Chapitre 1

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Quelque part, un soir d'octobre 2009...

8 mois déjà que nous étions séparés, et j'étais encore là, à côté de lui, à danser comme nous le faisions avant, quand nous nous aimions, avant que nos envies s'éloignent, que nos projets divergent.
La rupture, longue et douloureuse, était difficile à accepter, mais il le fallait.

Contrairement à ce que j'avais fait par le passé, je ne noyais pas ma peine dans les sorties, l'alcool et les mecs sans intérêt. Je m'étais complètement réinvestie dans les études, et j'avais entrepris un travail sur moi avec un psy pour panser mes plaies.

Et pourtant, je m'imposais toujours ça, lui près de moi, sortant ensemble, dansant ensemble, organisant nos week-ends ensemble, comme les amis que nous pourrions être. Je le voyais draguer, plus ou moins loin de moi, et je savais que je devrais me taire et accepter ces filles qui ne savaient même pas l'homme qu'il était, uniquement intéressées par son apparence, son argent, sa gloire.

Nous avions vécu une belle histoire, qui parfois se répétait. Certains soirs, les draps nous accueillaient à nouveau, parce que cette alchimie était toujours là, quand bien même l'amour entre nous était parti.

Nous venions dans cette boîte de nuit depuis des mois, peut-être même des années. Les meilleurs sons hip-hop et R'n'B y étaient joués, par des DJ au talent incontestable. Elle avait une dimension familiale, tout le monde se connaissait, la patronne nous appelait par nos prénoms, nous le noyau dur de la boîte, les « habitués » comme disent les vigiles.

Après m'être déhanchée sur un bon vieux son de 112, « Dance with me », me vidant la tête quelques secondes, c'est désormais un titre moins connu qui passe, et la musique n'a plus son effet cathartique sur moi.

Je n'arrive plus à danser, toutes ces pensées m'encombrent. Je décide d'aller commander un verre au bar et laisse Max sur le podium, seul... pas bien longtemps, comme toujours. Cette Marjorie qui lui tourne toujours autour n'a pas attendu une seconde pour le rejoindre. Je sais qu'elle lui résiste pour le principe, mais qu'elle finira dans son lit d'ici peu, comme les autres.

Je marche jusqu'au bar, perdue dans mes pensées, cherchant de loin le visage connu de Grégoire, mon barman préféré. Une vodka Red Bull me fera le plus grand bien. Ou peut-être un shooter de vodka caramel avec Grégoire, ou plusieurs ? Soudain, mon pied bute sur un objet et je me sens (comme dans les pires films) tomber au ralenti. J'aime beaucoup Bridget Jones, cette célibataire un peu paumée et franchement maladroite, je ne me lasse pas de ses films. De là à devenir moi-même ce genre de godiche, il n'y a visiblement qu'un pas que je suis en train de franchir. J'en suis là de mes réflexions, m'attendant à heurter le sol et me ridiculiser quand...

La chute s'arrête d'un coup, je suis tirée en arrière par un bras qui entoure mon corps, me collant d'abord à lui, avant de me remettre sur pied avec délicatesse, toujours le dos collé à ce torse inconnu. Une prise ferme, une odeur inconnue mais agréable, mon cœur qui s'emballe - la peur de la chute sans doute - et un souffle dans mon oreille :

- Alors la danseuse, on ne tient sur ses pieds que sur le podium ?

Je me sens rougir. Je me détache de son étreinte, reprends un semblant de contenance et lui fais face. Je m'apprête à le remercier et partir, mais là, dans cette pénombre, ses yeux verts me transpercent, rieurs et ... et quoi d'ailleurs ? Je ne cherche pas plus loin, intimidée et troublée.

- Merci !

Et je me dirige tout droit vers Grégoire au bar, qui visiblement n'a rien loupé de cet échange, puisqu'il me dit immédiatement :

- Hop hop hop toi ! Pas touche à lui, n'y pense même pas ! Il est pour moi, je le travaille au corps depuis des mois ! ahahahah

- Nan mais j'ai failli chuter, il m'a rattrapée, c'est tout ! Qu'est-ce que tu vas t'imaginer. Je ne sais même pas qui c'est, c'est un nouveau ?

C'est vrai ça, qu'est-ce qu'il va s'imaginer ?!

- Il y a du monde, on en reparlera plus tard. Qu'est-ce que tu bois ?

Je réfléchis à la réflexion de Grégoire. Je suis à mille lieux de tout ça, les rencontres, la séduction, l'envie de rencontrer une nouvelle personne. La rupture avec Max fait trop mal, elle est trop fraîche, et puis, la relation continue d'une certaine façon. Je me retourne, l'inconnu n'est plus dans mon champ de vision.

Une fois réhydratée, je regagne le podium pour aller danser, auprès de mes amis et de l'homme que j'ai tant aimé. Celui-ci, à peine revenue à ses côtés, une main au creux de mes reins, me glisse à l'oreille :

- Tu étais où ? J'irais bien boire un coup, petite pause ?

- J'en reviens. Désolée Max, je n'ai pas pensé à te proposer. Je fatigue aussi, pourquoi on ne rentrerait pas ?

- Ouais, let's go, il est déjà 4h. Tu rentres avec moi ?

Et à son sourire, je sais que je ne dormirai pas seule dans mon lit ce soir, aussi douloureux que cela sera le lendemain...

*****

Et douloureux ce fut, notamment dans ma tête où résonne encore la musique et peut-être l'écho de mes quelques shooters de vodka. Je suis assoiffée, mais je ne veux pas réveiller Max, qui me tient la main dans son sommeil. Une vieille habitude de notre couple, qu'il garde...

Nous nous étions rencontrés trois ans plus tôt, sur les bancs de la faculté de droit.
Première année de fac, j'étais aussi excitée qu'effrayée. Loin du confort de mon petit lycée perdu dans la campagne et de la maison familiale, j'arrivais dans une grande université et j'apprenais à vivre seule. Enfin presque. Mon amie de toujours, Céline, vivait à quelques mètres de mon appartement étudiant, et nous passions la majorité de nos soirées, sorties comprises, ensemble. Elle étudiait la cuisine, et était de loin la personne sur qui je pouvais le plus compter. Mon roc ! Et elle me suivait dans toutes mes envies de sortie.

Quant à Max... Je l'avais remarqué dès le premier jour, ce grand mec svelte et musclé, avec ses beaux yeux bleus, son sourire parfait, ses fossettes et son style de danseur de hip-hop. J'étais captivée par sa démarche féline, la douceur de son regard et sa sociabilité. Moi un peu timide, cachée derrière ma frange de cheveux blonds et mes lunettes, je le regardais avec admiration, mais n'aurais jamais osé l'approcher. Mais le hasard (ou le destin...) avait fait que nous avions opté pour le même sujet d'exposé. Plusieurs heures passées ensemble pour l'exposé, puis encore après.

Car très vite, la complicité s'était installée entre nous : mêmes goûts musicaux, mêmes envies de voyages, mêmes passions de la danse et des sorties. Je suis rapidement, et pour la première fois de ma vie, tombée amoureuse, comme on aime à 18 ans : fort, à la folie, jusqu'à la folie. Il a vite arrêté la fac de droit, car ses qualités de danseur commençaient à être reconnues. Les compétitions s'enchaînaient, les passages sur les chaînes de télévision locales, puis nationales, les voyages à l'autre bout du pays. Son ambition n'avait pas de limites et il se donnait les moyens d'arriver à son objectif : devenir danseur professionnel. Pourtant, chaque fois qu'on se retrouvait, c'était toujours plus fort, nous ne pouvions nous détacher l'un de l'autre et passions nos journées à nous aimer et nos soirées à danser.

Petit à petit, la jalousie s'était invitée dans notre couple. Lui absent, toujours entourée de danseuses, plus belles et talentueuses les unes que les autres, et de moins en moins présent auprès de moi. De mon côté, j'attirais aussi les hommes, et avait beaucoup d'amis hommes, et il ne le supportait pas. Nous étions jeunes, nous nous sommes aimés, mais cet amour nous a usés, malmenés, blessés jusqu'à s'éteindre. Les disputes se multipliaient, nous ne supportions plus rien chez l'autre. Après une énième dispute, un dernier effort, une St-Valentin catastrophique avait eu raison de nous. Le soir même, la décision était prise, nous étions d'accord : le temps était venu de se séparer, après 3 années partagées.

Et nous sommes là, aujourd'hui, toujours à nous tenir la main après une nuit partagée, mais incapables de nous aimer. Dire que je suis perdue est un doux euphémisme. Je sens que cette situation me pèse, mais je n'ai pas la force de mettre un terme définitif à tout cela, il a une place centrale dans ma vie. Céline me dit régulièrement de couper tout contact, sous peine de ne jamais réussir à tourner la page... Mais que vais-je devenir sans lui ? Il serait plus facile de le détester.

Je me lève doucement, ne supportant plus de ressasser ces pensées qui me hantent. Je propose à Céline de se retrouver pour le goûter, vu l'heure tardive, m'habille sans bruit et quitte son studio sans bruit. Pour la dernière fois ?

Sous des cieux plus cléments [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant