1. Qui suis-je ?

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Vendredi 1er août 2014

Cher journal,

Tout d'abord, laisse-moi me présenter. Je m'appelle Félicia Starling, je vais avoir 14 ans le mois prochain — le 22 septembre, précisément — et je vis depuis toujours à Cheverny, petite bourgade de 996 âmes dans le département de Loir-et-Cher (le 41, pour ceux qui seraient nuls en géographie).
Je ferai également ma rentrée en troisième, au collège Anna Pavlova à Blois, la préfecture du Loir-et-Cher, où je suis scolarisée. Avant, pour le primaire, j'allais à celui de Cheverny : L'Étoile de Candy. École primaire rénovée récemment, tout comme la maternelle Sun's Cat.
Ah, et surtout : non contente d'être à Cheverny, j'y vis avec ma mère et mon petit frère, Actarus.
Demi-frère, plutôt, puisqu'on n'a pas le même père.
Que je vous explique : ma mère avait rencontré mon père quand elle avait presque 15 ans, lors d'un festival à Talmont-sur-Gironde où elle habitait alors avec ses propres parents (mes grands-parents maternels). Le frère aîné de maman, Dylan, qui était âgé de 19 ans à l'époque, terminait sa première année de BTS Tourisme à Royan. (Il travaille, aujourd'hui, à l'Office du Tourisme de Royan.) Mon père, qui avait tout juste 17 ans, avait présenté une pièce de théâtre,une version moderne de Macbeth, lors du spectacle – c'était une grande première, ce spectacle, parce qu'il n'y en avait pas beaucoup qui étaient prévus à l'époque ; même aujourd'hui,ce n'est pas souvent que des spectacles ou autres « choses » touristiques se fassent à Talmont, même s'il y a beaucoup de monde l'été.
Quoi qu'il en soit, mes parents sont finalement tombés amoureux l'un et l'autre, ils se sont vus en cachette de mes grands-parents, et quand elle avait su qu'elle avait été prise dans un lycée à la préfecture du Loir-et-Cher, Blois, où elle avait toujours rêvé d'aller, ma mère avait sauté sur l'occasion. Mon père étant originaire de là-bas,et la marraine de mon oncle Dylan habitant Cheverny, ils sont donc partis s'installer chez cette dernière, qui les avait accueillis à bras ouverts. Mon oncle, qui adorait ma mère et vice versa, en avait profité pour les accompagner et aider maman à transporter ses vêtements et ses livres ; leurs parents n'étaient au courant de l'idylle jusqu'au départ précipité de maman dans le Loir-et-Cher. (D'après ce que j'ai compris, elle leur a laissé une lettre où, leur expliquant ses intentions, elle demandait à ses parents de ne pas lui en vouloir d'avoir choisi sa propre voie. Oncle Dylan avait réussi à les convaincre qu'il s'occuperait lui-même des études et des comptes bancaires de sa sœur, avec l'aide de sa marraine, et qu'il monterait à Cheverny pour voir si tout allait bien.)
Tout ça pour dire qu'au bout de deux ans et demi de relation, tout a subitement volé en éclat : plus d'un mois à peine après le Nouvel An 2000, ma mère, qui allait fêter ses 18 ans le 29 juin et qui sentait depuis quelques temps qu'elle ne se sentait pas bien, est allée consulter un gynécologue, accompagnée par la marraine de mon oncle. Mon père n'était pas là, il venait de sortir avec un ami. C'est là que la nouvelle est tombée : ma mère était enceinte, point à la ligne. Ça expliquait les nausées qu'elle ressentait.
Maman et Stacy (c'est le nom de la marraine d'oncle Dylan) ont bien sûr été choquées au départ, elles ne s'attendaient pas à ça comme nouvelle. Pour être honnête, elles pensaient que c'était plus grave, genre une maladie incurable – elles ont même dû se pincer deux fois pour être certaines qu'elles avaient bien entendu ! Sympa, non ? Mais après, le choc a laissé place au bonheur, et elles étaient heureuses d'accueillir un bébé. (Après tout, maman est la deuxième à avoir un enfant jeune : oncle Dylan et sa femme, Delphine, qui était adorable et qui faisait les mêmes études que lui, ont eu mon cousin Léo à 19 ans, soit trois ans plus tôt, lorsque maman a tout plaqué pour suivre mon père dans le Loir-et-Cher.)
Mais il restait malgré tout une zone d'ombre dans cet éclat de joie. Comment mon père allait-il réagir en apprenant la nouvelle ? Vu qu'il n'était pas présent pour partager le stress, et que mon arrivée« si soudaine » avait quinze bonnes années d'avance sur les futurs projets qu'ils voulaient faire ensemble, on ne savait pas quelle serait sa réaction. Ce qui pouvait un peu se comprendre...
Et ça ne s'était finalement pas bien passé, au retour de mon père à 15 heures. Stacy, qui devait se sentir de trop, les avait laissés seuls chez elle, le temps qu'ils mettent les choses au clair et que mon père digère la nouvelle. Qui n'aurait pas réagi comme lui, à sa place ? Mais, quand elle est revenue en fin de journée, c'était pour apprendre avec stupeur – de la bouche de maman, en larmes – que c'était terminé entre eux, qu'il était parti avec ses affaires. Bien sûr, toutes deux s'attendaient à ce qu'il panique un peu au départ. Alors, comment se faisait-il qu'il refusait cette paternité, qui aurait pu le rendre heureux ?
C'est ce que Stacy m'avait raconté, avec maman, il n'y a pas longtemps.
Pour ma part, je trouvais ce comportement lâche – très lâche. Comment ça se fait qu'il n'ait pas soutenu ma mère, au lieu de fuir et de ne penser qu'à lui ? Je n'avais pas hésité à le dire, après qu'elles m'aient expliqué toute l'histoire.
- Oui, mais ton père avait trop peur pour assumer cette paternité, était intervenue Stacy. Il n'avait pas l'intention de blesser ou d'abandonner ta mère, mais il devait sans doute penser à sa carrière qui passait avant tout, et qu'il se sentait trop jeune pour devenir père.
- Peu importe ! Ça revient au même ! m'étais-je écriée, écœurée. Ça ne l'a pas empêché de tout plaquer et de partir sans laisser d'adresse, comme un lâche !
- Je comprends ce que tu ressens, ma chérie, avait dit ma mère après un silence gêné. Mais Stacy a raison : ton père ne voulait pas me blesser, loin de là. En y réfléchissant à présent, c'est vrai qu'on était trop jeunes et immatures, à l'époque, pour songer aux enfants. Et quand je vois l'état d'esprit qu'il avait eu pour me supplier d'être raisonnable, me dire que l'avortement était la meilleure chose à faire, je regrette certaines fois d'avoir fait sa connaissance. Mais, si je l'avais écouté, je ne t'aurais jamais donné la vie. C'est une chose que je n'échangerai pour rien au monde, tu peux me croire.
Sur ce coup-là, je ne peux qu'être d'accord avec elle.

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Mon oncle et ma tante, quand ils ont appris la nouvelle par Stacy, ont tout mis en œuvre pour soutenir maman. Ils l'ont aussi aidée financièrement pour acheter tout ce qu'il fallait pour la naissance, alors qu'ils n'étaient pas obligés de faire tout ça. Mais oncle Dylan adorait sa sœur, comme je l'ai précisé, et tante Delphine, elle, considérait maman avec respect et la voyait comme une sœur – ma tante est fille unique et a perdu ses parents très jeune.
Ils l'ont soutenue jusqu'au bout et, aujourd'hui encore, ils n'hésitaient pas à venir en aide en cas de besoin, c'est dire !

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Quant à Actarus, mon petit frère né lors du pont de l'Ascension en mai dernier, c'est Christian Vincent, arrivé à Cheverny pour son travail il y a trois ans, qui en est le père.
Au début, ils étaient seulement amis, alors rien de spécial jusque-là... C'est après qu'ils se sont découvert beaucoup de points communs, dont la géographie. Ils se sont donc mis ensemble, à mon grand bonheur. Là encore, tout se passait bien, le grand amour quoi – puis maman est tombée enceinte peu avant ma rentrée en 4ème, et plusieurs mois après c'est la cata : Christian a eu la MERVEILLEUSE idée de rompre au milieu des vacances de Pâques, alors que j'étais partie chez mon oncle et ma tante pour les vacances, parce qu'il ne se sentait pas prêt à être père.
Bonjour la mentalité.
Le pire dans tout ça, c'est que depuis ce jour-là on n'a plus de nouvelles de Christian. Rien. Que dalle. Nada !
Voilà un bon résumé de ce qui m'est arrivé jusqu'à aujourd'hui.
Je suis bien contente de t'avoir parlé, cher journal. J'espère pouvoir continuer à me confier à toi, te dire tout ce que je ressens.

Félicia

[Note de l'auteur : Le collège Anna Pavlova à Blois est fictif, il n'existe donc pas dans la vraie vie — tout comme la maternelle Sun's Cat et l'école primaire L'Étoile de Candy à Cheverny.]

𝐿𝑒 𝑗𝑜𝑢𝑟𝑛𝑎𝑙 𝑖𝑛𝑡𝑖𝑚𝑒 𝑑'𝑢𝑛𝑒 𝑓𝑢𝑡𝑢𝑟𝑒 𝑒́𝑐𝑟𝑖𝑣𝑎𝑖𝑛𝑒Où les histoires vivent. Découvrez maintenant