Chapitre 15

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Août 2010
 
J'adore les ambiances d'aéroport. Tous ces gens, plus ou moins pressés, plus ou moins bien sapés, qui doivent tuer le temps avant d'embarquer nourrissent mon imagination, et je me plais à essayer de deviner ce qui les amène ici.
 
En ce premier jour d'août, il semble évident que certains partent en vacances. Lunettes de soleil sur la tête, shorts et robes fleuris, ceux-là ont déjà la tête ailleurs.

D'autres, en tenues formelles, sont clairement là pour un voyage d'affaires. 

Reste un million d'autres cas de figure à imaginer pour les autres futurs passagers : ce petit couple qui se câline en regardant un film, cette ado seule cachée derrière ses longs cheveux en train de lire une BD, ce père et son fils parlant une langue étrangère ensemble qui regardent un avion s'envoler avant de s'exprimer dans un français parfait quand ils demandent à un autre passager s'ils peuvent s'installer, pour s'assurer que les places ne sont pas occupées.
 
Ces situations font passer le temps rapidement, et avec lui l'appréhension. C'est mon premier vol « long courrier », je n'ai jamais volé plus de 2-3h pour me rendre en vacances. Ma condition niveau santé aussi me fait douter, et s'il se passait quelque chose ?
 
Je ne sais pas à quoi m'attendre, la personne qui m'a enregistrée (et m'a annoncé un surcoût pour mon bagage en précisant « ça coûte cher de déménager hein » avec un clin d'œil... euh... je n'ai pas commenté) m'a indiqué que j'avais été surclassée. Moi qui m'attendais à me faire disputer pour mon arrivée à la bourre, j'ai été plutôt agréablement surprise. Je n'ai par contre aucune idée de ce que cela peut signifier concrètement.
 
L'embarquement est annoncé, et je sens le stress monter. Je reporte mon attention sur la procédure que respectent chacun des passagers, pour mieux les imiter.
 
Je suis installée dans une partie fermée de l'avion, nous devons être une vingtaine de passagers. Trois rangées de deux personnes sur les côtés, et trois rangées de quatre personnes au centre, j'ai l'impression que nous sommes des privilégiés. Placée contre le hublot en début d'allée, le regard fixé sur la piste, je ne vois pas arriver celui qui sera mon voisin durant tout ce trajet. J'ai prévu de la lecture de toute façon - en anglais s'il vous plaît ! - alors je n'aurai pas le temps de discuter.
 
L'homme me salue poliment, puis s'assied à côté de moi. A peine s'est-il assis que les portes sont verrouillées, et bientôt l'avion se met à rouler vers le tarmac. Les instructions de sécurité données, l'hôtesse passe à côté de nous pour vérifier nos ceintures. Avec un clin d'œil, elle s'adresse à mon voisin en lui disant :
 
- C'était moins une cette fois encore !
 
Et c'est avec un accent québécois très marqué qu'il lui répond :
 
- M'en parle pas, j'ai été retenu en tabarnak à la sécurité !
 
Mes bonnes manières m'empêchent de pouffer de rire, mais un sourire étire mes lèvres à entendre cet accent que j'aime entendre de mon amie Jane. Ça ne fait que renforcer mon impatience de la retrouver. C'est sûrement pour ça qu'il me fait autant penser à elle, quelque chose en lui me rappelle mon amie. J'imagine que ce doit être l'accent.
 
Il se penche vers moi, visiblement encouragé par mon sourire, et me glisse, avec un accent beaucoup plus modéré :
 
- J'exagère chaque fois mon accent, les hôtesses adorent, j'ai du champagne gratis après !
 
Un rire s'échappe de ma gorge, vite balayé par le bruit du moteur de l'avion, qui prend son élan avant d'amorcer son décollage. Retenant mon souffle, je ferme les yeux et me concentre pour ne pas paniquer. Si j'aime la sensation de vitesse que la course sur la piste procure, j'ai vu trop de films catastrophes – sans compter les faits divers ultramédiatisés du Concorde, de Sharm El Sheikh, et du Rio-Paris l'an dernier... - pour me sentir sereine quand les roues de l'appareil quittent la terre ferme. Je déglutis pour déboucher mes oreilles, comme on me l'a toujours conseillé. Me sentant tout à coup observée, j'ouvre un œil et constate que mon voisin a les yeux rivés sur moi.
 
- Tu n'as pas l'habitude, pas vrai ?
 
Je secoue la tête pour lui répondre par la négative.
 
- Déjà, dit-il en attrapant ma main, tu devrais respirer.
 
Je retiens mon souffle depuis si longtemps que son observation provoque chez moi un soulagement et l'air pénètre à nouveau dans mes poumons. Je l'observe alors qu'il se tourne dans son siège pour se retrouver quasiment face à moi. Il est rassurant, avec sa carrure de joueur de rugby, ses yeux bleus, ses épais cheveux châtains retombant sur ses tempes, ses traits fins. Si je n'étais pas aussi stressée, je le trouverais sûrement beau. Mais là, la seule chose à laquelle je pense, c'est respirer.

Sous des cieux plus cléments [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant