Et la vérité s'envolera avec moi

Chapitre 20

"Réveille toi, réveille toi !" 

J'ouvre les yeux sous les cris de mon ami et j'ai soudain du mal à comprendre son empressement. Tout est changé. Je me suis endormi dans le métro et je suis là, maintenant, allongé sur un banc disposé dans la gare de Lyon. Je ne comprends pas ce qu'il s'est passé et j'ai l'impression qu'on m'a juste déposé là sans que je m'en rende compte. La réalité devient irréelle. Je suis vraiment devenu fou. Je regarde Alexander et il sourit. Il sourit et sa tête est entourée d'un grand halo de lumière à cause du fait qu'il se trouve au dessus de moi et que la nouvelle verrière de la gare de Lyon nous transmet les rayons du soleil, inquisiteurs. La lumière m'envahit et ce que j'ai vécu ces derniers jours semble comme un lointain souvenir. Je ne me souviens plus de tout et c'est comme si rien n'était réellement arrivé. 

Je relève mon torse et c'est trop vite que je le fais si j'en crois les vertiges qui me prennent. Je n'y fais pas attention, me mets sur mes pieds et faillis tomber. Je tourne sur moi-même et c'est comme si je n'étais pas là où j'étais vraiment. Il y a tous ces gens matinaux qui courent à droite et à gauche et je ne sais pas vraiment ce que je fais là. 

"Ça va ?, me demande celui que je suppose comme étant la personne qui m'a amené ici. 

- Ça va.. très bien. J'me demande comment j'suis arrivé là. J'me souviens plus de grand chose. 

- Tu t'y feras, moi non plus j'me souviens plus de grand chose. J'me suis réveillé juste un peu avant toi et j'me suis tout de suite senti perdu. Je me souviens d'une chose. Je crois qu'on voulait aller ici, hier. Viens, me dit-il en pointant un café de l'autre côté de la gare. On va manger un truc et ensuite peut-être que l'on se souviendra de ce que l'on fait ici. 

- Je suis d'accord."

Nous nous dirigeons vers cet endroit qui est notre prochaine étape en étant comme aveuglés par notre incompréhension. On sait ce qu'on doit faire mais on ne sait pas pourquoi. J'ai l'impression d'être dans un de ces rêves que je fais quand je dors mal mais est-ce que mes souvenirs de mauvaises nuits sont de vrais souvenirs ? Ais-je déjà mal dormi et fait ce genre de rêve ? Tout sonne comme une mise en abyme faussement croyable dont je ne sais tirer le vrai du faux. Je suis daltonien d'esprit actuellement et les confusions ne me sont que trop nombreuses dans ce que je vois. 

Nous arrivons devant le café et celui me donne une très bonne impression. J'ai du mal à croire que je juge la devanture d'un café, comme si l'on pouvait être amené à faire des choses aussi triviales. Je me retourne et vois le banc où nous étions encore quelques minutes avant et soudain je ne me souviens plus de comment j'ai fait ce chemin. J'ai l'impression de ne plus rien retenir, d'être devenu celui dont tout le monde voudrait se débarrasser parce qu'il pose plein de questions, trop de questions à cause d'une naïveté trop grande. 

Alexander rentre dedans mais je ne le vois qu'à peine. Je reste devant et je m'assois. Je m'assois par terre et examine chaque détail de ce décor qui s'expose à moi. Ce café dont je n'arrive pas à lire le nom ressemble à un grand théâtre. C'est un mélange entre un des ces lieux que tout le monde rêve de visiter à Broadway et un théâtre à l'italienne. C'est beau, c'est magnifique. Il y a toutes ces couleurs dont mes yeux ne se lassent pas de regarder et c'est sans avoir de doute que je commence à m'allonger parmi les chewing-gum collés au sol et les mégots de cigarette fraîchement jetés. Je ne me comprends pas, j'ai l'impression d'être quelqu'un d'autre. Je m'émerveille de tout et il n'y aucun scepticisme, aucune hargne, aucune haine en moi. Je ne suis plus le même mais je suis heureux. J'ai l'impression qu'on me propose d'être quelqu'un d'autre. On essaye de me pousser à changer et je ne sais pas si je le veux. C'est un choix sur lequel, avant, je sais que je n'aurais pas douté mais ce moi d'avant me paraît si vieux que je ne sais pas si je le connais encore. Qui suis-je et qui suis-je en train de devenir ? Le Léo d'aujourdhui, celui allongé comme un débile à même le sol dans le hall d'une grande gare parisienne n'est-il pas celui qu'il a toujours été ?