IX

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NORA

Le week-end n'était pas beaucoup long, mais c'était toujours un plaisir de passer ces quelques jours avec mon amie Martha. À chacun de mes passages dans son chaleureux appartement, je me sentais comme chez moi et je pouvais enfin respirer, loin des frustrations de mon lieu de travail.
C'était toujours un réel plaisir de passer du temps avec Martha, elle a ce don de faire basculer mon cœur en si peu de temps. Elle sait toujours comment se retrouver dans des situations rocambolesques, étranges les unes des autres. Mais que pouvais-je dire? C'est mon amie et je ne peux que l'aimer.

Je savais la blâmer quand il le fallait mais de temps en temps je la laisse respirer.  Elle mérite d'être heureuse, elle aussi. La voir dans cet état d'esprit ne peut que me combler de bonheur, elle aussi avait droit au bonheur.

Je me souviens encore de la petite fille qu'elle était: si fragile, innocente, peu bavarde et surtout meurtrie de l'intérieur. Martha ne connaissait pas la définition même du bonheur. Elle n'a pas eu la chance d'avoir de très bons géniteurs, et en pensant à sa situation je me réjouis par moment de ne pas avoir connu les miens. Et si eux aussi me traitaient de la sorte, comme les parents de Martha? Peut-être m'avaient-ils déposé chez le Père Augustin parce qu'ils voulaient m'éviter de telles souffrances, ne sachant comment s'occuper de moi!

Je ne savais rien de mes parents, et lorsque je dis rien, rien du tout. Ni leurs noms, origines, visages et tout ce qui va avec. Mes parents biologiques m'étaient inconnus et même le Père Augustin ne me disait pas grand chose sur ces derniers; comme si ils leur étaient aussi de parfaits inconnus.

Mais en dépit de tout, j'ai pu grandir et évoluer sans recevoir leur amour et leur affection, sans avoir à appeler quelqu'un "papa" ou encore "maman".
Le père Augustin et les sœurs de l'orphelinat ont su comment me rassurer et me réconforter, ils ont su me donner tout l'amour qui soit. Je me sentais redevable de cet amour. Autant d'amour il fallait que je le partage avec ceux qui n'ont pas eu cette chance d'en avoir, et Martha était l'une de ces personnes.

Dans son regard de petite fille se cachait une âme qui ne demandait qu'à être aimée, à être acceptée et je ne pouvais la laisser dans cet état. Annabelle et moi ne pouvions la laisser dans son petit coin à se tourner les pouces à longueur de journées.

Annabelle, cette fillette aussi de la même tranche d'âge que moi avec qui je passais beaucoup de temps à l'orphelinat avant l'arrivée de Martha et de son adoption, quelle chance elle avait!

Annabelle , je me demande bien ce qu'elle était devenue, elle qui rêvait de devenir un grand médecin plus tard, nos petits rêves d'enfance.

Je repensais à tout ceci alors que j'arpentais la ruelle de Martha pour me rendre vers un carrefour où je pourrai me procurer un taxi pour rentrer à la villa Richards, mon lieu de travail. Je n'eus pas le temps d'appeler un taxi, la faute à ma très chère amie qui voulait que je lui parle de Elias et de notre bref échange au pied de la cathédrale.

"Tu ne quitteras pas cet appart' avant de m'avoir tout dit et dans les moindres détails" m'avait-elle annoncé le ton bien décidé. Je ne pouvais que m'en prendre à moi-même, c'est moi seule qui lui avait dit que j'avais rencontré cet Elias la veille, réveillant sa curiosité au passage.
Que voulait-elle que je lui dise sur ce jeune homme? Je ne le connaissais pas et je n'avais aucunement l'envie de le connaître.

Jeune, beau, raffiné, famille aisée et respectée de cette société, sans doute très intelligent et coureur de jupons. Non! Nous ne jouons pas dans la même cour et c'était perdu d'avance. Pourquoi diable insiste-t-elle autant avec lui? Il ne m'intéresse pas et il voyait en moi peut-être juste une aventure d'un soir.

NORAOù les histoires vivent. Découvrez maintenant