Le pavillon Casault avait d'autant plus l'air de Poudlard, ce matin-là, que les tours étaient recouvertes de l'épaisse neige blanche qui était tombée la nuit dernière. Eli tira sur l'une des portes, s'attendant à avoir une bouffée de chaleur, mais il ne faisait pas beaucoup plus chaud dans le hall d'entrée. Il frappa ses bottes sur le tapis pour dégager la neige accrochée à ses semelles.
Eli s'engagea dans le couloir de gauche qui menait aux « frigos », comme les étudiants en musique désignaient les studios pour pratiquer. Il croisa Fabien qu'il salua rapidement avant de s'engouffrer dans la cage d'escalier. Après avoir monté deux paliers, son violoncelle sur le dos, il se demanda s'il n'aurait pas mieux fait d'emprunter le chemin complexe et tortueux des ascenseurs.
Lorsqu'il quitta la cage d'escalier, il s'arrêta une demi-minute, le temps de reprendre son souffle. Il ne voulait pas se présenter au cours en respirant aussi fort qu'un bœuf.
— Comment s'est passé ton audition? Fut la première chose qu'Eli entendit en passant le seuil.
Le jeune homme attendit d'avoir refermé la porte avant de répondre à sa professeure.
— Pas très bien, avoua-t-il en dénouant son écharpe.
Il avait raconté son anecdote à Ariel et à tous ses amis musiciens qui lui avaient posé la question et pourtant, il n'en fut pas moins mal à l'aise de dire ces mots à sa professeure.
Birgit Obergasteiger avait un air sévère en permanence. Ses sourcils couleur aile de corbeau qui contrastaient avec sa longue tresse grise y étaient certainement pour quelque chose. Ses yeux noirs étaient perçants, bien trop semblables à ceux d'un oiseau de proie. Eli était incapable de dire à son expression indéchiffrable si elle était désappointée de son échec ou si elle s'en fichait comme d'une guigne. Ça aurait aussi bien pu être l'un ou l'autre.
Obergasteiger le regarda se préparer, sans rien dire. Quand Eli fut installé et prêt à jouer, le silence de sa professeure l'avait mis à cran. Elle prit son violoncelle à son tour et fit glisser l'archet sur la corde de la. Même après un an à étudier auprès d'Obergasteiger, Eli était renversé par l'onctuosité du son qu'elle pouvait produire en jouant une simple corde à vide.
Après s'être accordé, Eli joua une gamme rapide pour s'échauffer.
— Quand tu es prêt.
Sur une inspiration, le jeune homme joua le premier accord. Il remisa dans un coin de sa tête que sa professeure l'observait attentivement – et qu'elle aurait son lot de commentaires à lui faire à la fin de la pièce – pour se concentrer sur sa musique. La mélodie grave et poignante correspondait parfaitement à son humeur. La tension des derniers jours lui parut se canaliser dans ses coups d'archets impétueux et il entendait un orchestre imaginaire l'accompagner. Dans un coin de son esprit, Eli savait que de toutes les fois où il avait interprété ce morceau, son expressivité ne lui avait jamais parue aussi juste qu'à cet instant.
Contrairement à ce qu'il s'attendait, Obergasteiger ne l'interrompit pas après le premier mouvement. Il lui jeta un coup d'œil sans s'arrêter et elle répondit par un léger signe de tête pour lui faire signe de poursuivre, ce qu'Eli fit. Alors qu'il reprenait le thème du concerto, 20 minutes plus tard, Eli mit tout ce qu'il lui restait d'énergie dans les dernières mesures et termina sur un dernier coup d'archet triomphal. Sa dernière note resta suspendue dans l'air entre lui et Obergasteiger. Cette dernière mit un long moment avant de parler et lorsqu'elle le fit, ce ne fut pas ce à quoi Eli s'attendait.
— Pourquoi l'audition s'est mal passée?
— Des problèmes techniques m'ont fait perdre ma concentration.
— Je te dirai pas que je suis désolée pour toi parce que c'est pas le cas.
Ça avait le mérite d'être direct.
— Tu peux viser plus haut que ça, Eli. Si tu veux devenir interprète, c'est en Europe ou aux États-Unis que tu dois étudier.
Ça, c'était inattendu. Même si le compliment était drôlement formulé.
— Où dois-tu passer tes autres auditions déjà?
Eli était certain que sa professeure savait parfaitement où il avait envoyé sa candidature. La mémoire qu'avait cette femme était phénoménale. Pour une raison qu'il ne saisissait pas, elle faisait celle qui n'était au courant de rien.
— Ici, à Québec, et à Toronto, énuméra Eli. J'attends encore des nouvelles pour New York.
— Pourquoi as-tu laissé tomber Berlin? Je me rappelle que tu m'en avais parlé l'an dernier avec beaucoup d'enthousiasme.
Ah! On y était.
— Mon ex voulait pas que j'aille étudier outremer, admit-il à contrecoeur.
—Tu as abandonné ton projet d'aller faire ta maîtrise à Berlin pour une femme que tu appelles maintenant ton ex. Je vois que cette décision t'a mené loin.
Obergasteiger avait le don de soulever des réalités désagréables et pas de la façon la plus douce qui soit.
— Tu as encore jusqu'au 31 décembre pour envoyer ton dossier de candidature, poursuivit-elle.
— C'est pas un peu dernière minute? On est le 20.
— Si j'étais toi, je me dépêcherais de prendre ma décision.
Elle claqua dans ses mains comme pour clore le sujet.
— Bon, reprenons.
Une heure plus tard, Eli s'apprêtait à partir, la tête remplie de nouvelle matière musicale à exercer durant le congé des Fêtes.
— Tu as du potentiel, Eli, lui dit soudainement sa professeure alors qu'il mettait son violoncelle sur son dos. Ne le gaspille pas.
Il en fut tellement désarçonné qu'il ne pensa pas à lui répondre. La professeure et l'étudiant se quittèrent en se souhaitant de joyeuses Fêtes. Eli était dans le couloir quand il entendit Obergasteiger lancer depuis son local :
— Donne-moi de tes nouvelles quand tu aurasenvoyé ta candidature.
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Les anges de neige n'aiment pas voler
RomanceEli et Ariel retournent à Québec pour les Fêtes. Eli vient de rater une audition pour sa maîtrise en musique et il est inquiet de l'annoncer à ses parents qui espèrent voir leur fils se trouver enfin un vrai travail. Pour Ariel, le temps des Fêtes...