Chapitre 23 - Ariel

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Ariel n'avait pas mis les pieds dans la chambre de ses parents depuis des années et être assise sur leur lit lui faisait bizarre.

Pleurer lui avait donné chaud. Elle avait enlevé ses bottes avant d'accompagner Carole à l'étage, mais portait toujours son manteau. Elle le retira avant de tirer un mouchoir de la boîte que sa mère lui tendait et de se moucher bruyamment.

— Tu aurais dû me le dire avant, reprocha-t-elle à sa mère d'une voix congestionnée. J'aurais voulu le savoir avant d'arriver à Québec et pas me le faire annoncer comme ça, sorti de nulle part.

Carole pleurait elle aussi. La voir dans cet état mit Ariel tout à l'envers.

— Je suis désolée, Ariel. Je pensais vraiment que ça serait mieux de te le dire en personne.

— Mais pourquoi l'inviter ici le 24? S'insurgea Ariel. Pourquoi pas le 25 ou n'importe quelle autre date? Pourquoi le jour du décès de papa?

— Parce que le 24 décembre est une journée que je trouve très difficile à vivre. Cette année, j'ai la chance de pouvoir traverser cette épreuve avec une personne qui m'aime et qui comprend ma situation.

Ariel voulait rétorquer qu'elle n'était pas seule, qu'elle et les filles étaient là, mais les mots restèrent coincés dans sa gorge. Elle était celle qui avait décidé de ne pas passer le 24 décembre auprès de sa famille et elle était mal placée pour reprocher à sa mère d'aller chercher du soutien affectif.

— Tu as fait la même chose avec Eli, non?

La culpabilité la tenailla et elle renifla un bon coup avant de lâcher :

— Je sors pas avec Eli.

Carole afficha une mine confuse tout en s'essuyant les joues.

— Qu'est-ce que tu veux dire? Vous avez rompu?

Ariel se força à regarder sa mère dans les yeux.

— Je veux dire qu'on est jamais sorti ensemble.

— Oh.

— Tu m'as appris pour Luc, j'étais juste... pas du tout prête à vivre ça. J'ai rien trouvé mieux que de mentir et embarquer Eli dans mon délire.

Ariel se mordilla la joue et s'essuya le visage de son mouchoir tout ratatiné.

— Quand je t'ai dit qu'on sortait ensemble, tu as répondu que tu t'y attendais depuis des années. Pourquoi?

Carole froissa son mouchoir dans sa main, l'air songeuse.

— J'ai toujours senti qu'il y avait une chimie entre vous qui dépassait l'amitié. Tu te souviens du matin de Noël après la mort de Jean? C'est pas auprès de ton copain que tu es allée chercher du réconfort, c'est Eli que tu as appelé.

—Ça faisait seulement deux mois que Samuel et moi on était ensemble. C'est normal que je préférais la compagnie de mon meilleur ami dans ces circonstances.

— Je me souviens aussi que tu as préféré de mettre fin à une relation de plus d'un an plutôt que de cesser de voir Eli que tu connaissais depuis à peine trois mois.

Touché.

— Je veux pas que tu te sentes comme si tu pouvais pas venir me parler, poursuivit Carole. Tu t'es donné beaucoup de mal pour rendre ton mensonge convaincant. Est-ce que ça en a valu la peine?

Le menton d'Ariel se remit à trembler et elle s'essuya les yeux.

— Est-ce que tu es fâchée? Demanda-t-elle à sa mère.

— Je suis pas fâchée, je suis déçue, Ariel. Est-ce que j'ai fait ou dit quelque chose qui t'ait laissé à penser que tu pouvais pas te confier à moi?

Il n'y avait rien à faire : des larmes brûlantes roulaient sur les joues d'Ariel.

— Je me sentais co-omme si tu trahi-issais papa. Et moi au-aussi.

Elle était à nouveau secouée de sanglots. Carole s'était remise à pleurer elle aussi. Elle entoura Ariel de ses bras et la mère et la fille se bercèrent l'une et l'autre pendant un moment.

— C'est pas trahir la mémoire des morts que de continuer de vivre, déclara Carole d'une voix chargée d'émotion.

Elle se détacha d'Ariel pour la regarder, les mains sur ses épaules.

— On doit apprendre à vivre sans eux, pas se laisser mourir avec eux. De vivre sans Jean est l'un des apprentissages les plus difficiles que j'ai à faire. Si c'est dur pour toi aussi, il faut que tu me le dises. Je peux pas deviner comment tu te sens si tu me le caches.

— Je suis dé-ésolée. Je sui-uis déso-olée. Je...

Sa mère la serra contre elle en lui caressant les cheveux, ce qui eut pour effet de redoubler les sanglots d'Ariel.

Elle mit de longues minutes avant de cesser complètement de pleurer. Ariel était épuisée, drainée de toute son énergie. Elle poussa un profond soupir et resta assise là, sans aucune volonté de bouger. Carole s'était levée pour aller chercher quelque chose sur sa commode.

— Je voulais te le donner demain, mais puisque tu es là...

Sa mère lui tendit une petite boîte enveloppée dans un emballage kraft. Ariel déchira le papier, découvrant une boîte à bijoux. À l'intérieur se trouvaient des boucles d'oreilles. Larges, de forme ovale, elles étaient ajourées de multiples petits trous. Elles rappelèrent à Ariel les boucles d'oreilles qu'elle avait l'habitude de mettre avant.

— Tu pourras les porter quand tu t'en sentiras prête.

Ariel lui lança un regard ému. Décidément, sa réserve de larmes ne se tarissait.

— Je t'aime, maman.

Carole lui fit un sourire humide.

— Je t'aime aussi, ma grande.

Sur un dernier reniflement, Ariel rangea la boîte dans l'une poche de son manteau.

— Est-ce que je peux te présenter Luc?

Ariel avait vaguement aperçu une silhouette dans la cuisine avec Hubert et Myriam, mais elle pleurait tellement en entrant qu'elle ne s'était pas attardée sur l'inconnu.

— Oui, je me sens prête, maintenant, répondit-elle avec une sincérité qui l'étonna elle-même.

Elle se leva et suivit sa mère hors de la chambre. Quand elles descendirent l'escalier, les conversations se turent peu à peu. Ariel se sentit un peu gênée d'afficher son visage bouffi devant tout le monde. Elle croisa le regard d'Evelyne, ému et empathique. Ariel leva la main quand elle fit mine de s'approcher d'elle.

— Eve, si tu me touches, je te jure que je me transforme encore en arrosoir.

Evelyne hocha la tête, l'air toujours étrangement émue. Jean-Philippe la rejoignit et lui frictionna doucement le dos. Ariel se retrouva trop vite devant un homme dont le visage ne lui était pas familier. Luc était un grand type mince, aux yeux bleus et aux cheveux gris coiffés à la dernière tendance. Elle n'aurait pas su dire à quoi elle s'attendait, mais pas à qu'il soit plutôt pas mal.

— Ariel, voici Luc.

— Ça fait plaisir de te rencontrer, Ariel. Tu ressembles beaucoup à ta mère.

Elle se força à sourire en lui serrant la main. Il avait un regard gentil. Patient.

Pas mal, vraiment pas mal.

— Alors, comment vous êtes-vous rencontrés? S'enquit-elle pour meubler le silence.

— Dans un groupe de soutien pour veufs. Ma femme est morte du cancer le 15 décembre l'an dernier et...

— Mais pourquoi est-ce que j'ai encore envie de pleurer? S'impatienta Ariel en levant les bras au ciel. Ok, je sors. Eli, tu viens avec moi.

Elle attrapa le poignet de son ami au passage etse dirigea vers l'atelier de peinture de son père, le plus loin possible de lacuisine.

Les anges de neige n'aiment pas volerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant