Chapitre 22 - Eli

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Ils étaient en route depuis une quinzaine de minutes et aucun d'eux n'avaient dit un mot depuis. Eli jetait régulièrement des coups d'œil à Ariel pour voir comment elle allait. Depuis le début du trajet, elle avait le front appuyé contre la fenêtre et regardait les arbres défiler le long de la route. Sa tuque était enfoncée sur sa tête, mais elle n'avait pas rattaché son manteau.

— Tu as encore froid?

La lumière jaune d'un lampadaire illumina ses traits tirés pendant une seconde avant de la replonger dans l'obscurité.

— Non, ça va.

Son regard fut attiré par l'écran bleuté du téléphone d'Eli, posé entre eux.

— Ta mère t'a répondu, dit Ariel après y avoir jeté un coup d'œil. Elle dit que tu fais bien de me ramener à Québec. Elle a remarqué que j'avais pas l'air dans mon assiette. Venant d'elle, ça m'étonne pas.

Elle reposa le téléphone d'un geste las et laissa retomber mollement sa tête contre la fenêtre.

— Est-ce qu'on peut se parler de ce qui s'est passé? Demanda Eli. Tu sais... hier soir.

Ariel mit un long moment avant de répondre.

— Pas maintenant. J'arrête pas de penser à ma mère et à mes sœurs et toi, tu conduis. Je veux pas qu'on aille cette conversation alors qu'on est tous les deux à moitié là.

L'insatisfaction d'Eli dut paraître sur son visage puisqu'Ariel crut bon d'ajouter :

— On va s'en parler, Eli, je te le promets. Après qu'on soit arrivés chez ma mère, d'accord?

Eli marmonna un « ok » de mauvaise grâce, même s'il savait que les arguments d'Ariel avaient du bon. Il détacha ses yeux de la route quand elle prit sa main libre dans la sienne. Elle serra sa main. Fort. Deux naufragés que la mer s'apprêtait à séparer.

— Je sais que j'ai un peu joué les trouble-fêtes, ce soir, et je suis désolée pour ça. Mais plus égoïstement, je suis contente que tu sois ici, avec moi.

Eli lui jeta un coup d'œil avant de se concentrer sur la route qui se déroulait devant eux comme un tapis glacé.

— On s'est mis dans un beau pétrin en décidant de prétendre être en couple, non? Je serais pas fâchée si tu me disais que tu m'en veux, tu sais. Je comprendrais.

— Je t'en veux pas. J'étais d'accord avec ton idée, tu te souviens? Et puis... je regrette pas tout ce qui s'est passé non plus.

Il sentit les roues de la voiture déraper sur une plaque de glace. Eli lâcha la main d'Ariel pour reprendre le volant à deux mains.

— Tu sais quoi? Tu as raison : on en reparlera quand on sera arrivés.

La dernière demi-heure s'écoula en silence. Ils étaient arrivés en ville et les arbres se faisaient de plus en plus rares, remplacés par des immeubles et autres bâtiments. Il y avait de la lumière partout – les feux de circulation, les vitrines des magasins, les lampadaires –, mais les étoiles étaient invisibles dans le ciel.

Eli stationna la voiture devant la maison des Rodrigue et arrêta le moteur. Ariel regardait droit devant elle, l'air incroyablement anxieuse. Elle s'efforçait de respirer lentement en expulsant son air par la bouche, mais son souffle tressautait. Elle tordait ses mitaines entre ses mains.

— Ça va?

— Non. J'ai vraiment la chienne.

— Tu aurais peut-être dû aviser ta mère qu'on s'en venait. Ç'aurait été moins stressant d'être attendus plutôt que surgir comme ça, à l'improviste.

— J'y ai pas pensé.

Ariel lança un regard inquiet à la maison avant de tourner la tête vers son ami.

— Tu viens avec moi?

Elle avait l'air réellement terrifiée par la perspective d'affronter sa famille toute seule.

— Non, je comptais t'attendre dans la voiture toute la soirée.

— C'est pas le moment de faire de l'humour.

— Ariel.

Eli l'appelait assez rarement par son prénom complet et ça eut le mérite de retenir l'attention de son amie sur lui.

— Je me suis fait passer pour ton copain devant ta famille. Je t'ai fait passer pour ma copine devant ma famille et ce, malgré ce que me dictait le gros bon sens. Je viens de faire 50 minutes de route un soir de 24 décembre, juste pour que tu sois avec ta famille. Je crois qu'on a établi que je serais prêt à te suivre n'importe où.

Pendant un court instant, Ariel regarda Eli comme si elle voulait l'attirer vers elle pour l'embrasser. Il ne savait pas s'il prenait ses désirs pour des réalités puisqu'il faisait trop noir pour bien distinguer les traits de son visage.

— Eli, je...

— On a suffisamment retardé le moment fatidique, coupa-t-il. Allez, viens.

Ils sortirent de la voiture et Eli barra les portes. Ariel restait là, à le regarder faire, triturant toujours ses mitaines. Son angoisse était contagieuse. Eli lui prit la main, mais il ne savait pas si c'était pour la rassurer elle ou pour se rassurer lui. Chaque pas qu'ils faisaient vers la maison lui donnait de plus en plus l'impression que ses entrailles se transformaient en un nid de couleuvres.

Ils marquèrent un temps d'arrêt sur le seuil de la porte. Eli entendait des voix de l'intérieur et devinait des silhouettes à travers les rideaux. Ariel pressa la main d'Eli un peu plus fort en soufflant un coup pour se donner du courage. Elle ouvrit la porte.

La famille Rodrigue était dispersée dans le salon et dans la salle à manger. Carole fut la première à les remarquer et à venir vers eux.

— Ariel?

Dès qu'elle vit sa mère, Ariel éclata ensanglots.

Les anges de neige n'aiment pas volerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant