C'est donc comme cela que notre aventure se termine, notre fuite, notre exil. On laisse tout ça tomber comme on a laissé tomber nos vies d'avance et on se voit désormais forcés de revenir en arrière. C'est faible et complètement lâche. Nous ne sommes, sûrement pas encore prêts. Je regarde celui qui se présente comme étant mon fils et je le suis, par delà les courants, par delà cette étendue d'eau qui s'étend à perte de vue et j'espère presque de ne jamais pouvoir en sortir. Mon fils. Je me suis perdu avec la vérité qui m'appartenait, perdu avec ceux que j'aimais, perdu avec tous ceux à qui je tenais et je me perds encore dans d'affreuses nostalgies, de profondes mélancolies, de douloureux souvenirs.
On tourne en rond et on revient à la case départ. Je n'ose même plus poser de questions et j'ai l'impression que je n'arrive même plus à être moi-même. Je n'arrive même pas à croire que nous sommes sur le point de recommencer à jouer des rôles. C'est trop risqué. On va se faire reconnaître, se faire jeter en prison et être enfermés, à tout jamais. Alexander a dû pensé à ça, j'en suis sûr mais en ce moment j'ai l'impression qu'il déraille totalement. Le monde déraille et a enfin réussi à nous emporter avec lui. La bataille se termine, des morts inutiles sur les bras, des blessés à vifs, aux plaies encore ouvertes, se traînant, comme nous, vers là où ils peuvent.
Une parcelle de terre apparaît devant nous et je ne me sens pas la foi d'y accoster. J'interroge mon ami :
"Tu es sûr que c'est ce que tu veux ?
- Fais moi confiance. On va réussir à s'en sortir, sans fuir, sans partir, sans s'exclure d'un monde dont on n'a peut-être pas encore remarqué toutes les merveilles. Soyons qui nous voulons être.
- Je te fais confiance mais je ne vois pas où cela nous mène. C'est donc la fin ? On va revenir à nos petites vies d'avant, avoir un métier à deux balles et payer des impôts intolérables pour faire profiter l'Etat. C'est donc ça ? Métro-boulot-dodo, comme avant ? Je croyais qu'on détestait ça. Je croyais que c'était justement ce dont on avait pas du tout envie.
- Ça l'était et je partage totalement ton avis. Tu as raison sur tous les points mais rends toi à l'évidence, papa. Il faut qu'on trouve notre place et cela prendra sûrement plus de temps que prévu. Accrochons-nous, veux-tu ?
- Très bien."
A la force des bras il se tire sur la terre ferme et m'aide à en faire de même, peu de temps après. Nous sommes trempés. Je ne sais pas où nous sommes ni quelle heure il est réellement. La lune est encore haute dans le ciel mais un soupçon matinal chatouille mes narines, une odeur, une sensation que je n'arrive pas à découvrir. Peut-être est-ce juste l'odeur d'une renaissance, d'un nouveau départ.
Nous nous arrêtons un moment, adossés contre un arbre, les pieds dans la boue, sans rien dire. Nous n'avons rien à nous dire actuellement et parfois le silence est le plus beau des sons. Je me retourne, de temps à autres, vers lui, et le vois, plongé dans l'immensité, perdu entre songes et cauchemars. Il ne fixe rien et sans le connaître, je pourrais croire qu'il est mort. Sommes-nous obligés de devenir comme cela, des corps sans réelle vie ? Je ne veux pas en ouïr davantage.
Je le regarde à nouveau et il dort désormais. Il dort et il ronfle, tel un ours en hibernation, à gorge déployée. Il pourrait réveiller tout le voisinage et rien que d'y penser, cela m'arrache un sourire. Il n'y qu'une maison près de là où nous sommes, petite, décrépie et en sale état. Le jardin qui l'entoure semble abandonné et s'il n'en tenait qu'à moi, je prendrais possession des lieux, tel un vandale en recherche d'un lieu où dormir, où prospérer, tranquille, sans déranger personne. On pourrait être bien ici, au milieu de nulle part et partout à la fois.
Je décide de ne plus rêver à tant de belles choses et essaye de dormir. Je ferme mes yeux et attends, seconde après seconde. J'en veux à la lune d'éclairer autant et pourtant je la remercie d'être là, présente, avec nous. Je m'assoupis peu à peu et m'adosse, délicatement sur l'épaule d'Alex. Je t'aime et je sais désormais pourquoi. Il sursaute un peu mais se remet tout de suite dans sa position initiale. Tout semble si beau, si irréel que tout cela m'effraie. J'ai peur d'atteindre le bonheur, de vivre comme j'en ai envie et qu'encore une fois, après tout ce que j'ai vécu, tout s'écroule comme un château de cartes. J'y pense trop et je ne dors que d'un œil. Les oiseaux commencent déjà à chanter et je suppose que le soleil ne va pas tarder à se lever. Non. Restons là, éternellement. Reposons-nous, une bonne fois pour toute, avant de reprendre notre route décadente, faites de voyages, surtout intérieurs.

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Et la vérité s'envolera avec moi
Tajemnica / ThrillerJe m'en vais, je pars loin de tout ce que je connais. Je refuse de dire que je fuis mais c'est ce que je fais. C'est décidé, je n'ai plus ma place ici et c'est bien ailleurs que je vais espérer la trouver. Je n'emporte que très peu de choses, j'ai...