NORA

XXXVI

La petite rosée de la veille avait su redonner de sa verdure à la jolie pelouse de l'établissement. L'herbe bien séchée et de nouveau fraîche donnait un éclat parfait à la vue et surtout, elle motivait les étudiants à venir s'y détendre comme à leur habitude. La jeune fille à la longue chevelure brune ne se fit pas prier pour lever l'encre sur le bon gazon. Comme à chaque fois qu'elle y était, elle avait son bouquin préféré du moment, quelques documents sur son prochain cours à suivre et la compagnie d'un jeune garçon qu'elle n'avait pas l'intention de donner de son temps. Non, elle n'allait pas tomber dans ce piège, ce scénario elle le connaissait déjà bien, elle l'avait déjà bien trop regardé, bien trop lu. Le jeune garçon riche, beau et très convoité par les femelles de la cour, qui, aurait jeté son dévolu sur la jeune fille toujours à l'écart et discrète. C'était le scénario parfait des comédies romantiques juvéniles, mais les choses ne se déroulaient toujours pas bien pour la protagoniste. Le scénario lui voudrait bien une fin des plus féeriques mais les péripéties étaient des plus ennuyants. Elle aimait bien ce genre d'histoires, ce genre de trame, mais pour l'occasion, la jeune fille ne voudrait pas avoir le rôle principal. Elle ne prêtait donc aucune intention à ce jeune homme, toutefois ce dernier ne se sentait pas aussi découragé. Il respectait le silence de la jeune romancière et il savait rester à sa place.
Oui, il s'était invité tout seul dans son environnement mais il n'avait pas aussi ce droit de l'envahir et le polluer. Il se contentait donc d'être à sa place.
Alors que la demoiselle s'aventurait dans sa lecture silencieuse, son crayon dans une main pour prendre quelques notes, lui, il prenait son déjeuner, de la musique dans ses oreilles et son regard tantôt dans son plat, tantôt sur elle.
C'était donc ainsi, que les deux étrangers passaient leurs après-midi depuis quelques semaines déjà.

Un parfum enivrant prenait toute la pièce. Un parfum déjà senti jadis mais très bien oublié. Ils le connaissaient et pourtant il avait l'air neuf. Il sentait comme du bon vin conservé, comme la fleur qui éclot de ses pétales en saison printanière, comme un vieux bouquin rangé depuis des années et qui détaché de toute sa poussière donnait cette odeur de nostalgie. Ce parfum était fort, bien connu mais différent. Il avait mûri, il avait fermenté, il était plus mature. C'était une odeur de passion féroce qui saturait cette pièce depuis de bonnes minutes. Il se mélangeait désir et haine, tristesse et joie, regret et plaisir. De l'attraction et de la répulsion, des énergies différentes possédaient les deux corps alors qu'ils s'adonnaient à des gestes endiablés sur cette paillasse en couche épaisse.
En dessous, elle fermait ses yeux pour profiter de ce moment de plaisir. Elle n'avait pas ressenti cela depuis déjà plusieurs mois, elle n'y pensait plus vraiment, mais aujourd'hui elle ne savait pas que son corps en demandait tant. Était-ce le feu de cette envie qui brûlait en elle, ou alors le fait qu'elle se sente désirer par un autre homme qui la fasse autant frémir. Un homme qui auparavant, elle avait aimé, et qui lui faisait ressentir ces choses. Elle n'avait pas le temps d'expliquer ce qu'elle ressentait à ce moment, elle voulait juste vivre ce moment pleinement et en profiter comme si c'était la dernière fois.
Lui, au dessus, recroquevillé entre ses jambes, profitait des bruits qu'elle poussait à son oreille. Ses petits sons étaient comme une confirmation de ce qu'il pensait, le corps de cette dernière n'attendait que lui. Ces bruissements étaient comme des appels, des encouragements à le motiver dans ce qu'il faisait; alors il se sentait vibrer de l'intérieur, il avait l'impression qu'il allait finir par exploser, le bonheur qui l'envahissait était grand qu'il ne pouvait le contenir. Et pourtant, il savait que ce qu'il faisait était mal mais ce n'était pas le moment de penser à cela.

Elle s'était déjà familiarisée de sa présence qu'il lui arrivait de se demander pourquoi n'était-il pas à ses côtés, sous l'arbre à se contenter de son silence. Elle devrait se sentir au contraire heureuse d'être enfin débarrassée des pattes de cette bête rebelle et têtue mais elle la cherchait lorsqu'elle ne se présentait pas à leur endroit. Son endroit qui était devenu le leur. Et lorsqu'il se pointait de nouveau, elle faisait encore preuve d'indifférence à son égard, mais lui, se donnait à un bavardage superfétatoire d'explications; il pensait qu'elle n'avait que faire d'où il pouvait être lors de ses escapades, mais en réalité, cela réchauffait le cœur de la jeune fille.
Elle réalisait, qu'il lui accordait bien plus d'attention qu'elle ne le pensait. Elle commençait donc à lui prêter un peu plus d'attention à son tour, elle cédait déjà à quelques unes de ses demandes. Par exemple, elle acceptait que le jeune garçon puisse lire les quelques lignes de ses fictions qu'elle mettait sur papier. Jamais encore personne autre que sa mère n'avait eu accès à son jardin secret, il était donc le seul. Quel temps a-t-il bien pu attendre pour que cette jeune fille puisse enfin poser son intérêt sur lui! Il était encore plus ravi de savoir qu'elle avait accepté de lui prêter quelques uns de ses bouquins et même ses écrits personnels.
A travers sa plume, il découvrait une fille sensible et romantique, un univers rose et poétique. L'envie de la protéger ne manquait donc pas de le gagner et depuis il s'était donné la mission de le faire, mais avant, gagner son cœur... ça serait difficile mais ce n'était pas impossible.