*Jeudi 30 avril 2015 — fin de matinée*
Cher Journal,
Des fois, je me demande réellement si c'est facile de les avoir, finalement, Marion et Sally-Anne.
On peut dire que, malgré leurs caractères opposés, elles font bien la paire. Je ne sais pas comment elles font pour deviner quand un mensonge est raconté — peut-être à cause des gestes, des émotions, de la façon dont on parle, ou de leur détecteur de mensonges accroché à leurs antennes ? — mais elles sont très fortes en la matière. Elles ne m'ont pas cru, ce matin, par SMS, à mon histoire où je me trouvais seule à la maison, car elles avaient entendu les gazouillis d'Actarus. Incroyable, non ? Enfin... tu me diras, tout le monde sait que la nourrice de mon petit frère prenait toujours ses vacances au début des périodes scolaires (il faut donc que je m'occupe d'Actarus à ce moment-là, étant la seule disponible à la maison) : ma famille, mes amis, les collègues. Ce n'est pas si compliqué à le savoir, tout le monde me voyait avec mon frère pendant les vacances. Il faut bien que quelqu'un s'occupe de lui.
Toujours pas de nouvelles de Christian — le père d'Actarus — depuis presque un an. Il n'avait même pas essayé de savoir le sexe du bébé quand il est né, de demander si ça allait, si maman lui en voulait de l'avoir abandonnée au moment où elle avait le plus besoin de lui. Si je lui en voulais d'être parti comme ça, sans dire un mot.
J'aimais Christian comme un père de substitution. N'ayant pas connu mon géniteur, j'avais grandi sans figure paternelle, en-dehors de mon oncle et de deux de mes cousins, Léo et Teddy. J'étais donc ravie que maman ait rencontré quelqu'un... même si, au départ, Christian n'était qu'un ami. Je m'étais tout de suite bien entendu avec lui quand maman me l'avait présenté, quelque temps après ma rentrée des classes en CM2. C'était un gars bien, il possédait un sens de l'humour bien à lui (pas le genre lourdingue, tu vois, mais pour détendre l'atmosphère là où il fallait), et même si je n'étais pas sa fille par le sang, Christian me considérait comme telle. Et on faisait avec lui un tas d'activités comme toutes les familles normales. J'adorais cette ambiance familiale, tout ce que je voulais est que cela ne s'arrête jamais.
La grossesse de maman, survenue au moment où je faisais mon année de 4ème, avait ravi tout le monde. Là aussi, j'espérais que rien ne pourrait détruire notre bonheur. Tout roulait comme sur des roulettes. Mais... j'aurais dû me douter que c'était trop beau pour être vrai. La vie était loin de ressembler aux contes de fées que la plupart des gens rêvaient — elle donnait des coups bas mortels là où nous nous y attendions le moins.
Christian était parti du jour au lendemain sans laisser d'adresse, maman eut le cœur brisé pour la seconde fois. Et pour la seconde fois... elle s'était retrouvée seule avec un enfant sur les bras.☆☆☆
Il était la dernière personne que je m'attendais à voir, en allant faire une promenade matinale avec Actarus. Après un an sans avoir donné de nouvelles — sans avoir répondu à mes messages Facebook — il osait venir ici, tout penaud, comme une fleur ! Comme si c'était normal ! Comme si rien ne s'était passé depuis un an !
Il était dix heures passées lorsque je fermai la porte d'entrée derrière moi et traversai la cour, Actarus dans mes bras. Mon petit frère allait bientôt fêter son premier anniversaire, et ses cheveux châtain clair aux reflets roux avaient bien poussé depuis quelque temps. Ses gazouillis faisaient sourire tout le monde et apportaient de la détente. C'est fou comme un bébé aussi mignon attirait la joie et la bonne humeur autour de soi !
Je sortis ensuite par le portail, à l'entrée de la cour emplie de cailloux, afin de rejoindre la rue. Il n'y avait pas grand monde à cette heure, ce qui, entre nous, n'est pas étonnant puisqu'une partie des gens étaient partis en vacances pour Pâques. Besoin de se reposer après des semaines de stress accumulé au travail et durant la vie quotidienne.
La clé venait de tourner dans la serrure du portail, quand une voix reconnaissable mais que je n'avais pas entendue depuis longtemps s'éleva :
- Félicia ? C'est bien toi ?
Le sursaut que j'ai eu ! Puis le choc remplaça bien vite l'interrogation, et enfin la colère quand je l'aperçus.
Devant moi, un homme du même âge que ma mère, dans les un mètre soixante-dix-sept, les yeux bleu ciel, les cheveux noirs plus longs que dans mon souvenir (là, ils lui atteignaient à peine les épaules), et habillé d'un pull-over gris sous une veste de demi-saison vert kaki, un jean délavé et des baskets gris. Une barbe de trois jours apparaissait sur son menton. Plus rien à voir avec le père de substition que j'avais connu et aimé. Il m'avait d'ailleurs fallu quelques minutes avant de réaliser qui était le nouvel arrivé apparu sous mes yeux en une fraction de seconde.
Christian Vincent.
Le second compagnon de maman, mon beau-père... et le père d'Actarus, de surcroît. Le père de ce petit garçon qu'il ne connaissait pas, puisqu'il s'était tiré en prenant peur face à ces nouvelles responsabilités.
Inutile de te préciser que ma vieille colère était remontée, et je lui avais glacialement rétorqué ce qu'il faisait ici et ce qu'il voulait.
- Je suis venu m'excuser auprès de ta mère, répondit-il. Pour ce que je lui avais fait subir, il y a un an. Pour vous avoir abandonnés tous les trois. Et pour ne pas avoir donné de nouvelles à tes messages Facebook. Je me suis comporté comme le pire des abrutis !
- Il t'a fallu un an pour comprendre les conséquences de tes actes, et ce que maman et moi avions ressenti après ton départ de lâche ? Qu'en un an tu n'avais donné aucune nouvelle sur où tu étais passé, et ce que tu faisais ? Bravo, Sherlock ! ironisai-je sur un ton toujours froid, avant de lâcher : Je suis heureuse que tu te rendes compte du mal que tu as causé, mais c'est un peu tard pour t'excuser. Tu as fait ton choix il y a longtemps. Et tu ne fais plus parti de nos vies.
- Oui, je sais que mon comportement est inacceptable. Ce n'était pas contre toi, ou contre ta mère, que je me suis barré... en réalité, le problème vient de moi ! J'ai eu peur des responsabilités, de ne pas être un bon père pour le bébé. Cela devenait de plus en plus oppressant de jour en jour, au point d'en devenir insupportable. Et... j'avais pris la décision la plus stupide de toute ma vie. Aujourd'hui, je n'en suis pas fier. Je réalise qu'au final, je ne vaux pas mieux que ton père biologique.
Ça, c'est le cas de le dire. En se barrant sans donner d'explications, Christian avait fait mal à beaucoup de monde — maman, moi qui l'aimais comme un vrai père, et au final lui-même. La culpabilité et la sincérité se lisaient sur son visage et dans ses yeux. Mais je me méfiais, ça pourrait être un piège.
Le regard de Christian se posa sur mon frère, endormi et bien calé dans mes bras.
- C'est mon enfant ?
Je hochai la tête :
- Oui, un petit garçon. Maman l'a appelé Actarus — comme le héros de son roman. Il est né en excellente santé le 29 mai 2014 à 17h17, après ton départ.
Christian accusa le coup sans broncher. Une partie de mon être était désolée pour lui, il regrettait énormément ce qu'il avait fait, et l'autre partie criait qu'il n'avait eu ce qu'il méritait, qu'il n'avait pas à nous abandonner comme il avait fait. Allez savoir comment j'avais fait pour trouver le courage de lui jeter à la face tout ce que je ressentais, mais il avait besoin de connaître le fond de ma pensée. Je n'avais en conséquence eu aucune pitié pour lui quand je lui avais rétorqué tout ce qui m'assaillait en sentiments depuis un an.
Je ne savais pas si ce que je m'apprêtais à dire était la bonne décision ou pas, mais j'annonçai à Christian qu'il pouvait venir voir Actarus de temps en temps, quand il le voudrait. Mon ex-beau-père fut surpris, mais je le stoppai net avant qu'il n'ouvre la bouche.
- Je te dis ça parce qu'Actarus a besoin d'un père, et que je ne veux pas qu'il vive la même chose que moi, à savoir grandir sans savoir qui est son père biologique, déclarai-je. Mais, que l'on soit bien clairs : je ne suis pas prête à te pardonner pour ce que tu as fait. Du moins, pas encore. Je me porte garante pour parler à maman. Tu sais qu'elle m'écoutera, et qu'il lui faudra du temps pour peser le pour et le contre.Je te tiendrai au courant de son choix.
- Félicia...
Christian voulut dire quelque chose mais s'abstint au dernier moment. Lui pardonner tout de suite est au-dessus de mes forces actuellement, pas après sa trahison d'il y a un an. Pour autant, j'accepte qu'il rende visite à Actarus uniquement pour l'intérêt de mon petit frère, qui n'avait demandé à personne de ne pas connaître son père. Peut-être qu'un jour Christian comprendra que la confiance va dans les deux sens ? Va savoir.
J'ai appelé Hoshi pour lui expliquer ce qui venait de se produire, après le départ de Christian, au cours de ma promenade. Elle a été catégorique à ce sujet :
- Fais gaffe quand même, ça pourrait être une ruse ! Après ce qu'il a fait à ta mère...
- Je sais bien ! Mais si tu avais à quel point il regrettait ses actes passés, ça t'aurait brisé le cœur comme ça m'a brisé le cœur. Certes, je lui ai donné une chance de se rattraper en passant voir Actarus, ça ne veut pas dire que je lui ai pardonné. Je garderais un œil sur lui.
C'est ce que je ferai. Et la plus difficile à convaincre, en revanche, ce sera ma mère...

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𝐿𝑒 𝑗𝑜𝑢𝑟𝑛𝑎𝑙 𝑖𝑛𝑡𝑖𝑚𝑒 𝑑'𝑢𝑛𝑒 𝑓𝑢𝑡𝑢𝑟𝑒 𝑒́𝑐𝑟𝑖𝑣𝑎𝑖𝑛𝑒
Ficção Adolescente« Félicia Starling est une collégienne sans problèmes. Elle a ses amis, ses amours, ses emmerdes... comme tout le monde ! Afin de faire passer le temps, elle écrit ses journées dans son journal intime. Page par page, on découvre une adolescente comm...