Chapitre 20 - Eli

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Camille ne pleura pas très longtemps. Le chandail d'Eli était humide là où la joue de sa nièce était appuyée. Il ne savait pas s'il s'agissait de larmes ou de bave. Camille froissait son col dans ses petits poings et Eli caressait doucement ses cheveux fins, là où elle s'était cognée sur la table.

Ariel descendit au rez-de-chaussée peu de temps après. Elle portait son coton ouaté à l'effigie de l'université de Montréal et avait une tête de déterrée. Leur regard se rencontra et ses joues rosirent. Jamais, au grand jamais, Eli n'avait vu Ariel rougir simplement parce qu'ils se regardaient. Il ne savait pas très bien comment il devait prendre cette réaction. De plus, Ariel paraissait sur le point de pleurer.

Elle détourna la tête, ravalant son émotion. Ce n'était pas la première fois qu'Eli la voyait agir ainsi, mais ce fut la première fois où ça le mit en rogne.

— Est-ce que Camille t'a réveillée? Demanda-t-il simplement pour la forcer à le regarder.

— Non, c'est...

Elle fit un vague mouvement en direction de sa poitrine, effleurant à peine Eli du regard.

— Peu importe.

Ariel salua Sarah avec un sourire qui parut extrêmement forcé à Eli. Il la regarda se verser une tasse de café, en boire de longues gorgées et la remplir à nouveau. Un comportement inhabituel pour Ariel qui ne buvait jamais de café en dehors des semaines d'examens.

Camille avait recommencé à s'intéresser à la nourriture et s'étirait de tout son long pour attraper l'assiette de raisins, debout sur les cuisses de son oncle. Ariel se laissa lourdement tomber sur une chaise, à l'autre bout de la table, et poussa l'assiette vers elle sans un mot.

Peut-être qu'Ariel avait choisi sa place au hasard. Peut-être que ça n'avait pas été dans son intention d'être aussi loin d'Eli que possible. Ça l'attrista tout de même. Il but une gorgée de café pour se donner contenance.

— Eh boy, souligna Sarah en servant du chocolat chaud à Béatrice. Ça va, vous deux?

— Hum-hum...

Ils avaient répondu en même temps, exactement sur le même ton. Lorsque leur regard se croisa au-dessus de la table, il était dénué de leur complicité habituelle. Ça lui fit mal dans le ventre. Ariel baissa aussitôt les yeux et s'absorba dans la vue passionnante qu'offrait son cellulaire éteint.

Eli ne regrettait pas ce qu'il lui avait dit, hier soir. Il regrettait seulement que ça se soit passé de cette façon.


L'avant-midi parut très lourd à Eli malgré l'ambiance conviviale. Ariel et lui se tenaient côte à côte pour faire bonne figure, mais Eli avait l'impression qu'ils étaient aussi éloignés l'un de l'autre qu'ils pouvaient l'être. Malgré les efforts d'Ariel pour paraître comme si tout allait bien, elle avait commencé un drôle de tic nerveux qui consistait à sortir son cellulaire toutes les cinq minutes. Eli se demandait si elle attendait un message d'une de ses sœurs ou de sa mère. Il voyait bien, du coin de l'œil, qu'elle n'avait aucune notification, ce qui ne la décourageait pas à regarder à nouveau un peu plus tard. En temps normal, il lui aurait offert tout le support moral qu'elle avait besoin. À présent, il ne savait plus comment se comporter avec elle. Comme si un lien s'était brisé entre eux la veille au soir.

Lorsque Sarah intercepta Eli à l'étage, après le dîner, il eut l'impression d'être tombé dans un guet-apens.

— Je vais me mêler de ce qui me regarde pas, annonça sa sœur sans aucun détour. Est-ce que tout va bien entre Ariel et toi? Vous vous êtes à peine regardé depuis ce matin alors que vous êtes comme deux doigts de la main, d'habitude.

Eli se mordilla la langue, hésitant. Noël n'était pas passé, est-ce qu'il devait encore prétendre être en couple avec son amie? Puis, il songea que si Ariel avait dit la vérité à sa sœur, il pouvait bien faire pareil avec la sienne. Il pesa bien ses mots avant de parler.

— Qu'est-ce que tu ferais si ton meilleur ami et toi décidiez de vous faire passer pour un couple durant les Fêtes et que tu réalisais en cours de route que, finalement, tu aurais envie d'être avec cette personne pour vrai?

Eli ne put s'empêcher de se demander si Ariel s'était senti comme lui au moment de dire la vérité à Myriam. Il avait le cœur débattant et se sentait d'une bêtise sans nom.

— Toi et Ariel?! S'écria Sarah à voix basse pour ne pas attirer l'attention des autres en bas.

Les joues brûlantes de honte d'Eli étaient plus parlantes que les mots. La surprise de Sarah se changea alors en pitié, ce qui était bien pire.

— Oh Eli, qu'est-ce qui t'a pris? Faire semblant d'être en couple? Mais à quel point c'est pathétique.

Eli se sentit rougir davantage, si c'était possible.

— Est-ce que tu es malheureux? Parce que maman et papa pourraient te payer un psy si tu juges que tu en as besoin.

— J'ai pas besoin de voir un psy, protesta Eli bien que sa révélation mettait en doute son équilibre mental.

— Si je résume, tu veux être en couple avec Ariel et elle veut pas. C'est bien ça?

— En fait, commença Eli sur un ton hésitant, c'est pas très clair ce qu'elle veut.

Sarah poussa un profond soupir et coinça derrière son oreille une mèche blonde qui s'était déposée devant son visage.

— Écoute Eli, je vais te donner un conseil de grande sœur pour sauver ta relation avec Ariel parce que toute cette histoire est beaucoup trop mélodramatique.

Elle fit une pause étudiée avant de reprendre, lapidaire :

— Parlez-vous, câlisse.

Les anges de neige n'aiment pas volerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant