Ariel
Les lames de ses patins faisaient crisser la glace. Ariel sourit en sentant la brise de la nuit lui glacer les joues. Avec le boisé sombre aux arbres couverts de neige devant elle et le ciel piqueté d'étoiles au-dessus de sa tête, Ariel avait l'impression d'être seule au monde. C'était plutôt agréable comme sensation, après avoir passé les derniers jours dans une famille qui n'était pas la sienne.
Sur ses patins, elle avait l'impression d'être libre et légère. Elle tendit les bras en croix et changea de direction pour se laisser glisser à reculons. Se faisant, elle fit face au chalet dont elle voyait les fenêtres illuminées à travers les arbres. Une silhouette sombre se découpait sur la neige bleutée.
— Ça fait longtemps que tu es là? Demanda Ariel sans s'arrêter.
— Environ deux minutes, répondit Eli.
Ariel balança son poids d'une jambe à l'autre pour faire le tour de la patinoire. Son dos se cogna doucement contre Eli qui s'était avancé jusqu'au bord de l'étang gelé. Elle pivota sur une jambe pour lui faire face et freina dans un crissement de glace.
— Qu'est-ce que tu fais là, sans tes patins? Se moqua gentiment Ariel.
— Oh, je suis pas sorti pour patiner, je voulais seulement te regarder. (Eli eut un haussement d'épaules.) Je trouvais ça détendant.
Ariel lui fit le sourire le plus naturel qu'elle avait eu pour lui depuis qu'ils s'étaient embrassés dans leur chambre. Elle lui prit les deux mains et le tira doucement vers la patinoire.
— Allez, viens.
Eli opposa une petite résistance avant de se laisser entraîner. Ariel s'était remise à patiner à reculons, mais son ami était lourd à traîner et ses bottes adhéraient à la glace. Après l'avoir entraîné avec elle sur un demi-mètre, elle lui lâcha les mains et recommença à glisser sans difficulté.
— Il faut que tu te donnes une poussée, lui expliqua Ariel. Je peux pas avancer en tirant un poids mort.
— Tu veux que je me donne une poussée ? Rétorqua Eli en haussant les sourcils.
Le jeune homme courut quelques pas maladroits avant de se laisser glisser droit vers Ariel.
— Non, Eli!
Trop tard. Leurs deux corps entrèrent violemment en collision et ils tombèrent à la renverse sur le banc de neige qui entourait l'étang. Ariel ne pouvait pas s'empêcher de rire.
— T'es tellement con!
— J'ai eu peur de te manquer pendant une seconde, lui avoua Eli, le visage au-dessus du sien. Je serais tombé tête la première dans le banc de neige et j'aurais eu l'air d'un vrai cave.
Le rire d'Ariel redoubla en imaginant Eli s'étaler de tout son long dans la neige. Quand son hilarité se calma, elle se rendit compte que son ami n'avait pas joint son rire au sien. Les yeux d'Eli semblaient noirs d'encre dans la pénombre et il la regardait comme s'il essayait de lire en elle. Ariel prit soudainement conscience du poids de son corps sur le sien. Leurs visages étaient si proches que la buée de leurs souffles s'emmêlait.
— Eli, je...
— Mon bras est coincé sous toi.
Heureuse diversion. Ariel roula sur le côté pour qu'Eli se dégage avant de se coucher à nouveau sur le dos. Eli se laissa tomber à côté d'elle, mais pas assez proches pour que leurs épaules se touchent.
— J'avais jamais vu autant d'étoiles dans le ciel, dit Ariel dans l'espoir d'alléger la tension qui s'était installée.
Eli lui donna un petit coup de coude dans les côtes.
— Bienvenue en région, la Montréalaise.
Elle jeta un coup d'œil à Eli et fut rassurée de voir qu'il lui rendait son sourire.
— J'avais pas patiné depuis...
L'émotion la prit à la gorge, tout d'un coup, et elle ne fut plus capable d'articuler un mot. Elle entendit Eli tourner son visage vers elle, en attente, mais elle garda les yeux sur les étoiles.
— Depuis que Jean s'est noyé dans un lac gelé, compléta Eli à sa place.
Ariel hocha la tête et se mordit l'intérieur de la joue. Elle attendit que la douleur dans sa poitrine s'atténue avant de reprendre.
— Décembre est juste... tellement difficile.
Elle fit une autre pause, plus longue que la première. Eli était à côté d'elle. Présent, patient.
— Je déteste que... plus le temps passe, plus je... plus je m'éloigne de lui.
Elle n'arrivait plus à se souvenir du son de sa voix. Même quand elle essayait de se figurer son visage ou ses mimiques, ça lui paraissait flou. Comme si elle regardait son père à travers une vitre givrée.
Ariel sentait la froideur de la neige sous elle jusque dans ses pieds glacés. Elle tourna la tête vers Eli qui la regardait en silence. Il tendit une main dégantée vers son visage. Très doucement, il caressa sa pommette du bout de son pouce. Sa main parut agréablement chaude à Ariel.
— Ta joue est froide.
Ariel ne répondit pas et Eli continuait de tracer la courbe de son visage du bout de ses jointures. Elle aurait voulu que ce moment dure. Elle aurait voulu savoir quelle était la meilleure chose à faire. Sûrement pas se pencher sur lui pour l'embrasser. Ou peut-être que oui?
Avant qu'elle ait pu prendre une décision, Eli retira sa main et lui sourit. De tous ses sourires, c'était le plus doux-amer qu'elle lui avait jamais vu.
— Tu veux rentrer?
— J'aimerais patiner encore cinq minutes. Le froid me fait du bien.
Eli se redressa et prit les mains d'Ariel pour l'aider à se relever. Il secoua gentiment son bonnet et de la neige en tomba. Puis, il se donna un élan pour traverser l'étang et Ariel s'élança dans l'autre direction. À un détour, elle eut l'impression qu'Eli s'était retourné, mais lorsqu'elle pivota à nouveau, elle ne vit que les troncs sombres des arbres.
Eli
Eli essaya de ne pas surveiller la porte à chaque minute qui s'écoulait, s'attendant de voir Ariel entrer. Il s'occupa comme il pouvait ; dessina avec ses nièces, leur fit la lecture, écouta sa famille discuter quand les enfants furent couchés. La porte s'ouvrit sur Ariel une demi-heure plus tard. Un courant d'air froid lui parvint, le faisant frissonner.
— La glace était belle? Demanda Denise.
Ariel lui sourit et répondit par l'affirmative, tout en retirant ses mitaines. Elle avait le visage et les mains rougis par le froid. Quand elle suspendit son manteau, son regard s'accrocha à celui d'Eli et elle marqua une hésitation.
— Tu veux du thé, Ariel? S'enquit Sarah qui faisait couler de l'eau dans une bouilloire.
— Oui, merci.
Eli fit signe à son amie d'approcher. Son hésitation commençait à être louche. Ariel attrapa une couverture qui traînait sur un accoudoir et s'en drapa avant de venir s'asseoir à côté d'Eli. Puis, comme si elle faisait ça tous les jours, elle balança ses jambes par-dessus les siennes et nicha son visage glacé dans son cou.
Il n'y avait rien de plus désagréable qu'une personne qui venait mettre ses mains froides dans votre cou. Ou un nez et des joues, dans ce cas-ci. Mais c'était Ariel. Alors Eli passa son bras autour de ses épaules et la serra contre lui.
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Les anges de neige n'aiment pas voler
RomanceEli et Ariel retournent à Québec pour les Fêtes. Eli vient de rater une audition pour sa maîtrise en musique et il est inquiet de l'annoncer à ses parents qui espèrent voir leur fils se trouver enfin un vrai travail. Pour Ariel, le temps des Fêtes...