Chapitre 26 : Le Miraculé

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~ Faël ~

Dépité, Faël avait traîné sa carcasse jusqu'à la maison d'Elias et de Malena, les parents de Lukas. Il savait qu'il y trouverait probablement Markus et certainement Nathan, sans y douter une seconde. Lukas était revenu moins d'une semaine auparavant et ses amis avaient été aux petits soins avec lui.

Seulement, il refusait toujours de quitter sa maison. Il se contentait parfois de se rendre jusqu'au palier de la porte d'entrée et fixait les quelques marches en bois d'un œil morne où chacun peinait à y discerner ses émotions.

Son accident devait lui revenir en mémoire, la manière dont son corps était venu se briser contre le mur boisé de sa propre maison, la douleur de sentir ses os se rompre et craquer, sans pour autant être en cours de métamorphose. Cette expérience l'avait fragilisé, traumatisé même.

Amorphe, il écoutait Nathan qui tentait de remonter son moral, faisant comme si ces mots prenaient sens dans son esprit. Toutefois, bien qu'il l'entendait parler, il ne l'écoutait pas. Son regard était posé sur ses genoux où une couverture de laine recouvrait élégamment ses jambes rigides. Malena s'approcha pour réajuster le tissu et caressa la joue de son fils dans un même geste, pour attirer son regard dans le sien.

— Tu as envie d'être un peu seul ? demanda-t-elle, la douleur dans la voix.

Son fils ne lui répondit pas, n'ayant pour simple réaction qu'une brève secousse de sa tête. Elle ne savait s'il s'agissait d'un oui ou d'un non, alors elle laissa les garçons ensembles. En retournant au salon, elle entendit de petits coups retentir sur la porte.

— Faël, tu es là, toi aussi ?

— Je suis désolé de vous importuner, fit-il l'air gêné.

Cette dernière semaine, ils s'accaparaient leur maison, le rendant gêné vis à vis de ses hôtes.

— Au moins, toi, tu frappes avant d'entrer, soupira Malena. Lukas n'a toujours pas récupéré... je ne sais pas s'il acceptera un jour son état.

— Donnez-lui du temps, il ne peut pas récupérer tout de suite mais je suis certain que cela reviendra, un jour ou l'autre. En attendant, vous pouvez compter sur nous, vous le savez n'est-ce pas ?

— Vous êtes gentils, les enfants, mais rien ne vous oblige à... à vous en occuper. Nous sommes ses parents, nous devrions faire davantage !

Faël lui saisit ses mains, s'apercevant qu'elle possédait de longs et fins doigts, comme des mains de pianiste. Il sentait le trouble de Malena, son malaise et sa douleur, et il serra ses longs doigts parmi les siens.

— Vous devez aussi vous reposer. C'est dur pour lui, je le sais, mais aussi pour vous. Ne soyez pas gênée d'avoir besoin de temps pour vous... c'est normal.

La mère sentit les larmes perler à ses yeux et sourit au jeune Lycanthrope avant de se précipiter dans le salon. La porte claqua contre le mur avant de se refermer dans un grincement. Faël eut tout juste le temps de voir Malena plonger dans les bras de son époux, accompagnant la scène de son éclat de larmes sonore.

Le jeune homme se dirigea dans la pièce du fond et ouvrit la porte de la chambre de Lukas. Nathan lui faisait la conversation de manière passionnée, quasi robotique. Ses mots étaient intarissables, comme le fond sonore d'une radio usée qui refuse de se voir s'éteindre. Faël supposait que c'était ainsi qu'il vivait son deuil. Il ne pouvait pleurer Solbritt, ni ne le voulait, alors il occupait perpétuellement son esprit avec des sujets absurdes qu'il déversait sur le pauvre Lukas, qui ne l'écoutait même pas.

Étrangement, cette pièce semblait à la salle de repos d'un asile psychiatrique, où chacun tentait de paraître normal sans parvenir toutefois à ressembler au commun des mortels. Même Markus, qui semblait conserver une sorte de calme apparent, assis en tailleur sur le lit, demeurait trop immobile et trop inerte pour paraître véritablement sain.

— Tu as parlé à l'Alpha, demanda ce dernier dès que Faël eut franchi le pas de la porte.

Le jeune homme contourna le fauteuil roulant de Lukas, posant brièvement une main sur son épaule dans un geste de quiétude. Il vint ensuite s'installer auprès de Markus avant d'expirer bruyamment, signe du désespoir qui couvait en lui.

— Oh... il a refusé que tu vois tes parents, c'est ça ? fit Markus, sa bouche formant une moue triste.

— Il a accepté, fit-il tristement, mais à la condition que ce soit la dernière fois.

— Comment ça ?

Soudainement, la porte d'entrée s'ouvrit dans un fracas qui les firent sursauter. Ils purent entendre distinctement la voix grave de Rolf clamer des reproches aux parents de Lukas.

— Allons bon, la cérémonie était aujourd'hui, leur rappela-t-il. Votre fils ne veut-il plus faire partie de cette Meute ? J'ai été patient mais il est temps qu'il prête allégeance, peu importe son état.

— Il est encore souffrant, murmura Malena.

— Où est-il ? ragea l'Alpha.

Ses pas chaussés de lourdes bottes retentirent contre le parquet jusqu'à la chambre de l'alité dont il ouvrit le battant avec mauvaise humeur. Son regard sévère se posa brièvement sur les jeunes lycanthropes avant de se fixer sur la chaise roulante où Lukas était avachi négligemment.

— Comme s'il ne suffisait pas d'en avoir un, je vois que la Meute compte à présent deux Omégas inutiles ! Il ne peut même plus marcher, à quoi bon être vivant ?

Malena et Elias retinrent leur souffle, blessés et choqués d'entendre des propos si viruleux dans la bouche de leur nouveau protecteur. Leurs doigts tremblaient, leurs mains crispées l'une dans l'autre comme s'ils s'empêchaient mutuellement de sauter à la gorge de Rolf. Ils savaient que s'ils agissaient ainsi, ils seraient tués ou pire, devraient quitter la Meute et seraient exclus de toute autre communauté. Avec leur miraculé de fils, qui n'avait malheureusement plus l'usage de ses jambes, ils pourraient difficilement survivre seuls. 

Alors ils baissèrent la tête et ravalèrent leur dignité pour subir les insultes de l'Alpha.

— Il faudra penser à le faire vivre avec son semblable. Vivre au milieu des bois ne sera pas très pratique avec tout son attirail, sourit-il en désignant le fauteuil d'un air comique.

— Vous ne pensez pas tout de même faire vraiment de lui le nouvel Oméga ? s'écria Malena.

Rolf regarda le jeune homme avec des allures de panthère chassant sa proie, silencieux et calculateur. Puis il lança son pied dans le tibia de Lukas qui n'eut pour simple réaction qu'un froncement de sourcil soucieux.

— Il sera parfait, au contraire. On peut le frapper, il ne ressent de toute façon rien ! Il fera un Oméga d'exception et pourra remplacer l'actuel.

— Ce n'est pas parce qu'il ne ressent pas de douleur qu'il n'est pas blessé, fit Markus en haussant la voix.

— De toute façon, l'Oméga actuel ne voudra probablement pas élever son statut en laissant Lukas subir les coups à sa place, protesta Faël. C'est peine perdue.

— Vous croyez connaître cet énergumène ? nargua Rolf. Il subit les coups depuis tellement d'années, il ne crachera pas sur cette chance qui lui sera proposée. Vous le pensez altruiste ? Vous vous trompez. Combien de fois déjà, sous la torture, m'a-t-il supplié d'achever sa vie ? Maintenant qu'il pourra y échapper, il le fera, c'est plus que certain.

Markus et Faël, pris de colère, serraient leurs poings en contenant à peine leur rage face à ce monstre qu'ils avaient accepté comme leur chef. Ils regrettaient déjà leur décision mais ne pouvaient revenir en arrière : leur sort était jeté.

Monstres - Tome 2 : SuccubusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant