"Passe moi le sel, s'il te plaît", me dit-elle.
Je n'en peux plus, je n'en peux plus d'elle. D'elle et de ses chihuahuas qu'il faut amener se faire toiletter tous les mois car elle ne les aime qu'à poils longs, d'elle et de ses millions de paires de chaussures qu'elle n'a jamais daigné mettre devant moi, d'elle et de sa manie de retourner l'oreiller en pleine nuit de sorte à avoir le côté "fraicheur" comme elle dit, ma tapant ainsi la tête en me réveillant, d'elle et de tout ce qui fait qu'elle est dorénavant ce qu'elle est.
Elle, c'est ma femme. Je l'aimais, c'est sur, sinon on ne se serait pas marié. Je l'aime, ça c'est une autre histoire. Il faut que j'y réflechisse. Je l'aimerai, ça, certainement pas. Il est hors de question que je reste avec une femme comme elle si rien ne change. Ce n'est pas parce qu'on a une vie bien rangée, des cadres avec des photos d'une tante au second degré accrochée sur un mur, des enfants tout souriants à l'égo surdimensionnées, et un joli intérieur décoré en taupe et mauve que l'on doit me considérer comme acquis. Aussi libre que l'air je partirai et je n'aurai même pas besoin de claquer la porter car elle se refermera toute seule, comme sachant que la maison ne sera plus rien sans moi.
Je ne peux me retenir.
"C'est vrai, tu sales tout et toujours tout. C'est l'addition de toutes les erreurs que tu as faite qui va être salée. Tu veux gagner encore un peu plus de poids en perdant autant de mon attention ou c'est justement une manière de retrouver mon attention. Je me le demande. Ce n'est pas en te réfugiant dans la nourriture que cela va passer. Je sais que tu vas me dire que c'est ton truc, c'est toi. Je suis désolé, celle que j'ai aimé ce n'était pas celle qui n'arrivait pas à retenir ses orgasmes lorsqu'elle s'enfilait un double cheesburger frites au fast-food le plus miteux du coin. Mais tiens.. je te le passe ton sel ! Tu veux le poivre aussi, la mayonnaise et le ketchup qui vont avec ? Ou bien peut-être la béarnaise ? Et prends donc un peu de moutarde, tu adores la moutarde, tu es une femme de moutarde. Ne te l'a-t-on jamais dit ?"
On ne lui avait apparemment jamais dit. Elle paraît désormais vexée et je refuse de me sentir coupable pour une chose dont je ne suis pas le réel responsable. Ce n'est pas à moi de culpabiliser pour avoir et ne pas avoir fait des choses.
Elle resta alors là, à me regarder, avec sa tête de chien battu qui autrement fois me faisait craquer mais qui aujourd'hui me laisse sceptique. Je suis mitigé entre lui en vouloir et lui en vouloir beaucoup. Je n'arrive plus à exprimer autre chose que la haine et du dégout pour elle.
Le repas s'ensuit calmement. Très calmement. Trop calmement. Avant, on avait l'habitude de parler et ça avait l'habitude de nous intéresser tous les deux. Nos paroles étaient comme un breuvage que l'on buvait mutuellement, qui coulait à l'intérieur de nous, nous laissant satisfaits et heureux. Aujourd'hui, nous ne connaissons plus ça et je ne me souviens que pas assez de ce temps qui est donc - elle doit l'admettre, il en est vital - révolu. Ce sont aujourd'hui nos bouchées que nous avons du mal à avaler et le bruit des couverts nous est à tous deux, je le suppose, devenu insupportable. Ce grincement, crissement, saignement nous met dans tous nos états si ce n'est qu'il ne nous donne que plus raison sur ce que nous savons chacun.
"Je vais me coucher", me dit-elle, après avoir débarassé son assiette et l'avoir mise dans le lave-vaisselle, payé entièrement à mes frais, je tiens à le préciser. Ne t'inquiète pas mon amour, on fera comme avant, on fera notre vaiselle à la main. Deux assiettes et quelques couverts à chaque repas ce n'est pas la mer à boire.
Que veut-elle que je lui réponde ? Moi aussi je vais aller me coucher, à un moment. Quand ? Je ne le savais pas. L'heure où j'allais dormir était une sorte d'épée de damoclès qui restait suspendue chaque journée au dessus de ma tête, me menaçant de nuir à ma vie et à mon bien-être. Combien d'heures devrai-je avoir à passer dans ce lit qui n'est plus réellement le notre, à l'entendre ronfler ? C'est la réelle question. La réponse était simple. Je dors sur le canapé, chaque soir depuis... disons, je ne sais pas, peut-être deux ou trois mois. Elle ne se rend compte de rien, je suppose, ou encore pire, elle ne dit rien car c'est une situation qui l'arrange aussi. Peut-être en est elle heureuse de son côté, peut-être que je l'aide finalement à faire son deuil de moi. Son deuil, oui, c'est le mot. Car bientôt je ne serai plus là. Je ne lui dirai pas en face. Ce n'est pas à trente deux ans que je vais avoir des comptes à rendre à quelqu'un. Cela aurait été différente si elle était venue me parler, si elle avait voulu discuter de ça, entre adultes responsables.
Ce soir c'était défintivement la fin. Léo et Morgane était un couple mort, presque avant d'avoir pu prétendre comme ayant existé.
(Fin du chapitre 1, j'espère qu'il vous aura plus. J'ai vraiment apprécie commencé cette nouvelle histoire. Je l'avoue, je n'ai vraiment pas envie d'écrire un roman de bisounours mais je n'en ai rien à faire. Je veux aimer ce que j'écris et écrire ce que j'aime. A très bientot.)
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Et la vérité s'envolera avec moi
Mystery / ThrillerJe m'en vais, je pars loin de tout ce que je connais. Je refuse de dire que je fuis mais c'est ce que je fais. C'est décidé, je n'ai plus ma place ici et c'est bien ailleurs que je vais espérer la trouver. Je n'emporte que très peu de choses, j'ai...