Je ne dors pas mais j'essaye d'en donner l'impression et cela devient de plus en plus dur. C'est dur de ne pas rigoler aux blagues que ces gens qui sont au dessus de moi font ou de ne pas vouloir intervenir dans leurs débats dénués de sens. C'est dur de rester passif et je me demande si c'est vraiment cela que je serais devenu ? Je n'aurais été plus là et il aurait été difficile de m'entendre.
J'attends de savoir où on m'emmène. Apparemment les secouristes ne sont pas habitués à le dire aux patients et cela, je suppose, parce que nous sommes censés être inconscients. Le chemin me paraît long et je n'en peux plus de rester allongé à fixer le fond de mes paupières qui est aussi noir que le fond de la mer. Je ne peux pas bouger sous peine de gâcher toutes mes chances d'en apprendre plus et pourtant tout mon corps me démange, des orteils jusqu'à la point des cheveux. C'est dur de devoir se taire.
De nombreux appels sont reçus et donnés par mes secouristes - si je dois encore les appeler comme ça - et je voudrais savoir de quoi ils conversent et avec qui ? J'ai envie qu'on me dise que je vais juste aller à l'hôpital, y être examiné par un médecin et repartir chez moi, dans la journée si possible. Or, je sais que cela ne se passera pas comme cela. Je ne suis pas quelqu'un de vraiment pessimiste. J'imagine toutes les options, de la meilleure à la pire en passant par des plus ou moins bonnes en essayant d'imaginer où elles peuvent m'emmener. La plupart du temps je ne retiens que les pires car les réjouissances sont souvent illusoires et je ne vois que ce que je crois. Je déteste supposer et je préfère ne pas être déçu. Il faut apprendre à se dire que le bien n'est jamais ce qui arrive toujours. Il n'y a d'ailleurs ni bien ni mal que pour un seul individu à qui la situation s'adresse. On ne peut pas faire d'amalgames d'avis et notre avis propre devrait toujours primer. On ne peut pas se laisser influencer car ce serait donner du pouvoir aux autres. En l'occurrence personne ne peut me dire de ne pas paniquer. Je suis seul dans ce camion même si je parais très bien accompagné.
Le véhicule s'arrête enfin et j'attends impatiemment les réponses à mes questions. J'ai l'impression qu'une grille s'est ouverte car nous repartons sur un court chemin pour enfin s'arrêter. Je ne sais pas combien de temps à duré le trajet mais je pense pouvoir affirmer que je ne suis plus dans Paris. De plus, la route s'est, au fur et à mesure, dégradé, finissant presque comme un chemin de terre à en juger par les secousses qui deviennent de plus en plus fréquentes et irrégulières.
Apparemment ils ont envie décide de me sortir de cette prison ambulante où l'air commençait à manquer malgré ma pompe à oxygène. Le soleil me brûle d'autant plus le visage que les portes s'ouvrent en grand. Rester inerte, rester inerte. Je ressens l'envie de courir et de m'enfuir car j'ai le mauvais pressentiment que je ne suis pas là où j'aurais voulu être et ce lieu, que je ne connais pas, commence déjà à me donner la chair de poule.
J'entends la voix d'une dame. Elle parle vraiment très bas et je n'entends pas assez pour savoir ce qu'elle dit vraiment. J'ai peur de ce qu'elle leur raconte ou de ce que, eux, lui racontent. On dirait des murmures, des chuchotements vilains, n'hésitant surtout pas à me juger. Lorsque j'imagine ces personnes dans ma tête je les vois debout, derrière un rideau, me regardant d'un bout de l'oeil en train de me pointer du doigt alors que je m'imagine attaché à quelque chose et bâillonné. Ils doivent dire d'horribles choses et je ne les aime encore moins. Ils me sauvent pour me ramener quelque part où ma vie sera plus désastreuse et vraiment plus triste. Je suppose que je ne saisis même pas entièrement l'ironie de la chose et il m'est difficile de savoir quoi penser de tout ça.
La voix de la femme se rapproche de moi et je l'entends parler avec des grands mots :
"Il doit souffrir de troubles de la personnalité multiples. Peut-être qu'il est bipolaire. Je n'aime pas faire de suppositions et je vous promets de vous tenir au courant. Il ne faudrait pas qu'il sorte de chez nous. Il est un danger pour la société. Personne ne devrait avoir eu à l'approcher de trop près tant son comportement est imprévisible. Il agit comme un animal sans raison et brise tout sur son passage. En tout cas, même s'il ne m'entend pas, sédaté comme il est, je lui souhaite bienvenue à Eddinson Square"

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Et la vérité s'envolera avec moi
Mystery / ThrillerJe m'en vais, je pars loin de tout ce que je connais. Je refuse de dire que je fuis mais c'est ce que je fais. C'est décidé, je n'ai plus ma place ici et c'est bien ailleurs que je vais espérer la trouver. Je n'emporte que très peu de choses, j'ai...