, s'il te plaît, est-ce qu'on pourrait ne jamais reparler de ça?
— Reparler de quoi? De ta fusée prête au décollage?
Cette fois un gloussement semblable à un couinement de souris lui échappa. Eli soupira d'agacement.
— Sérieux?
— Ok, ok, je me calme, le rassura Ariel.
Elle prit une grande inspiration et expira un souffle que les tressautements dans son ventre rendaient tremblotant. Il fallait immédiatement changer de sujet, sinon elle allait exploser de rire et réveiller tout le monde.
— C'est vrai ce que tu as dit tout à l'heure? Demanda-t-elle en retrouvant son sérieux. Que tu es venu t'asseoir à côté de moi en cours de philo parce que je te plaisais?
Elle tourna la tête dans un froissement de draps et de cheveux. Eli était allongé sur le dos, les yeux rivés au plafond.
— Oui.
Coup au coeur. Ariel se redressa sur un coude.
— Pourquoi tu m'en as pas parlé avant?
— Tu étais en couple quand on s'est rencontré. Est-ce que ça aurait changé quoi que ce soit que je t'avoue avoir un béguin pour toi?
Nouveau coup au coeur. Plus fort cette fois. Respire, Ariel. Respire.
Elle eut envie de répondre la réponse facile : qu'elle ne savait pas. Mais un souvenir lui revint en mémoire, la freinant dans son élan.
Max. Max détestait Eli. Il l'avait détesté dès l'instant où il les avait vus dîner ensemble à la cafétéria du cégep. Il l'avait détesté pour étudier aussi souvent avec Ariel. Il l'avait détesté pour que son nom soit tout le temps à la bouche d'Ariel. Mais c'était Ariel que Max avait détesté quand il avait appris qu'elle avait dragué et embrassé Eli à un party de fin de session alors qu'elle était saoule. Ariel n'avait pas gardé de souvenir de cet évènement qui avait signé la mort de son couple. Même qu'Eli et elle ne s'en étaient jamais parlé. Comment aurait-elle réagi si Eli avait voulu sortir avec elle à ce moment-là? Ça aurait-il changé quoi que ce soit?
— Peut-être, répondit Ariel après un long moment. C'est un peu difficile d'imaginer ce que notre relation aurait pu être cinq ans plus tôt.
Eli tourna son visage vers elle. Dans la noirceur, Ariel distinguait mal ses traits.
— J'ai pas de regret, tu sais. On serait sûrement pas amis aujourd'hui si on était sortis ensemble.
— Tu as raison.
Un court silence s'installa entre eux et Ariel sentit à nouveau un ricanement incontrôlable lui monter à la gorge.
— En fait, tout ce que tu voulais, commença-t-elle d'une voix congestionnée, c'était un ticket première classe pour prendre l'Ariel-express.
— Ari, tu me sors encore une de tes analogies à la con et tu vas dormir en bas.
Eli tentait de parler d'un ton sévère, mais le tressautement dans sa voix le trahit. Ils se regardèrent et explosèrent d'un rire silencieux.
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Les anges de neige n'aiment pas voler
Roman d'amourEli et Ariel retournent à Québec pour les Fêtes. Eli vient de rater une audition pour sa maîtrise en musique et il est inquiet de l'annoncer à ses parents qui espèrent voir leur fils se trouver enfin un vrai travail. Pour Ariel, le temps des Fêtes...