Et la vérité s'envolera avec moi

Chapitre 23

Il fait nuit ou du moins c'est ce que je pense à en croire le bruyant silence autour de moi. Je n'ai pas froid et pourtant il plane au dessus de ma tête une sorte d'atmosphère glaciale dûe à un trop plein d'âmes sombres qui vagabondent dans ce train. Je ne sais pas si j'ai fait le bon choix ni si bon choix s'est présenté à moi mais j'y suis et je vais devoir vivre ici pendant longtemps. Je suis en exil et je me trouve totalement indifférent à cela. Je ne sais pas si je vais supporter tout cela, cette solitude, ce manque de je ne sais réellement quoi et ce travail sur moi-même que chaque jour je fais. 

J'ouvre les yeux et la pâle lueur de la lune qui traverse les fenêtres m'arrache un petit sourire. J'ai toujours adoré cela, la nuit, les étoiles et la luminosité de ce moment de la journée si particulier dont beaucoup ont peur, sans réelle raison. La nuit nous rend fort et masque ce qu'on ne veut pas voir. La nuit nous change. La nuit nous laisse penser. La nuit nous est essentielle mais on se la réserve pour dormir comme si c'était une obligation contrôlée par nos gênes. Pourquoi vivre dans un monde coloré si celui-ci n'est que gris ? 

Je me lève et remarque que je suis seul dans le wagon restaurant. Je connais très mal l'endroit dans lequel je suis mais je suppose qu'il doit comporter quelques espaces où les personnes normalement constituées peuvent dormir. Il me faudrait plus que ça pour m'effrayer et je décide de partir à la découverte. Je suis curieux et curieux de tout. Je m'avance à tâtons entre les sièges, m'appuyant sur ces derniers pour ne pas tomber à cause de mes yeux encore engourdis qui ne me permettent pas de tout distinguer clairement. Je trébuche un pas sur deux mais me rélève toujours. 

Je traverse le wagon restaurant et observe que celui-ci est très grand. Il doit y avoir une vingtaine de tables pouvant accueillir quatre personnes. Elles sont déjà prêtes pour le petit-déjeuner du lendemain, assiettes, couverts et verres déjà positionnés, placés au milimètre près comme si le destin des personnes qui les utiliseront en dépendait. Un grand buffet est déjà préparé et en voyant tant de nourriture mon ventre s'excite et soudain la faim m'atteint. Je ne devrais pas manger à cette heure là de la nuit mais j'en ai l'incommensurable envie. J'aimerais pouvoir me dire que je suis normal mais le métro-boulot-dodo ce n'est pas pour moi tout comme le fait de manger aux heures des repas. 

J'hésite et ne sais pas par où commencer. Croissant. Céréales. Tartines. Tout s'offre à moi. Je n'arrive plus à faire de choix et commence peu à peu à me faire à cela. Je lève les yeux au ciel comme si cela allait m'aider mais en vérité cela ne m'avance à rien. Je suis tiraillé entre manger et me retenir. J'ai peur que si l'on me voie on ait envie de me jeter en dehors du train. Je ne sais pas s'il y a un quelconque règlement qui empêche les fringales nocturnes mais j'espère bien que non et entame mon petit-déjeuner quelques heures avant ce qui était prévu. 

Je me sers un grand bol de lait froid et ne sais même pas quelles céréales je veux. Je prends de tout en espérant que le mélange sera bon. Je me sers un verre de jus d'orange et pense à ma mère qui me disait tout le temps de ne pas en boire la nuit car ce n'était pas bon et que ça empêchait de dormir mais la question qui subsiste est : est-ce que j'ai vraiment envie de dormir ? Je le bois d'un trait et de nombreux souvenirs me reviennent. Je me vois, plus petit, me levant le matin, avant d'aller à l'école, devant le petit-déjeuner que chaque jour ma mère me confectionnait avec un grand amour. Je me revois lui demandant de faire mes tartines et de me servir mon chocolat chaud dont je n'arrivais pas à me passer. Je revois tant de choses et j'aimerais, indubitablement, tout oublier. Sans souvenirs je suppose que la vie serait plus simple. Je ne veux plus que mes jugements soient altérés par quoi que ce soit et toute ma vie m'en empêche. J'aimerais avoir encore la naïveté que gamin j'avais et demander "Pourquoi ?" vers le ciel, le scander même, sans m'arrêter mais il m'est évident que je ne peux plus.