*Mercredi 1er avril 2015*
Cher Journal,
Il y a une panne mondiale d'électricité, suite à un court-circuit qui a fini par exploser dans une usine du Connecticut, aux États-Unis d'Amérique. Résultat : plus d'Internet, plus de télévision, plus de télétravail ou de paiement par carte bancaire, et surtout... PLUS DE TÉLÉPHONE PORTABLE ! Plus de communication du tout. Retour à l'ère préhistorique.
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POISSON D'AVRIL !
T'y as cru, n'est-ce pas, cher Journal ? Tu aurais dû voir ta tête, c'était trop hilarant. (Même si je doute qu'un journal intime puisse avoir des expressions humaines.)
Mais passons à quelque chose de beaucoup plus sérieux, cette fois. Ce que je vais te raconter là est tout, sauf un poisson d'avril super cool.
Après la matinée de cours (on s'était éclatés à faire des poissons d'avril à tout le monde) et le retour Blois-Cheverny en bus de ville à midi et des brouettes, je récupère au passage Actarus chez sa nourrice avant de rentrer à la maison. Xavi avait demandé s'il pouvait passer chez moi cet après-midi, parce qu'il voulait mon aide pour le français et l'anglais, et avait aussi besoin d'un coup de main pour terminer le projet à rendre en cours d'arts plastiques, demain après-midi. C'était un peu tendu chez la cousine de sa mère, en ce moment, alors il avait besoin de travailler au calme. Je n'allais bien sûr pas le laisser tomber, alors j'ai accepté.
Xavi m'a beaucoup remercié. Il a répété que j'étais une amie géniale et qu'il me revaudrait ça.
Maman et Stacy travaillaient, c'était idéal pour bosser sur les devoirs à rendre sans avoir un adulte sur le dos. Mais revenons-en au fait.
Alors que mon ami venait de dessiner les derniers détails de sa planche de BD (c'était le projet en arts plastiques cité plus tôt) et que je lui expliquais ensuite ce qu'il fallait faire pour la rédaction en français, Actarus s'est réveillé de sa sieste. Du haut de ses presque un an, il a commencé à pleurer et à bouger dans tous les sens, dans sa gigoteuse. Il faisait ses premières dents. Je l'ai détaché de son landau et pris dans mes bras pour le calmer. Ses joues étaient toutes rouges.Lors de ma tentative de le bercer, Xavi en a profité pour se rendre aux toilettes. Il devait absolument « faire pisser le monstre », ou sa vessie allait exploser. Il m'a demandé s'il pouvait y aller et je lui ai montré le chemin. Il a foncé à l'étage sans demander son reste. Sa vitesse m'épate - il serait champion dans la course à pied, s'il l'utilisait comme il vient de le faire pour aller aux toilettes.
Je continuais à consoler Actarus, répétant les mêmes gestes rassurants jusqu'à ce que ses pleurs cessent. Il se blottissait contre moi, la tête sur mon épaule, et ses joues rouges et ruisselantes de larmes restaient ainsi pendant quelques minutes. On entend souvent dire : « Faites des gosses, qu'il disait - ça va vous épanouir ! » Peut-être par lassitude, ou que les parents en voyaient de toutes les couleurs avec leurs propres enfants. De mon point de vue, cependant, avoir un enfant n'avait pas que des inconvénients... J'essuyais les larmes d'un revers de la manche en fredonnant ce que maman me chantait quand j'étais petite, le soir, pour m'endormir :Dans la forêt lointaine,
On entend un coucou.
Du haut de son grand chêne,
Il répond au hibou :
« Coucou hibou, coucou hibou, coucou !
Coucou hibou, coucou hibou, coucou ! »Cette petite comptine suffit à calmer mon frère, dont les yeux se fermèrent au fur et à mesure que je continue à la fredonner en marchant et en bougeant comme une débile. Oui, ça fait cliché, mais je vous jure que c'est ce qui s'est passé. Vous devez sans doute imaginer la scène à mesure que je vous conte ma journée à travers ces lignes.
Actarus s'était complètement endormi, quand Xavi est revenu au rez-de-chaussée. Cette fois son visage était pâle comme un linge, pas du tout celui de quelqu'un qui sortait des toilettes. En fait, c'est comme si on venait de lui annoncer une mauvaise nouvelle.
J'étais à ce stade de mes réflexions lorsque j'ai fini par poser la question qui me brûlait les lèvres :
- Ça ne pas pas, Xavi ? On dirait que tu viens de croiser le fantôme de Gilles de Rais.
Il fallut un moment à mon ami pour retrouver le don de la parole.
- Je... Je crois qu'il y a quelqu'un là-haut. Dans la chambre de ta mère, bredouillait-il, tout en essayant de retrouver ses esprits. Je venais de sortir des toilettes quand un bruit suspect dans le placard a attiré mon attention. Et, dedans, une voix creuse en est sortie : « Le grand méchant loup va venir te dévorer dans pas longtemps. »
Pendant son récit, mes yeux se sont agrandis de terreur. Je l'avais regardé sans comprendre sur le moment la complexité des paroles de Xavi. D'un côté, j'avais du mal à le croire, mais, de l'autre, une petite voix me disait que c'était tout SAUF des salades. Et mon avis finit par aller en ce sens, parce que mon ami n'est pas le genre à raconter de mauvaises vannes pour se faire remarquer.
Et puis, ce qui m'avait poussée à le croire, c'est que Xavi semblait sincèrement chamboulé. Ça se voyait dans la prunelle de ses yeux... Cette lueur me prouvait qu'il ne mentait pas.
Il fallait que j'en sache plus. Même si ça me tuait de pousser Xavi dans ses retranchements, je l'ai fait malgré tout, car il se pourrait que l'homme dans le placard de la chambre de ma mère soit un voleur ou pire, un psychopathe...
D'une voix basse je lui avais posé toutes sortes de questions. Actarus dormait à présent bien profondément contre moi. Pas question de le réveiller.
- Bon, alors, tu n'as rien remarqué en allant aux toilettes ? Un détail qui te semblait bizarre, ou autre ?
- Non, avait avoué Xavi, rien de particulier. Du moins, pas sur le moment... j'étais tellement pressé de pisser que je n'ai pas fait attention. C'est seulement après que j'ai vu la porte de la chambre de ta mère grande ouverte, puis celui, légèrement entrouvert, du placard. Je suis sûr, Félicia, qu'il y a quelqu'un dedans !
- OK, je te crois. Bon, on ferait mieux d'aller y jeter un coup d'œil. Histoire d'être certains. Prends Actarus avec toi et filme avec ton portable. Si jamais ce que tu dis est vrai, on aura au moins une preuve à montrer aux flics.
De mon côté, je prenais également mon portable, le téléphone fixe, et deux gros couteaux de cuisine. Un pour moi, un pour Xavi. C'était exagéré, mais nous pourrons tout de même nous défendre...
Après avoir rangé tous nos cahiers et les trousses et caché nos sacs de cours sous l'îlot central de la cuisine, nous montâmes à l'étage dans la plus grande des discrétions. Xavi tenait mon petit frère et l'un des couteaux d'une main, son téléphone d'une autre, et je passais devant avec mon propre couteau serré dans mes deux mains. Si nos amis avaient assisté à notre manège, ils auraient pensé à un poisson d'avril. Mais ce n'est pas du tout un poisson d'avril. Il y avait quelqu'un dans ma maison, et il n'était pas question qu'on se fasse kidnapper, tuer, ou quelque chose dans ce genre-là. En ce qui me concerne, je ne tenais pas à mourir jeune...
La peur me gagnait en arrivant dans la chambre de ma mère. Qui sait ce qui allait se passer, au cours des prochaines minutes ? L'homme à qui appartenait la voix allait-il nous sauter dessus ? Moi-même je ne pouvais pas prévoir les évènements, et pourtant j'aurais aimé avoir un radar intégré comme sixième sens. Je n'osais même pas imaginer, c'est dire à quel point c'était stressant.
J'avais pris une grande inspiration et, d'un coup sec, j'ouvris d'un coup sec le placard en grand. Ce qui apparut sous nos yeux nous choqua, et me mit dans une colère noire.
- Qu'est-ce que vous faites ici, dans ma propre maison ?
Dans le placard de ma mère, était caché un homme de grande taille, à l'air sale et mal rasé, aux yeux bleu-gris, et aux cheveux poivre et sel mal coupés. Il possédait également un air de psychopathe et une aura terrifiante, le tout qui clourait n'importe qui sur place. Et ce fut mon cas, malgré que j'essayais de garder un air de colère sur mon visage (ce qui n'est pas simple, reconnaissons-le). Il y avait un je ne sais quoi de louche en lui. De plus, il me semblait avoir déjà vu son visage quelque part...
À ce moment j'avais réalisé que Xavi disait la vérité, et qu'il ne racontait pas de salades quand il avait entendu du bruit tout à l'heure. J'ai vu à sa tête qu'il aurait aimé se tromper. Moi aussi, car l'homme s'esclaffa d'une voix creuse :
- Bravo, les mioches ! Je ne pensais pas que vous me repéreriez aussi rapidement. C'est impressionnant. Vous auriez dû être détectives.
Sur ces mots, il sortit du placard pour faire face à nous.
Soudain, un souvenir me revenait en mémoire : il y a quelques jours, un dangereux tueur s'était enfui d'une prison non loin d'ici, après s'être échappé d'un transfert et avoir sérieusement blessé les deux gardes. Les flics le recherchaient partout. Je crois que son nom est Georges Statham (comme l'acteur américain Jason Statham), ou quelque chose de ce genre. C'est un dangereux psychopathe et mieux vaut se tenir à distance de lui si jamais il nous semble le reconnaître au coin de la rue. Dans ce cas-là, il fallait appeler les flics.
Et nous l'avions juste en face de nous, dans ma propre maison, alors que ni Stacy ni maman ne rentrerait avant la fin de journée. Je pense que Xavi a dû arriver à la même réflexion que moi, parce qu'il se met à trembler comme une feuille. Actarus dormait toujours aussi paisiblement dans ses bras.
Si on n'intervenait pas, ce mec - Georges Statham - allait nous tuer sur-le-champ. Je sentais le coup venir, alors je sommais mon ami d'une voix ferme de mettre mon frère à l'abri. Mais aussi :
- Xavi, va appeler les flics. On a affaire à un tueur en série.
- Quoi ? Mais qu'est-ce que tu racontes ? T'as perdu l'esprit ou quoi ?
- Fais ce que je te dis ! Ce gars se prénomme Georges Statham, un évadé de prison. Les flics le cherchent partout. Alors dépêche-toi de sortir d'ici, et vite !
J'avais eu raison de le pousser dans ses retranchements, parce que l'autre malade de Georges Statham lâchait un ricanement à vous glacer le sang.
- Félicitations ! Je vois qu'il y en a une d'assez clairvoyante pour deviner qui je suis réellement, dit-il d'une voix de baryton. Malheureusement, je ne peux pas vous laisser faire ça. C'est bien malheureux pour vous, les enfants, mais je vais devoir vous réduire au silence... Argh !
Le tueur venait d'achever sa phrase, que je plantais sans crier gare mon couteau de cuisine dans la cuisse. Du sang coulait de sa blessure. Xavi était sorti de sa torpeur et fonçait en-dehors de la chambre. D'une part, se cacher et mettre Actarus en sécurité, et de l'autre, veiller à ce que l'autre cinglé ne sorte pas d'ici avant l'arrivée des secours.
Allez savoir comment le courage m'est venu pour agir aussi vite, mais je l'ai fait. Bien sûr, je suis contre la violence et les actes de barbarie, et je ne tenais pas devenir une meurtrière à presque 15 ans.
Alors je lâchais mon couteau au loin pour ne pas que George Statham l'attrape, pendant qu'il tombait à genoux au sol en poussant des jurons, et ensuite tout s'était déroulé à la vitesse de l'éclair. Je redevenais la judokate des entraînements. Je l'avais chopé par le col et je l'envoyais par-dessus mon épaule avec une telle force dans la prise qu'il était impossible d'en ressortir indemne. En effet, l'homme fut assommé dès qu'il atterrit sur le sol. Incapable de bouger. Parfait ! Ça allait nous laisser le temps de prévenir les flics.
En me précipitant dans le couloir, j'ai vu Xavi au téléphone, essayant de convaincre la personne à l'autre bout du fil de ce qui se passait. Elle devait certainement croire à un poisson d'avril. Je comprenais sa réaction - qui penserait que le tueur en série le plus recherché de France, évadé de prison, se cacherait-il dans une maison ?
Pourtant, ce n'était pas le moment de plaisanter. J'ai alors arraché le téléphone de Xavi de ses mains (tout en lui faisant signe de garder un œil sur l'homme) et j'ai confirmé d'une voix très sérieuse que tout ce que venait de lui raconter mon ami était vrai, qu'il fallait envoyer des voitures de police ici. Cette fois, la personne m'a cru sur-le-champ. Elle a dit qu'elle s'en chargeait et qu'on ne devait pas s'inquiéter, mais qu'on devait se tenir éloigner de Georges Statham.
Comme si nous allions lui faire des papouilles en attendant les flics !
Actarus était en sécurité dans ma chambre. La gendarmerie, d'ailleurs, arrivait quelques minutes plus tard, à ce qui nous semblait être une éternité. Trois voitures se garaient près du portail de la propriété. Tandis que Xavi fonçait au rez-de-chaussée leur ouvrir le portail, je gardais un œil sur mon frère ET le gars en question.
Je lui ai fait comprendre de ne pas bouger, ou il en verrait de toutes les couleurs. Du style :
- Le moindre geste suspect de ta part, et je te refais le portrait. C'est clair ?
Ce n'est pas mon délire de menacer. Mais le gars a dû comprendre à mon ton que je ne plaisantais pas, parce qu'il n'a pas moufté. Tant mieux.
Les gendarmes arrivés sur place se sont immédiatement occupés de Georges Statham. Ils lui ont passé les menottes et l'ont amené à l'une des voitures. Ils se sont ensuite assuré que nous nous portions bien - Xavi, Actarus et moi -, et nous leur avons raconté le déroulement des évènements. La peur nous nouait encore le ventre. Il fallait dire que nous étions passés à deux doigts de la mort.
Après avoir terminé notre récit, l'un des gendarmes a annoncé que l'on devra passer à la gendarmerie en compagnie de nos parents, afin de prendre nos dépositions. Deux gendarmes sont restés pour attendre le retour de ma mère et de Stacy, alors que les autres partaient avec le tueur assis à l'arrière de l'une des voitures.
Mise au courant par l'un des gendarmes restés, maman était au bord de la panique quand elle est rentrée en catastrophe le soir même. L'appel l'avait énormément chamboulée. Elle s'est assurée plusieurs fois qu'aucun de nous n'avait été blessé, et elle nous a serrés très fort dans ses bras. J'ai cru étouffer ! Sa réaction était tout de même compréhensible, la vie de ses deux enfants (et celle d'un ami) ayant été en danger.
Quelle mère n'aurait pas réagi ainsi, à la place de la mienne ?
Voilà pourquoi je disais dans le titre « Babysitting + mauvais karma au poisson d'avril », cher Journal. Ça aurait pu mal se terminer pour nous...Félicia
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𝐿𝑒 𝑗𝑜𝑢𝑟𝑛𝑎𝑙 𝑖𝑛𝑡𝑖𝑚𝑒 𝑑'𝑢𝑛𝑒 𝑓𝑢𝑡𝑢𝑟𝑒 𝑒́𝑐𝑟𝑖𝑣𝑎𝑖𝑛𝑒
Fiksi Remaja« Félicia Starling est une collégienne sans problèmes. Elle a ses amis, ses amours, ses emmerdes... comme tout le monde ! Afin de faire passer le temps, elle écrit ses journées dans son journal intime. Page par page, on découvre une adolescente comm...