Chapitre 4

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Novembre 2019
 
Blotties l'une contre l'autre dans le canapé, nous regardons un de ces téléfilms romantiques qu'Anna-Line affectionne, et dont la période de Noël nous abreuve sans limite. Cette petite a, sans aucun doute, hérité de moi ce côté fleur bleue. Elle aime ces histoires d'amour qui finissent bien, ces amours contrariées dont les problématiques se règlent vite, envers et malgré tous les obstacles.
 
Incorrigibles optimistes que nous sommes !
 
J'observe son père du coin de l'œil, qui s'est assoupi dans l'autre canapé, en ce dimanche pluvieux où nous profitons de la chaleur de la cheminée et nous laissons aller à ce moment d'oisiveté bien rare.
 
Anna-Line s'excite, elle sent que son moment préféré arrive !
 
- Maman, tu c'ois qu'y vont s'emb'asser ?
 
Je n'ai pas le temps de lui répondre que le héros prend sa belle dans ses bras, la bascule dans le vide et se penche vers elle pour poser un doux baiser sur ses lèvres. Un vrai baiser comme on n'en voit qu'au cinéma !
 
Et pourtant...

*****

Après ce grand moment de gêne, les questions se bousculent dans ma tête pendant deux jours. Que faisait-il à la fac ? Et dans cette tenue apprêtée ? Qui est-il vraiment ?
 
Les questions se multiplient et je commence à me dire qu'il est complètement inconscient de ma part de continuer à flirter avec quelqu'un dont j'ignore même le prénom !

Et si c'était un criminel ? C'est vrai que c'est commun les criminels qui se baladent dans les facs de droit...
Et s'il était marié et père de famille ?
Et s'il menait plusieurs vies ?
Et s'il se moquait de moi ?
 
Cette pensée me rend triste. Jusqu'à notre rencontre, Max occupait encore toutes mes pensées et je ne pensais pas qu'il serait possible de m'attacher à quelqu'un d'autre. Et me voilà, pauvre midinette, à m'amouracher d'un parfait inconnu.
 
Mon corps, ce traitre... Dès qu'il s'approche, dès qu'il me touche, même un simple regard et mon corps s'embrase, le désir naît instantanément dans mon bas ventre. Cet homme a un effet inédit sur moi.
 
Ce soir, c'est décidé, je lui pose toutes mes questions !
 
C'est donc avec une attention particulière, proportionnelle à mon appréhension, que je me prépare. Céline m'a rejoint pour se préparer, et nos amies Clémence et Safia seront de la fête ce soir. Je les ai rencontrées à la fac, et le courant est tout de suite passé entre nous, et avec Céline ensuite.
 
Clémence est la plus jeune d'entre nous, elle a sauté une classe en primaire, ce qu'elle ne manque jamais de nous le rappeler. Cette rousse aux yeux gris, au tempérament volcanique, ne se laisse pas marcher sur les pieds, elle est déterminée à devenir une grande avocate pénaliste et rien ne saurait entraver ses projets – surtout pas un homme.
 
Safia est beaucoup plus douce, elle qui attire tous les regards avec sa belle peau dorée et ses yeux d'ambre. Cette magnifique métisse des Antilles a rejoint la métropole pour poursuivre des études supérieures avec son copain Thibaut. En plus de former un couple magnifique, ils sont aussi des personnes de confiance, très à l'écoute. Malheureusement pour moi, Thibaut est désormais un très bon pote de Max, et la présence de Safia signifie que nous nous retrouverons tous au même endroit ce soir.
 
Toutes sont au courant, dans les grandes lignes, du « rapprochement » avec Sully, dont l'évocation provoque toujours la mauvaise humeur de Clémence. Elle ne l'a jamais rencontré, mais le déteste déjà par principe, considérant qu'il joue avec moi, ce qu'elle ne le supporte pas.
 
Après quelques papotages, nous nous mettons en route pour aller danser. Céline conduit ce soir, elle a été désignée comme notre "Sam". Clémence a décidé qu'en l'absence d'examens prochainement, ce serait une grosse soirée pour elle, Safia n'a pas le permis, et moi, ayant des choses à régler, j'ai préféré me laisser la possibilité de trop boire pour oublier !
 
Nous arrivons une vingtaine de minutes plus tard et le parking est déjà plein à craquer. Nous entrons et retrouvons les garçons près de la cabine du DJ, où notre ami Erwan officie pour la première fois dans notre boîte préférée ce soir.
 
C'est assez étrange de se retrouver dans cette configuration « comme avant », avec notre bande d'amis communs, dans cet endroit où nous avions nos habitudes. Le malaise grandit en moi. Je revois nos nombreuses soirées, nos jeux, nos vacances ensemble, et il apparaît soudain que cela n'arrivera plus jamais.
 
Céline comprend sûrement mon malaise puisqu'elle me traine immédiatement vers le bar.
 
- OK, donc là, tu vas tout de suite boire un grand shot de vodka caramel et on va aller danser ailleurs. Je n'aime pas voir ces grands yeux remplis de tristesse, qu'est-ce que tu me fais là ?! Ce soir, c'est la FIESTA !!!
 
Après avoir ingéré quelques shooters qui me réchauffent le corps et l'esprit, nous allons nous défouler sur la piste principale. Pas de podium ce soir, le cerveau sur pause et nous nous lâchons. Cette bulle de légèreté me fait un bien fou, et j'embrasse mon amie sur la joue pour la remercier d'avoir eu cette idée.
 
A cet instant, un homme vient se coller à nous sans aucune raison ni invitation, et tente de nous embrasser chacune notre tour. Nous le repoussons, mais il revient à la charge, se colle plus encore, une odeur de transpiration mêlée à celle du cannabis nous sature le nez. Un rire nerveux nous prend quand nos grimaces se croisent, et le comportement de l'homme devient alors plus insistant, comme s'il percevait dans notre rire nerveux une invitation à continuer de nous importuner.
 
Inquiète, perdue au beau milieu de la piste de danse bondée, je cherche un regard familier, tente d'apercevoir Max sur le podium, mais il n'y est pas, et les vigiles sont hors de portée.
 
Insensible à notre nervosité, l'intrusion de l'homme dans notre espace vital ne fait que s'accentuer. Il profite du peu d'espace sur cette piste de danse pour s'interposer entre Céline et moi, et me fait face. Il pose alors une main sur mes fesses, approche son visage près du mien, trop près du mien...
 
Je lève la main en guise de menace, cherchant mon courage et rassemblant mes forces pour le gifler aussi fort que possible... mais il est soudain comme aspiré en arrière et projeté au sol.
 
Il a l'air sonné. Je regarde le pauvre bougre par terre avec soulagement, puis me tourne vers mon amie pour m'assurer qu'elle va bien. Elle me sourit, puis adresse un « merci » silencieux derrière mon épaule, sur laquelle une main chaude vient de se poser. L'odeur qui emplit mes narines ne laisse aucune place au doute, c'est Sully qui est près de moi. Ne me laissant pas le loisir de lui faire face, il se colle à mon dos, et ses lèvres effleurent mon oreille :
 
- Décidément, tu as toujours besoin de moi la danseuse, me dit-il avec un sourire.
 
L'alcool effaçant mes inhibitions, je me retourne, mon corps toujours collé au sien, et lui réponds sans réfléchir :
 
- Ah ça ! Je vais finir par ne plus savoir me passer de toi !
 
L'espace d'une seconde, il affiche un air surpris. La seconde d'après, il me soulève dans ses bras, nous emmène hors de la piste de danse, s'arrête une fois que nous disposons d'un peu plus de place. Alors, il me repose contre lui, glisse son bras au creux de mes reins, me bascule en arrière et il vient poser ses lèvres sur les miennes avec ardeur.
 
Devant tout le monde.
 
Mais plus rien n'a d'importance que sa langue qui danse avec la mienne, son goût de menthe fraîche, la douceur de ses lèvres sur les miennes et la chaleur qui monte prodigieusement du plus profond de mon intimité et vient rosir mes joues.
 
Interrompant son baiser, il me fixe :
 
- Je te ramène ?
 
Les mots ne se formant pas dans mon esprit surpris, je hoche simplement la tête, me retourne et fais un signe de main à Céline que je découvre bouche bée à côté de nous. Je saisis la main qu'il me tend et me dirige à sa suite vers la sortie.
 
Derrière lui, j'observe sa démarche féline, son corps svelte et musclé avancer dans la pénombre, et je sais déjà que je ne poserais aucune question ce soir...
 

Sous des cieux plus cléments [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant