Chapitre 14 - Eli

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— J'ai oublié de te demander : comment s'est passée ton audition à Montréal?

Eli aurait préféré qu'Alex ne lui pose pas cette question alors qu'il était pris au piège, assis par terre dans le salon. Béatrice et Rebecca s'étaient mise en tête que leur oncle était une poupée qui attendait d'être coiffée et pomponnée. Oui, Eli avait accepté pour leur faire plaisir, mais il s'en serait mordu les doigts si Béatrice n'était pas en train d'appliquer du vernis rose sur ses ongles avec application. Rebecca, quant à elle, lui attachait les cheveux avec des élastiques et des barrettes colorés.

— Arrête de bouger, mon oncle, ou tu vas avoir du vernis partout sur les doigts, protesta Béatrice en coinçant une mèche châtaine derrière son oreille.

— Ça a été, répondit Eli, aussi évasif que possible. Je vais mieux faire à Toronto.

— Je vais essayer de dessiner une balloune sur ton pouce, décréta Béatrice. Tu veux quelle couleur?

— Et si tu n'es pas pris à Toronto? S'immisça Guy qui avait suivi l'échange entre ses deux fils depuis la table à manger.

— Tu as du vert? Il me reste toujours Québec, papa, tu le sais bien.

Et Berlin. Mais ça, il n'avait pas l'intention de le lui dire avant d'avoir envoyé sa candidature.

— Non, mais j'ai du bleu. Tu sais que le vert, c'est un mélange de bleu et de jaune? C'est Ariel qui me l'a appris ce matin. Alors, le bleu c'est presque comme le vert.

— Et si ça marche pas non plus à Québec? Je comprends que tu veuilles vivre de ta musique, mais très peu de personnes y arrivent. Il te faut un plan B.

— Mon plan B c'est l'enseignement, on en a déjà parlé.

— J'ai terminé la première main, tu me passes l'autre?

— Tu peux pas passer ta vie à enseigner.

— Pourquoi pas?

— Papa, il y a rien de mal à enseigner. De toute façon, tu sais qu'Eli joue très bien, tu l'as déjà entendu. Il y a aucune raison qu'il soit pas pris dans une autre université pour sa maîtrise.

— On a terminé! Papa, tu as ton téléphone? Je voudrais prendre une photo.

— Tiens, ma chouette. Je vais aller nous faire du café et on pourrait changer de sujet pendant qu'on y est. Les filles, remerciez votre oncle qui a accepté d'être torturé par vos soins.

Béatrice passa ses bras potelés autour du cou d'Eli et lui plaqua un baiser sur la joue. Rebecca imita son aînée et entoura le cou de son oncle, appuyant sa joue contre sa tête. Les filles éclatèrent de rire quand Eli fit mine de s'étrangler et le relâchèrent pour commencer un nouveau jeu.

Ariel vint s'asseoir sur le canapé et regarda Eli. Ça n'aurait pas dû le déranger qu'elle le voie avec des barrettes de plastiques sur la tête. C'était seulement Ariel. Elle l'avait sûrement vu dans des situations pires que celle-là. Pourtant, ça le dérangeait.

— J'ai tellement pas envie de t'embrasser, en ce moment, dit-elle après une minutieuse observation.

Parce qu'il t'arrive d'en avoir envie?

Eli ne put retenir un haussement de sourcils ce qui eut pour effet de faire rosir les joues de son amie.

— Dommage pour toi. J'ai vu la photo que Béa a pris et les faux diamants dans mes cheveux font monter mon sex-appeal en flèche.

Ce fut au tour d'Ariel de hausser les sourcils et de lui lancer un regard dubitatif.

— On doit pas avoir la même définition de ce qui est beau, dans ce cas.

Elle tendit le bras pour arrêter Eli qui s'apprêtait à retirer un élastique.

— Laisse-moi faire. Tu vas te mettre du vernis plein les cheveux, autrement.

Ariel s'agenouilla par terre devant lui et se pencha pour décrocher une pince. Eli eut alors une vue imprenable sur son décolleté. Il détourna aussitôt les yeux et se saisit du premier sujet qui lui passa par la tête pour songer à autre chose.

Une ronde équivaut deux blanches qui équivalent quatre noires qui équivalent huit croches qui équivalent seize double-croches...

Son amie était décidément plus habile que ses nièces pour ce qui était de manipuler des accessoires sans tirer les cheveux. C'était agréable de sentir ses doigts courir sur son crâne. Ariel se pencha davantage vers lui pour atteindre l'arrière de sa tête. Dans sa vision périphérique, il vit que, sous son t-shirt, elle portait une brassière noire.

Une pause vaut deux demi-pauses qui valent quatre soupirs qui valent huit demi-soupirs qui valent seize quarts de soupirs qui valent...

Ariel lui ébouriffa gentiment les cheveux avant de se relever. Eli l'imita, mais au lieu de retourner s'asseoir à table avec les autres, monta à l'étage et s'engouffra dans la salle de bain.

Il concentra son énergie à nettoyer le vernis rose qu'il avait sur les ongles. Quand il s'aperçut que ça ne partait pas à l'eau et au frottement, il se demanda s'il n'avait pas fait une erreur en laissant Béatrice lui peindre les ongles. Il n'allait quand même pas passer les Fêtes avec ça, non?

— Ariel? Appela-t-il aussi fort qu'il le put. Tu peux monter une minute?

Quelques instants plus tard, les pas de la jeune femme se firent entendre dans l'escalier. Ariel apparut dans l'embrasure de la porte.

— Ça part pas! S'inquiéta Eli en grattant ses ongles.

— Attends-moi ici.

Eli l'entendit farfouiller dans ses bagages et elle revint un instant plus tard, une bouteille de liquide clair dans une main et des cotons-tiges dans l'autre.

— Ça va partir avec du dissolvant, expliqua-t-elle en dévissant la bouteille pour verser un peu de liquide dans le bouchon.

— Et tu as ça, comme par hasard, dans tes affaires?

— Je prévoyais enlever le mien une fois à Québec. Regarde.

Elle lui montra une main aux ongles recouverts d'un vernis pourpre écaillé.

— Alors, tu trempes un coton dans le dissolvant et tu frottes, expliqua-t-elle en s'exécutant.

Elle tenait la main d'Eli à plat sur le comptoir tout en nettoyant l'ongle de son index.

— Tu vois? Le vernis est frais et il va partir facilement.

— C'est une belle activité de couple qu'on fait là, plaisanta Eli en la regardant s'attaquer à son majeur.

Si on était en couple, le corrigea Ariel.

— C'est ce que je voulais dire.

Elle lui tendit le coton-tige imbibé de dissolvant et de vernis rose avant de tourner les talons sans plus de cérémonie. Eli se sentit profondément agacé qu'elle le plante là pour la deuxième fois de la journée.

— Ariel?

— Oui?

— J'aime ton t-shirt.

Elle eut l'air surprise et Eli se rendit compte avec un temps de retard qu'il ne l'avait jamais complimenté sur ses vêtements.

— Pourquoi tu le remarques maintenant? C'est pas la première fois que je le porte.

— J'aime la couleur, c'est tout.

— Il est noir.

— J'aime aussi le design, s'enfonça Eli. Les lacets qui se croisent sur... euhm...

Dis-le : sur ta poitrine.

— Enfin... c'est cool.

C'est sexy et ça me donne envie de voir ce qu'il y a en-dessous.

— Eh bien... merci. On se rejoint en bas.

Ariel quitta la pièce sans un autre regardderrière.

Les anges de neige n'aiment pas volerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant