Chapitre 12

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Je me réveille dans du coton. Mes yeux ne veulent pas s'ouvrir, j'ai encore sommeil. Combien de temps ai-je pu dormir ? Pourquoi ma gorge est-elle aussi sèche ?
 
Je perçois beaucoup d'agitation autour de moi, j'entends des voix familières sans les reconnaître. Quand je parviens enfin à ouvrir un œil, puis l'autre, leurs visages penchés sur moi m'effraient.
 
Une femme en blouse blanche derrière eux leur intime de sortir de la pièce, ils obéissent immédiatement. Elle semble avoir près de 50 ans, son visage bronzé est encadré de cheveux bruns ondulés. Ses yeux noisette fixent les miens successivement, alors qu'elle passe furtivement un faisceau lumineux devant eux, ce qui me fait pleurer. Je tente d'approcher ma main pour balayer les larmes, mais arrête mon geste dans une grimace de douleur.
Elle me regarde avec un sourire doux, et essuie doucement les larmes à ma place.
 
- Bonjour Julia, bon retour parmi nous ! me dit-elle doucement.
 
C'est à cet instant que je comprends où je suis, ce qui se passe et surtout, que j'ai un tuyau dans la gorge. La panique me gagne, la médecin semble le remarquer et reprend la parole, me parlant gentiment, avec beaucoup de bienveillance.
 
- Je suis le docteur Nadon. Si tu le permets, je vais te tutoyer. Tu as eu un accident, grave, qui a causé des dommages importants sur ta cage thoracique et a touché tes poumons. Nous avons dû t'opérer. Tu t'es super bien battue, tu récupères parfaitement. Nous allons pouvoir t'extuber, maintenant. Si tu es d'accord, cligne deux fois des yeux.
 
Je m'exécute. Elle m'explique, en même temps qu'elle se prépare à procéder à l'extubation.
 
- Prends une grande inspiration pendant que je sors le tuyau. Tu risques d'avoir envie de vomir, ça va passer. Tu vas avoir soif, il faudra boire doucement, par toutes petites gorgées. Voilà, ouvre grand la bouche, prends une grande inspiration, tout va bien se passer, me dit-elle, comme si elle pouvait sentir mon appréhension.
 
Je suis avec beaucoup d'obéissance ses consignes, et je vois que cela la satisfait.
 
- Voilà, tu es libérée. Je te mets ce masque à oxygène quelques instants pour que tes poumons reprennent tranquillement leur travail. N'essaie pas de parler immédiatement, prends le temps de bien respirer, bailler et tousser si nécessaire. Tes cordes vocales ont peut-être été abîmées par ces 48 heures d'intubation.
 
J'écarquille les yeux... 48 heures ! Mais j'ai l'impression que nous avons quitté Paris il y a quelques minutes seulement.
J'essaie de lever le bras, mais une douleur dans la poitrine me décourage.
 
Le Dr Nadon pose sous ma main un cahier et place un stylo entre mes doigts :
 
- Si tu as des questions dans un premier temps, je t'en prie, écris-les. Je reste avec toi pour le moment, je veux veiller à ce que ton extubation se passe bien. Ton bras gauche est plâtré, mais ta maman m'a dit que tu es droitière, tu peux donc écrire pour l'instant.
 
Non sans difficulté, réveillant des douleurs dans mes côtes, j'écris sur le cahier :
 
- Où sont les autres ?
 
La femme me sourit à nouveau, avec ce qui ressemble à une pointe de tendresse.
 
- Tes amis ont subi des blessures eux aussi, mais comme toi, ils ont pu rapidement être pris en charge grâce aux automobilistes qui ont assisté à la scène, ils ont eu de très bons réflexes.
Leur état est stable, ils ont repris connaissance rapidement.
 
Il me semble qu'elle ne me dit pas tout. J'écris un « ? » sur le cahier, et elle se lève.
 
- Je vais demander à ta maman de nous rejoindre, si tu veux bien ?
 
Je lève et baisse la tête doucement en signe d'accord.
 
Ma mère entre dans la pièce et se met immédiatement à pleurer. Elle a le visage rouge, des poches sous ses yeux gonflés, et je comprends qu'elle a dû passer les dernières 48h dans une très grande angoisse. Je pleure aussi. Elle s'approche doucement, et je tends les doigts vers sa main, qui saisit immédiatement la mienne. Elle se penche pour m'embrasser et semble hésiter sur l'endroit où poser ses lèvres.
 
- Vous pouvez l'embrasser, elle ne sent pas la douleur grâce aux médicaments.
 
Mon regard interrogateur se fixe à celui de ma soignante, et elle répond à ma question silencieuse.
 
- Ton visage porte les traces des nombreuses contusions et coupures, consécutives aux tonneaux effectués par votre voiture. Ta mère a peur de te faire mal en t'embrassant.
 
J'écris aussi vite que ma mobilité me le permet : définitif ?
 
- Non Julia, tout va s'estomper, tu n'en garderas aucune trace, ou peut-être de toutes petites cicatrices.
 
Elle adresse un regard à ma mère, qui hoche la tête comme pour lui donner un accord silencieux.
 
- Julia, je dois te parler de ton ami Max. Il a été éjecté du véhicule dans la collision. Les secours ont mis du temps à le retrouver. Malheureusement, il était déjà en arrêt cardio-respiratoire depuis plusieurs minutes quand ils sont arrivés. Ils ne sont pas parvenus à le réanimer. Je suis désolée.
 
Mon cœur se serre, la douleur est immense, les machines autour de moi s'affolent et leur bip-bip n'a plus rien de régulier. Les larmes coulent, l'air me manque. Max... 

Son sourire, son odeur, son regard, nos souvenirs, nos étreintes, tout me revient en tête et m'étouffe. Malgré notre séparation, même si je ne l'aimais plus, comment imaginer la vie sans lui ? Mes larmes redoublent, je suffoque toujours.
 
- Calme-toi ma chérie, me dit ma mère, en pleurs, tout en caressant mes cheveux. Chut.
 
Elles me laissent pleurer longtemps, le temps que mon corps parcouru de spasmes s'apaise, et que les machines reviennent à leur musique lancinante.
 
Le médecin m'ôte le masque à oxygène quelques minutes plus tard, et quitte la chambre après m'avoir permis de boire un peu d'eau.
 
Céline entre dans la pièce, et s'effondre en me voyant. Nous pleurons toutes les deux, sans un mot, sa tête contre mon épaule, la mienne posée sur la sienne.
 
Ma mère quitte pudiquement la pièce.
 
- Je suis désolée, ma chérie, dit Céline après un long moment.
 
Je tente de prendre la parole et une voix étrange, métallique sort de ma bouche, ce qui nous fait sourire toutes les deux.
 
- Comment vont les autres ? je lui demande.
 
Elle grimpe dans mon lit et s'allonge délicatement à mes côtés.
 
- Ils sont en bonne santé, mais dévastés. Benjamin se sent hyper coupable, alors que les flics sont catégoriques, il n'aurait rien pu faire. Il a déjà réussi à éviter le choc frontal, ce qui tient du miracle, sinon vous seriez tous morts. La voiture vous a foncé dedans sur le côté, c'est pour ça que tu as le plus de blessures... 
 
Malgré les larmes qui me montent à nouveau, je lui demande faiblement :
 
- Tu peux m'expliquer ?
 
Céline prend alors soin de me rappeler les événements : les bouchons, la déviation, la forte densité de voitures et de camion sur cette route départementale, ce conducteur fou venant d'en face qui a perdu patience et a voulu doubler, a perdu le contrôle et est venu s'encastrer dans notre voiture. Et la ceinture de Max a lâché sous le choc, raison pour laquelle il a été éjecté. Une larme lui échappe, tandis qu'elle continue de m'expliquer les événements des 48 heures qui viennent de passer.
 
Enfin, je lui pose les deux questions qui ne quittent pas mon esprit depuis l'annonce du décès de Max.
 
- Ses parents ? Les funérailles ?
 
- Ils sont bouleversés... Sa mère n'arrête pas de demander de tes nouvelles, comme si elle se raccrochait à ton état de santé. Les funérailles auront lieu après-demain, nous allons tous y aller. Le Dr Nadon nous a dit que ta capacité de récupération te permettrait peut-être d'y assister.
 
Elle se lève, farfouille dans son sac et en sort mon téléphone, qui a souffert de l'accident aussi.
 
- J'ai appelé Sully, parce qu'il t'avait envoyé un sms. Il n'a rien dit. Je crois qu'il était choqué. Il m'a parlé d'un concours d'avocat, des Etats-Unis, je n'ai pas tout compris. Mais il sait.
 
- Merci.
 
J'ai sommeil, mes paupières se ferment et il m'est difficile de lutter. Mon amie quitte doucement mon lit, m'embrasse sur le front, et quitte la pièce.
 
*****

Mi-mars 2020
 
Je me réveille quand le doux soleil de printemps vient chatouiller mon nez qui dépasse de la couette. Cette nuit a encore été affreuse...
 
Mon mari m'a écoutée, papouillée et câlinée, jusqu'à ce que le sommeil m'emporte. Il a l'habitude de cette situation, cela fait quelques mois maintenant que tout cela a recommencé. Sa bienveillance est ma lumière dans la nuit, mais je ne peux continuer de lui faire porter ce fardeau plus longtemps.
 
J'ouvre un œil, et trouve un petit mot sur son oreiller.
 
« Mon amour, cette nuit a encore été éprouvante. Je t'ai laissée dormir, on prépare la déco de la fête avec Ninie. Je t'attends pour le traditionnel petit-déj pancakes d'anniversaire. J'espère que tu arriveras à mettre tout ça de côté, au moins pour la journée, pour elle.
N'oublie pas que nous, on est là, et on t'aime. »

Sous des cieux plus cléments [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant