Chapitre 21

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Nous pénétrons dans le chalet et montons rapidement dans nos chambres respectives, sans un mot.

Après une douche salvatrice et revigorante, je revêts une longue robe fluide gris clair en coton, très simple. Sans maquillage, sans chichis, je me sens jolie. Sûrement encore les effets secondaires de notre escapade de fin d'après-midi...

Nous prenons l'apéritif sur la terrasse dans la bonne humeur, après cette belle journée. Neil nous raconte avec enthousiasme ses aventures aquatiques, et nous l'écoutons avec grand plaisir, son bonheur simple est contagieux.

Soudain, Alex se lève de table, le portable à la main, l'air soucieux. Il s'excuse auprès de ses parents et quitte la table, sous l'air narquois de Jane, qui ne manque pas de commenter.

- Est-ce qu'il y a du rififi à l'autre bout du monde ? dit-elle en riant.
- Arrête de lui coller cette réputation, tous les hommes ne sont pas Martin, lui rétorque Vicky.

Piquée à vif, Jane se lève de table et entre dans la maison. J'imagine qu'elle se réfugie dans sa chambre quand j'entends une porte claquer.

- C'était un coup bas Vicky, tu sais à quel point elle est sensible sur ce sujet, regrette Marie-Eve. Va discuter avec elle s'il te plaît, évitons les histoires et les conflits, au moins cette semaine.

Sans même discuter, Vicky obtempère et disparaît dans la maison. Assez mal à l'aise, je m'apprête à rentrer moi aussi, mais Marie-Eve me retient d'une pression douce sur mon avant-bras.

- Ne t'inquiète pas, l'orage passe très vite chez nous. Elles vont se parler, peut-être crier, pleurer, mais s'excuser. Je leur laisse 10 minutes pour descendre.
- Ah d'accord, dis-je, épatée qu'elle connaisse aussi bien la dynamique de sa famille.
- En attendant, parle-moi un peu de ta famille ! Nous n'avons pas encore eu l'occasion que tu nous parles de toi !

Alors que je leur raconte ma vie, Alex finit par nous rejoindre, et nous nous tournons vers lui alors qu'il reste debout, appuyé à la table.

- Pardon de t'interrompre Julia. Papa, Maman, est-ce que ça vous dérange si j'emprunte votre voiture ? Je vais devoir faire l'aller-retour sur Montréal ce soir.
- Non, non, bien sûr, mon grand. Rien de grave ? lui demande André.
- Rien d'ingérable, répond-il dans un clin d'œil. Je serai de retour demain matin sans faute.

Il se tourne vers moi, exprime un « désolé » muet, et file vers l'avant de la maison sans attendre.

Comme prévu par Marie-Eve, les filles reviennent à peine 5 minutes plus tard, les yeux rougis, Jane tenant Vicky par la taille et cette dernière un bras sur les épaules de sa cadette.

Nous profitons de la douce soirée à l'extérieur en riant et nous racontant des anecdotes sur chacun.

*****

Au réveil, je suis seule dans la maison silencieuse. Je sors de la maison par la grande baie vitrée et découvre les parents Gaudreau, assis et enlacés au bout du ponton. Comme décidé la veille, je m'affaire à préparer le petit-déjeuner pour tout le monde, mais en variante française, avec du pain perdu.

La petite famille apparaît alors que je termine de cuisiner, et la douce odeur les fait immédiatement réagir. Neil sur les épaules d'Alex, Vicky tenant Katie par les épaules tendrement, et Jane plaisantant avec son beau-frère.

Vicky et Katie, pourtant l'aînée et la cadette, se ressemblent comme des jumelles. Katie est très proche de sa sœur et de son neveu. Quant à Dan, avec sa haute stature, son teint laiteux, ses cheveux clairs et son style anglais, il dénote complètement dans cette famille.

Ce qui me marque le plus, c'est la ressemblance frappante entre Jane et Alex, et je me demande comment j'ai pu ne pas la remarquer plus tôt, avant de m'embarquer dans ce flirt.

A les voir ainsi, les uns avec les autres, complices, une bouffée d'émotions m'étreint, et je pense à ma propre famille, elle me manque.

Les derniers mois ont été difficiles, et la douleur semble s'abattre sur moi d'un coup.

Ressentant le besoin de m'isoler pour craquer, je prétexte d'aller chercher mon téléphone pour monter dans ma chambre. Je referme délicatement la porte, m'appuie contre le mur, et laisse mes larmes inonder mes yeux. Je glisse au sol, mes jambes ne me supportant plus. Ma cage thoracique compressée, la respiration courte, je laisse ce torrent d'émotions s'écouler, ne pouvant retenir cette douleur qui m'assaille. Mes pleurs sont ponctués de hoquets douloureux, m'empêchant de reprendre mon souffle.

La porte s'ouvre et Alex s'agenouille devant moi.

- Hey, qu'est-ce qui ne va pas ? s'inquiète-t-il.

Incapable de parler, il s'assied à côté de moi, m'attire entre ses jambes et m'entoure de ses bras, dans lesquels je me niche. Je l'entends murmurer des choses de sa voix réconfortante, et sa poitrine marque de grands mouvements d'inspiration et d'expiration apaisants, qui calment progressivement la douleur dans ma poitrine.

Après ce qui me semble être de longues minutes, je retrouve mes esprits, et tente de me dégager de son étreinte. Il saisit mon menton du bout des doigts, plonge ses yeux dans les miens, et d'un ton empli d'inquiétude, m'interroge :

- Est-ce que ça t'arrive souvent, ce genre de crise d'angoisse ?

Honteuse, je secoue la tête pour lui répondre par la négative.

- Tu veux en parler ?

De nouveau, je secoue la tête, et étire mon cou pour lui faire un bisou sur la joue en guise de remerciement.

- Non mais il se passe quoi ici ?!

Jane apparaît dans l'embrasure de la porte, et ses yeux lancent des éclairs jusqu'à ce qu'elle aperçoive les stigmates de ma crise d'angoisse sur mon visage.

- Calme toi Jane ! J'ai entendu ta copine qui suffoquait, je suis entré pour voir ce qu'il se passait. J'ai simplement appliqué la même méthode que celle qu'on employait pour Katie quand elle faisait ses crises d'angoisse.

Mais déjà Jane est accroupie devant moi, l'air angoissé.

- Qu'est-ce qui s'est passé ? Quelque chose ne va pas ? Et toi, lançant un regard noir à son frère, tu peux dégager maintenant. Appelle-moi la prochaine fois au lieu de t'en mêler.

- Ok Wonder Woman, j'y penserai...

Elle lève les yeux au ciel et s'adressant à nouveau à moi d'une voix douce :

- Est-ce que tu veux te reposer ?

- Non, je... Jane, je ne sais pas ce qui s'est passé. Je vous ai vus ensemble, heureux, et ça m'a émue, puis ça m'a bouleversée. J'ai repensé aux derniers mois et...

Ma voix n'est plus qu'un murmure, quand je lui avoue :

- Ma famille me manque. Je sais que je suis chanceuse d'être ici, mais j'ai pensé à eux, et j'aurais aimé partager ces moments avec eux.

- Appelle-les ma chérie ! Nos portables ne captent pas ici, mais nous avons un fixe. Mes parents ne se formaliseront pas pour un appel international, ne t'inquiète pas. Je te le ramène.

Elle s'éclipse, me laissant avec cette sensation désagréable que je suis bête. Je devrais profiter de mon séjour, de ma chance, et au contraire, je m'effondre en larmes. Complètement désemparée, je m'apprête à me lever et rejoindre le palier, quand j'entends des mots échangés à voix basse dans le couloir. Restant à distance, j'écoute sans être vue.

- Putain Alex, tu la laisses tranquille. T'as pas assez de tes hôtesses, tes coups d'un soir et d'une blonde dans chaque aéroport ? Elle est fragile, tu ne l'approches pas.

- Arrête, t'es ridicule, on dirait que tu ne me connais pas ! Et je ne lui veux pas de mal à ton amie...

- Je connais les pilotes, j'ai donné. T'as beau être mon frère, t'es pas différent. Si tu lui fais du mal, je t'arrache les tripes, t'as compris ?!

Ainsi, c'est donc ça qu'il ne me fallait pas écouter. Alex est un pilote d'avion/Don Juan à ses heures. L'attention de l'hôtesse à son égard dans l'avion, le tutoiement, les yeux doux qu'elle lui faisait, tout cela aurait dû me mettre la puce à l'oreille. Je sais ce que Jane a vécu lorsqu'elle a eu une relation avec son pilote d'avion, Martin, et à quel point elle a souffert de son côté inaccessible, insaisissable, jusqu'à ce qu'elle lui fasse une surprise qui a mal tourné et lui a brisé le cœur.

Je me dépêche de m'asseoir sur le lit avant qu'elle n'arrive. Elle entre dans la chambre et me tend le téléphone avec un sourire triste sur le visage.

- Merci. Mon coup de mou est contagieux, ma Jane ?

Elle me fixe, surprise, puis s'assied à côté de moi, les épaules basses.

- Oh, je repensais moi aussi aux temps plus heureux, quand tout allait bien.

Elle se lève et se positionne face à la fenêtre.

- Ça me manque l'insouciance de l'enfance, tu vois. Quand on ne devait penser à rien d'autre qu'à s'amuser, se nourrir et être aimé. Les voyages, la vie sur la route, les tournées, c'est génial, mais à la fin de la journée, tu es seule. Parfois, ça me pèse et j'envie la vie de famille de ma sœur. Vous me manquez, ma famille me manque.

Elle soupire, puis sourit avant de reprendre, plus enjouée :

- Mais ensuite, le lendemain matin, tu te lèves, et tu accomplis ton rêve, tu danses pour gagner ta vie, tu es entourée par ta troupe et ton cœur se gonfle de nouveau de joie. Bref, tu vois quoi !

- Oui je vois, lui dis-je avec un sourire compatissant. On appelle ma mère ? Tu la connais, elle va entendre nos petites voix et nous insuffler un max d'énergie.

Le sourire regagne nos visages alors que nous discutons avec ma mère. Cette femme solaire, courageuse et bienveillante nous questionne sur nos activités, le temps qu'il fait, les beaux mecs qu'on a croisés, elle nous fait rire et nous encourage à bien profiter.

A peine raccroché, je prends Jane dans mes bras et lui colle un gros bisou sur la joue.

- Désolée de t'avoir peinée.

- Dis pas n'importe quoi, je suis tellement heureuse que tu sois là. Tout le monde est heureux que tu sois là. Mon frère un peu trop d'ailleurs... si tu vois ce que je veux dire, me balance-t-elle dans un grand éclat de rire.

Elle m'observe, et je me dépêche de répondre, bottant en touche malgré mes joues rougissantes.

- Non, il est juste très sympa avec moi. Sans lui, je ne sais pas comment j'aurais pu me calmer tout à l'heure.

- Ouais c'est ça. Je ne suis pas aveugle hein, mais pas grave si tu ne veux pas m'en parler. Je finis par tout savoir, tout finit par se savoir, mouahahahahah ! s'élance-t-elle en imitant un rire diabolique.

Pour toute réponse, je lui lance un coussin au visage. Choquée, elle s'arrête immédiatement, avant de le saisir à son tour et de venir m'attaquer avec.

En pleine bataille d'oreillers, nous entendons tousser à la porte. Marie-Eve se tient dans l'embrasure, et nous regarde d'un air amusé.

- J'ai besoin de bras pour préparer le déjeuner. Les voisins viennent, il y a des tonnes de bouffe à préparer.

- Ah les voisins, genre les Maxwell ? interroge Jane avec un intérêt particulier.

- Ceux-là mêmes, et tout le monde est présent, lui répond sa mère avec un clin d'œil complice.

Les joues de mon amie rosissent, et il me tarde de rencontrer cette famille pour comprendre pourquoi.

En attendant, nous nous levons et descendons pour aider à la préparation du repas.


***

Août 2020

Installée sur mon transat, un livre en main, lunettes de soleil sur le nez, j'entends l'animation autour de moi et goûte au bonheur de cet instant. Le soleil me réchauffe, m'enveloppe de sa chaleur rassurante et apaise mon corps.

La psychologue que je consulte depuis quelques semaines maintenant m'a conseillée de revenir sur les lieux de ma première crise d'angoisse, alors que c'est quelque chose que je redoutais de longue date.

Ce lieu me ressource, il me rappelle de beaux moments, et je mesure le chemin parcouru avec la psy depuis que j'ai commencé mon suivi. Elle pratique l'hypnose, et je n'ai plus connu de crise depuis que nous avons démarré nos séances. Les voyages en transports étaient devenus difficiles avec l'angoisse que j'avais développée autour de la route quand je n'étais pas au volant. Et clairement, traverser le pays pour cette semaine avec toute la famille m'aurait été impossible sans partager le volant pour effectuer le trajet.

J'entends les cris des enfants, et les menaces de leurs papas qui jouent avec eux dans la piscine.

Jane, allongée à mes côtés, profite des derniers moments de calme en cette fin de grossesse. Je l'observe du coin de l'œil, dans toute sa beauté de femme enceinte comblée. Elle l'a attendu ce bonheur, tant espéré, même si elle savait que ça mettrait un point final à sa carrière internationale. Mais depuis qu'elle avait rencontré l'amour, ses envies avaient rapidement changé, et ses projets en conséquence. Elle m'avait confiée cette évidence qui l'avait frappée quand elle avait posé les yeux sur lui, le calme qui l'avait envahie et avait réveillé cette envie pour elle de fonder une famille. Pourtant, tout n'avait pas été simple, et ils avaient dû faire preuve de patience pour se retrouver, s'aimer, vivre sous le même toit et réussir à concevoir cet enfant qu'ils attendaient tant. Ils ont dû être aidés par la science pour y parvenir, et c'est ainsi qu'ils ont dû se préparer non pas à un mais à deux heureux événements.

La conversation que nous avions eue 10 ans auparavant me revenait, j'avais ressenti tellement de tristesse dans son discours, je l'avais sentie perdue, jusqu'à ce qu'elle se souvienne que c'était son rêve qu'elle réalisait, et son sourire était revenu. Aujourd'hui, je crois qu'elle a réussi à combiner ses deux envies : sa réputation professionnelle n'est plus à faire, et elle va pouvoir découvrir les bonheurs (et les galères, ne nous mentons pas) de la vie de famille.

Dans un soudain élan d'amour, je me redresse et lui claque un gros bisou sur la joue.

- Calme toi Marraine, tu vas réveiller les bébés à me faire sursauter.
- Vous verrez les petits choux, on s'amusera à faire sursauter Maman ensemble quand vous aurez l'âge ! On va se marrer ! Je vous aime déjà !
- Sers-moi plutôt un verre de citronnade au lieu de commencer à leur apprendre des bêtises ! Et s'il reste du gâteau, j'en veux bien aussi !

Je me lève en soufflant plus fort que raisonnable, pour la faire rire, et me dirige vers la cuisine en lui criant :
- T'inquiète, j'aurai bientôt ma revanche !

Se redressant sur son transat subitement, elle hurle, provoquant un éclat de rire chez moi :
- QUOI ?!

Sous des cieux plus cléments [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant