Chapitre 26

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Le malaise grandit en moi alors que mon regard oscille frénétiquement entre les deux hommes.
Jane caquète comme elle le fait toujours quand elle est mal à l'aise – et bordel, il y a de quoi l'être !
 
- Oui, donc... David, je te présente mon frère, Alex. Alex, voici David, un ami de Julia.

- Oui, on vient de se présenter, merci.

La voix d'Alex claque dans l'air, accusatrice envers sa sœur, les yeux toujours rivés à ceux de Sully.
 
Ils se toisent, et je sais qu'Alex a reconnu, par le surnom qu'il me donne, l'identité de celui que je fréquentais en France avant mon départ. Terrée dans mon silence, j'observe la scène comme une intervenante extérieure.
 
Ils se serrent la main avec courtoisie, et Jane tourbillonne sur elle-même à la recherche d'une chaise ou d'un serveur, je ne sais pas.
 
Un couvert est finalement ajouté et le combat de coqs, enfin le souper, peut commencer. Ça ne devrait pas me faire rire, mais si je ne ris pas, j'en pleure. JAMAIS je n'ai connu une situation plus gênante...
 
- Alors, Miss Québec, comment se passent tes vacances nord-américaines ? m'interroge Sully, ou devrais-je dire David.
 
Il est très élégant ce soir, comme toujours. Il porte une chemise légère blanche cintrée, parfaitement ajustée à son torse ferme et ses épaules musclées de boxeur, et un pantalon de costard noir. Il semble tout droit sorti d'un cabinet d'avocats. Il est aussi sexy, mais bon, ça, le moment est mal choisi pour en parler.
 
Alex arbore une tenue plus décontractée, en chino bleu foncé et chemise bleu clair. Comme toujours extrêmement beau, malgré la lueur dure dans son regard ce soir.
 
Aucune ressemblance entre ces deux hommes, bien qu'ils soient canons tous les deux. Occupées à mes considérations comparatives, le nez rivé dans la carte, j'essaie de gérer mes émotions, et de mettre un peu d'ordre dans mes idées, totalement hermétique à ce qui se passe autour de moi.
 
- Julia ? ... Julia ?
 
Une main se pose sur mon épaule, et la douce voix d'Alex me ramène à la réalité.
 
- Julia, tu as fait ton choix ? m'interroge Jane, en anglais, de façon plus directe.
 
Les yeux écarquillés, je me tourne vers elle. Quoi, comment ça mon choix ?! Elle n'est pas en train de me demander de choisir entre eux deux tout de même...
 
- Pour le plat, ajoute-t-elle, comme si elle sentait ma panique. Le serveur attend.
 
Je lève la tête vers celui qu'elle me désigne d'un coup de menton. Celui-ci m'adresse un sourire poli, mais son regard trahit son agacement, genre « magne-toi, on est à New-York ici, time is money and I don't have time ».
 
Etant donné qu'il est payé au pourboire, c'est le plus désagréable qu'il puisse se permettre d'être, je pense.
 
L'estomac noué par cette situation digne d'un mauvais vaudeville, je choisis quand même ce qui semble être la spécialité de l'établissement.
 
- Oh oui, pardon, je vais prendre le Brenner Burger, s'il vous plaît, avec des waffle fries.
 
- Très bon choix, Madame, me répond-il en français.
 
Peu sensible à sa tentative d'être sympa – j'ai déjà un homme de trop dans ma vie ET à cette table, merci - je m'excuse immédiatement après qu'il ait quitté notre table pour me rendre aux toilettes.
 
-Julia !
 
Jane me rattrape et me tire vers la sortie, un paquet de cigarettes à la main.
 
- Tiens, dit-elle en m'en tentant une. Je me suis dit que l'instant était approprié pour faire une trêve de l'arrêt de la clope.
 
- Ouais.
 
Je saisis la cigarette qu'elle me tend, la porte à ma bouche tandis qu'elle approche son briquet. Le bout devient incandescent et l'effet apaisant de la première bouffée se fait sentir immédiatement. J'exhale la fumée par ma bouche, avec un soupir de soulagement. Au menthol, mes préférées.
 
- Euh Julia... je suis désolée, ça ne devait pas se passer comme ça. C'est prévu depuis le début des vacances que Sully nous rejoigne, ça avait été réglé avec Céline, on pensait te faire plaisir...
 
Jane a le regard rivé au sol, piteuse. J'ai beau être traversée de mille émotions différentes, dont de la colère envers elle, je perçois tout de même que l'intention de mon amie était de me faire plaisir en invitant Sully ce soir. Et comment aurait-elle pu deviner ce qui allait se passer avec Alex ?
 
Je pose la main sur son épaule et lui sourit doucement.
 
- Je me doute. Merci d'avoir voulu me faire plaisir.
 
- « Mais putain, qu'est-ce que tu me fous dans la merde », c'est ça ? répond-elle à ma place.
 
- Ouais grave ! lui dis-je en riant, me déridant un peu.
 
- Tu sais, Sully n'a jamais fait allusion à autre chose qu'à votre amitié dans nos échanges. Soit le mec est super galant et pudique, soit il n'a pas forcément d'autres intentions que celles-là envers toi au final. C'est un peu le moment de le savoir aussi.
 
- Attends, mais on les a laissés à deux, là ?! réalisais-je soudain.
 
J'écrase ma cigarette et entre en trombe dans le restaurant. L'air renfrogné d'Alex n'augure rien de bon, alors que Sully semble serein.
 
- Alors Sully, qu'est-ce que tu fais à New-York ? Quelle surprise de te voir, dis-je d'un ton qui se veut léger en m'asseyant.
 
- Je suis de passage dans le cadre de mes recherches de boulot, j'avais des rendez-vous dans des cabinets d'avocats aujourd'hui. Je rentre demain sur Boston, chez les parents.
 
- Ah tu vis à Boston ? intervient Jane. J'adore cette ville, c'est magnifique. Il faudra que tu y ailles un jour Julia !
 
- Oui, c'est une très belle ville. 

Un silence pesant s'installe durant quelques secondes, puis Sully reprend la parole:

- J'y pense : venez avec moi pour le week-end si vous voulez ! Mes parents sont encore en vacances, la maison est grande, et j'ai du temps devant moi, je pourrais vous faire visiter !
 
- Mais c'est une super idée, s'enthousiasme Jane sans me consulter.
 
C'est en effet une super idée, j'ai toujours rêvé de découvrir cette ville, dont j'ai eu un aperçu lorsque je regardais la série Dawson, quand j'étais ado, et de visiter Harvard.
 
Alex se tend, les mâchoires serrées, ce que Jane semble percevoir. Elle me regarde et ajoute :
 
- Enfin, si ça te tente Julia. On peut rentrer à Montréal comme prévu si tu préfères.
 
Je suis partagée entre mon envie de découvrir Boston, mais je suis aussi très consciente du message que j'enverrai à Alex si j'accepte.
 
Je sursaute lorsque ce dernier prend la parole :
 
- C'est canon Boston. Vous devriez y aller, tu vas adorer Julia.
 
Il m'adresse un sourire et détourne rapidement le regard. Son téléphone posé sur la table sonne à cet instant précis, et j'ai un pincement au cœur quand j'aperçois un prénom féminin qui s'affiche, Catherine. Il se lève et quitte la table pour prendre l'appel.
 
Bon, je suppose qu'avec un prénom pareil, ce n'est pas sa copine, ce sont plutôt les amies de ma mère qui s'appellent Catherine. Passant rapidement à autre chose, j'interroge Sully sur les dernières semaines, et ses recherches d'emploi.
 
Après quelques minutes, Jane se lève à son tour, au prétexte de se rendre aux toilettes. Me retrouvant seule avec Sully, nous nous fixons longuement, et c'est moi qui brise le silence.
 
- Alors comme ça, David hein ?
 
- Tu le savais non ?
 
- Visiblement pas, dis-je en riant. Enchantée, Julia, rétorquais-je pour plaisanter, en tendant la main par-dessus la table.
 
- Tu es radieuse, me dit-il en la serrant. A croire que l'air du Québec te fait du bien. Ou alors, ce sont les Québécois ?
 
Scotchée par son audace, je récupère ma main et reste bouche bée. Il ajoute :
 
- C'est cool de te voir heureuse, après ce qu'il s'est passé. Il manquait cette étincelle dans tes yeux. Après tout, ce sont les vacances, profite ! Si lui peut te l'apporter !
 
- Lui ?!
 
- J'ai bien vu comment le frère de Jane te regardait. Ou devrais-je dire, te bouffe du regard...
 
Et me voilà à nouveau toute gênée. Je dois être rouge du haut de mon crâne à l'extrémité de mes orteils. Pas le temps d'approfondir, ni de comprendre l'émotion dominante chez mon interlocuteur, puisque c'est ce moment que choisissent les frangins pour revenir.
 
Je baisse la tête, et entends la voix d'Alex s'élever :
 
- On interrompt un moment peut-être ?
 
Ah bah lui, il est agacé, au moins c'est clair !
 
- Non, du tout, rétorque calmement Sully. Julia et moi évoquions de vieux souvenirs.
 
Comme une ultime provocation, il ponctue son propos d'un clin d'œil équivoque, qui provoque de nouveau un sentiment de gêne en moi.
 
- Tiens Alex, j'ai manqué de politesse tout à l'heure, mais tu es le bienvenu à Boston aussi ce week-end si tu le souhaites. Enfin, si les filles décident de venir.
 
La tête toujours baissée, je n'ose relever le menton, la tension à table étant plus que palpable.
 
- J'aimerais, mais j'ai des obligations professionnelles.
 
Je le sens à deux doigts d'ajouter « MOI », et je pouffe toute seule. Tous les regards se tournent vers moi.
 
- Julia ? Tu vas bien ? s'inquiète Sully.
 
L'idiot, il a cru que je m'étouffais. Mon salut vient de Jane, qui détourne l'attention de Sully en lui posant des questions sur son quartier, ses lieux préférés et les endroits qu'il compte nous faire visiter à Boston.
 
La main d'Alex glisse discrètement sur ma cuisse, qu'elle presse doucement, alors qu'il me lance un regard plein de sous-entendus. Il se penche vers moi, sa bouche contre mon oreille, et susurre :
 
- Passe la nuit avec moi. Tu m'as manqué cette semaine.
 
En apnée, j'essaie de faire le tri dans toutes ces informations, cette soirée complètement folle, la chaleur qui naît sous la main caressante d'Alex, et le regard de Sully fixé sur ma bouche.
Mais comment je vais me tirer de ce merdier ?!
 
C'est finalement le serveur qui me sauve de la crise de panique en amenant les plats, avec un « Ahhh l'amour à la française » tonitruant, et prononcé en français. Notre réputation libertine semble en effet avérée à nous regarder, avec un homme qui me touche et l'autre qui me déshabille du regard.
 
Il fait chaud dans ce restaurant non ?!

Sous des cieux plus cléments [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant