Chapitre 17 - Eli

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Ses longues jambes étaient allongées sur un pouf, son ordinateur portable posé sur ses genoux. Dans ses écouteurs jouaient le concerto en si mineur de Dvořák. C'était l'un des rares moments où le chalet était parfaitement tranquille, sans un son, sans un mouvement. Le reste de la famille était sortie patiner sur l'étang et Eli avait saisi l'occasion pour terminer la préparation de sa candidature pour Berlin.

Il ne vit, ni n'entendit Ariel descendre au rez-de-chaussée et il fut surpris de la voir s'asseoir à côté de lui. Elle se massait le sternum comme elle l'avait fait par intermittence la veille. Si c'était comme l'an dernier, la douleur ne la quitterait pas tant que le 24 décembre ne serait pas derrière eux.

— Tu as essayé de prendre de la médication? Demanda-t-il à Ariel tout en retirant ses écouteurs.

— Oui. Ça marche pas, ajouta-t-elle alors qu'Eli ouvrait la bouche.

— Du thé, ça t'aiderait?

Ariel haussa une épaule sans le regarder.

— À défaut de me soulager, ça pourrait me distraire.

Le ton morne avec lequel elle avait parlé confirma à Eli qu'elle n'était pas dans une bonne journée. Il se leva et posa son ordinateur avant de se diriger vers la cuisine. Il ressentait un drôle de malaise dans le creux de son ventre. À cause de leur plan de con, Ariel passerait la journée du 24 loin de sa famille. Qu'est-ce qu'il lui était passé par la tête quand il avait décidé de s'embarquer dans l'idée de son amie? Même elle sentait sûrement que ça avait été une folie.

— Est-ce que tu crois qu'appeler ta mère te ferait du bien? Avança précautionneusement Eli.

Il régla la température de la bouilloire et attendit d'Ariel une réponse qui ne vint pas. Quand il se retourna, il s'aperçut qu'elle avait son ordinateur sur les genoux.

— Tu veux partir à Berlin?

Fuck.

Ariel se contorsionna pour le regarder. Eli aurait été incapable de définir son expression à ce moment – surprise ou déception? –, mais ce n'était plus le visage morne qu'elle avait un peu plus tôt. Il le regretta presque.

— Eli?

— J'étais seulement en train de remplir ma candidature. Ça veut pas dire que je vais être choisi.

Ariel reporta son attention sur l'écran de l'ordinateur et elle fit rapidement défiler la page web.

— Je t'en avais parlé l'an dernier, tu te rappelles?

— Je me rappelle aussi que tu avais décidé de pas envoyer ta candidature.

Lisa, corrigea Eli avec irritation, préférait que j'envoie pas ma candidature à Berlin. Puisqu'elle est plus dans le décor, je juge que ça vaut le coup de tenter ma chance.

Ariel ne dit rien et refit défiler la page sur l'écran, comme si elle cherchait à percer ses secrets. Son absence de réaction décevait un peu Eli.

— Je t'ai encouragée quand tu voulais partir à Montréal. Tu peux pas faire pareil pour moi?

— Montréal est à trois heures de route de Québec, s'offusqua Ariel. Là, on parle d'un vol transatlantique de six heures! C'est pas du tout la même chose!

— On va survivre, c'est pas comme si on sortait ensemble non plus.

Les épaules d'Ariel parurent s'affaisser. Elle tourna la tête vers l'ordinateur pour la troisième fois avant de regarder à nouveau Eli.

— Je suis désolée, soupira-t-elle, je voulais pas réagir comme ça. Je suis contente que tu t'essaies. Sincèrement.

Le timbre de sa voix jurait avec ses paroles, mais l'effort était là. Ariel passa son bras sur le dossier du canapé et laissa tomber son menton dans son coude replié.

— Je suis juste jalouse, reconnut-elle. Il y a des tas de musées à Berlin; tu imagines étudier l'histoire de l'art là-bas? Enfin, je pourrai toujours venir te voir une fois durant ta maîtrise et tu me feras visiter.

Elilui fit un bref sourire et son malaise s'accentua, bien que pour des raisonsdifférentes. Il se demanda si la poursuite de ses rêves en valait la peine, surtout si cela signifiait de sacrifier son amitié avec Ariel. Comment pourraient-ils rester des amis proches en ne se voyant qu'une fois par an? Et si Ariel lui annonçait, au bout de quelques mois d'absence, qu'elle était à nouveau en couple? Comment le prendrait-il?

Eli jugea qu'il valait sans doute mieux de nepas répondre à cette question. Il entendit l'eau chauffer et la bouilloire bipatrois fois.

Les anges de neige n'aiment pas volerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant