Chapitre 18 - Eli

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Ariel regardait par la fenêtre, tripotant son unique boucle d'oreille en forme de fraise, quand Eli la rejoignit. Il la bouscula gentiment du coude.

— On peut regarder un film de Noël sur Netflix, si tu veux, proposa-t-il. Je suis prêt à le faire juste parce que c'est toi.

Sa proposition eut le mérite d'arracher un sourire à Ariel. Il s'aperçut que c'était la première fois de la journée qu'il la voyait sourire. Il essaya de ne pas s'en inquiéter. L'important, c'était de lui changer les idées et surtout, de détourner son attention de l'étang gelé devant le chalet.

— Je peux le choisir?

— Bien sûr. Ils racontent tous la même histoire de toute façon.

— Pas faux, approuva Ariel en attrapant une couverture qui traînait sur le canapé.

Ils descendirent l'escalier l'un derrière l'autre. Ariel ouvrait la marche en se guidant de la lumière bleutée de son écran de cellulaire. Une fois en bas, elle s'enroula dans la couverture avant de se recroqueviller dans un coin du divan et de fermer son téléphone. L'obscurité les enveloppa. Eli hésita un instant avant de s'asseoir à l'autre extrémité. Ariel ne s'en rendit pas compte ou bien elle ne s'en souciait pas.

— J'ai pas vraiment de préférence, dit-elle alors qu'Eli ouvrait Netflix sur la télévision. Tu peux sélectionner le dernier film de Vanessa Hudgens, ça fera l'affaire.

Ça parut à Eli comme le pire choix du monde quand il regardait la vignette. Mais pour remonter le moral d'Ariel, il aurait été partant pour binge watcher tous les films de Noël sortis cette année.

Durant la demi-heure suivante, Eli avait roulé des yeux cinq fois et Ariel avait été pris d'hilarité deux fois devant les péripéties improbables du scénario.

— Rhabillez-vous et gardez une distance d'au moins deux mètres! Lança la voix de Sarah du haut de l'escalier. Je descends et je veux pas voir ce que vous faites dans le noir.

Ariel et Eli échangèrent un regard. Puis, avec précipitation, Ariel s'extirpa de sa couverture pour venir s'asseoir à côté d'Eli et jeter ses jambes en travers des siennes. Il passa son bras autour de ses épaules, achevant ainsi leur portrait d'une posture rigide. Eli espérait que sa sœur ne remarquerait rien dans la pénombre.

Sarah apparut à la dernière marche de l'escalier, une main couvrant ses yeux.

— Vous êtes à nouveau décents? Je peux regarder?

Sans attendre de réponse, elle baissa son bras.

— Vous devriez revoir votre définition de « deux mètres », commenta-t-elle avant de s'adresser à Eli. Comme vous êtes les derniers encore debout, papa te rappelle de baisser le chauffage avant de monter vous coucher. Bonne nuit.

Elle tourna les talons et monta l'escalier quatre à quatre sans laisser le temps à Eli ou Ariel de placer un mot. Quand ils n'entendirent plus le bruit de ses pas, ils se tournèrent l'un vers l'autre. Ils éclatèrent de rire.

Ce n'était pas le rire de deux personnes qui partageaient un moment de complicité après une bonne blague. Non. C'était le rire nerveux et hystérique d'un couple de chacals qui avait un surplus de tension à libérer. Ariel était pliée en deux, écroulée sur Eli. Quand elle s'étouffa et se mit à tousser, il la prit par les épaules pour la redresser.

Entre toux et rires, ils réussirent à reprendre leur sérieux. Eli se laissa aller contre le divan, un peu plus détendu que tout à l'heure. La télévision nimbait une partie du visage d'Ariel d'une lumière rouge, jaune ou blanche selon les plans. Ariel aussi le regardait. La tension que leur fou rire avait évacué revenait avec la puissance et la subtilité d'un bélier défonçant une porte.

Eli tendit lentement la main vers Ariel et repoussa une mèche de cheveux qui lui retombait devant l'œil gauche. Il laissa glisser ses doigts le long de son oreille, sur sa nuque.

— Tu as toujours mal?

Ariel battit des paupières, l'air perdue.

— Quoi? Fit-elle d'une petite voix étranglée.

Eli appuya doucement le bout de ses doigts en plein milieu de sa poitrine.

— Ici. Ça te fait encore mal?

Ariel continuait de le regarder comme si elle essayait d'apprendre son visage par cœur.

— T'arrête pas.

L'infini dura un battement de cœur. La lumière sur le visage d'Ariel passa de clair à sombre avec l'histoire qui se poursuivait sur la télévision. Son pouls était frénétique sous les doigts d'Eli. Il lui aurait été impossible de dire lequel d'eux deux s'était jeté à la bouche de l'autre en premier. C'était comme si un élastique qu'on avait trop étiré venait de se rompre brutalement.

Ce baiser n'avait rien à voir avec celui – gentil et doux – qu'ils avait échangé quelques jours plus tôt. Celui-ci était violent, sauvage. Sans prévenir, Ariel s'assit à califourchon sur Eli avant de reprendre sa bouche avec avidité. Eli glissa ses mains sous sa chemise et lui empoigna les hanches pour la rapprocher de lui. Les mains d'Ariel étaient partout. Dans ses cheveux, sur sa nuque, sous le col de son t-shirt, sur ses épaules, sur son dos. Tout le corps d'Eli se tendait vers elle.

La nouveauté était déstabilisante. C'était déstabilisant d'explorer le corps d'Ariel à pleine mains. C'était déstabilisant de déboutonner la chemise d'Ariel et de goûter sa peau. C'était déstabilisant de sentir Ariel se cambrer sous ses caresses. C'était déstabilisant d'entendre Ariel soupirer son nom.

Il avait l'impression de découvrir une toute nouvelle personne. Il aimait ça. Il en voulait encore. Il en voulait plus.

— Eli, attends.

Ariel posa fermement ses deux mains sur les épaules d'Eli pour le plaquer contre le dossier du divan. Sa poitrine se soulevait rapidement et Eli fut un moment déconcentré par la vue de sa poitrine dénudée et de ses seins dans son soutien-gorge. Ses yeux remontèrent jusqu'au visage d'Ariel.

Oh non. Il connaissait ce regard. Ariel était en train de réfléchir.

— Arrête de penser.

Arrête de penser et continue de m'embrasser.

La supplication dans sa voix le prit lui-même au dépourvu. Un éclair de vulnérabilité traversa le regard d'Ariel le temps d'un souffle.

— Je peux pas faire ça, Eli. Si on continue, on va atteindre un point de non-retour et...

Les yeux d'Ariel paraissaient trop brillants, mais Eli ne savait pas si c'était dû à un reflet ou à des larmes.

— Et alors?

— On peut pas jeter par la fenêtre cinq ans d'amitié parce qu'on est tous les deux en manque de sexe! S'écria Ariel d'une voix que la peur rendait suraiguë.

— Je te veux pas parce que je suis en manque de sexe, je te veux parce que c'est toi!

Ses paroles restèrent suspendues en l'air un instant avant qu'il ne poursuive, enflammé.

— Je t'ai menti, ok? Je me rappelle la première fois qu'on s'est embrassés. Tu empestais l'alcool et tu avais de la misère à tenir debout, mais ça faisait trois mois que j'attendais qu'il se passe quelque chose entre nous et ça se passait enfin! Tu te souviens vraiment pas? Tu étais accrochée à mon cou et tu as murmuré mon nom et... Ce que je veux dire, c'est que tu me confondais pas avec ton copain, tu m'embrassais, moi. Ça m'a hanté pendant des mois! J'aurais crissement voulu qu'on partage plus qu'une amitié! Et peut-être... peut-être que je le veux encore.

Ariel le regardait les yeux agrandis, la bouche entrouverte. Horrifiée. Eli comprit alors ce qu'elle avait voulu dire en parlant du point de non-retour. Ils venaient de le franchir. Là.

Les anges de neige n'aiment pas volerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant