Mon appartement est situé, si l'on en croit le nombre d'étages devant lesquels je passe, dévalant ainsi les escaliers, au sixième ou au septième étage. Avant je me serais plaint de cette situation, de ne pas avoir d'ascenseur, de ne pas avoir cette machin, complément de sécurité pour me rassurer, me faciliter cette tâche qui, si on la regarde de plus près, n'est ma foi, pas très épuisante. Mes jambes sont folles et je ne peux plus les retenir. Si je le pouvais j'irais saluer tous mes voisins, me présenter et leur exposer la meilleure partie de moi-même, une version de moi où pour une fois, j'essaierais d'être honnête. Je suis d'humeur jovial et c'est comme si rien ne pouvait me faire redescendre de ce petit nuage cotonneux dans lequel je me suis, difficilement et aux pris de grandes sacrifices, hissé, comme à bout de bras.
J'ouvre une derrière grande porte, immense, gigantesque et arrive dans ce lieu dont la beauté pourrait presque m'exaspérer. J'ai devant moi une longue jetée menant à l'Hudson River et la joie des passants qui l'empruntent est communicative. Je n'arrive pas à camoufler ce sourire que j'aimerais montrer au monde entier si je le pouvais car oui, je suis heureux. Je me promène, je flâne, disant bonjour au marchand du coin, serrant la main d'hommes et de femmes tous plus distingués les uns que les autres. Je pourrais passer toute ma vie ici, me promener dans Central Park, à sortir, boire un coup, danser toute la nuit. C'est peut-être ici que j'appartiens finalement, cette grande ville qui m'a toujours impressionné. Rien n'est gagné et ma place n'est encore que provisoire. Je suis habitant de New York mais cela pourrait ne pas durer. On m'y a jeté, lâchement, sans scrupules et maintenant je me sens comme l'enfant qui apprend à parler sans réellement savoir comme s'y prendre alors je murmure, je tâtonne, je pousse quelques cris.
Je décide d'aller faire du porte à porte dans le but de trouver un emploi. Je commence par un café branché dont la devanture me fascine. J'entre, me dirige vers le comptoir et demande ironiquement "Que puis-je faire pour vous ?" au barman comme si c'était une question qu'il était normale que je pose, que je lui pose.
"Venez ce soir, vers vingt heures, vous ferez vos preuves."
La simplicité de cette échange m'épate et je n'arrive qu'à lui faire un clin d'œil pouvant porter à confusion en guise de réponse. Je tourne les talons et repars, plus heureux que jamais. Je ne suis triste que de ne pas être venu ici plus tôt au vue de la magie qui plane dans l'air comme la brume un soir d'automne. Je salue le propriétaire de l'établissement d'un geste de la main, sans grande conviction et franchit la porte à nouveau, celle qui m'aidera peut-être à survenir, à trouver la vie qu'il m'a peut-être toujours fallu vivre.
J'aimerais avoir le culot de faire comme ces artistes de rues et pouvoir danser, devant tout le monde, sans peur du ridicule ou de la moquerie. Je veux crier au monde que tout va bien dans ma vie, leur dire à quel point je les remercie car sans eux je n'en serais jamais arrivé là. Je remonte la rue et m'arrête quelques temps, sur un banc, à ne faire que bronzer et passer du bon temps. J'ai commandé un smoothie et la fraîcheur de celui-ci me rappelle l'éternelle solitude du monde. Mes démons reviennent, tout me rappelle l'avant, le passé et j'ai beau vouloir tout enfermer dans une boîte, je n'en ai pas les moyens.
Je passe devant de grandes vitrines et celles-ci m'attirent indéniablement. Je rentre dans une première et une seule envie me vient, tout acheter. Je suis endormi et à la fois complètement réveillé. Je vis une illusion et je ne veux pas que cela s'arrête. Je commence à prendre une veste laquée par-ci, un pantalon beige clair par là, quelques tee-shirts, une chemise et fonce tout essayer. Dans ma parenthèse solitaire et derrière ces rideaux j'essaye, approuve et réessaye encore si cela ne me correspond pas. Je suis d'humeur consommatrice et c'est un peu les cas de tous les habitants ici. On dépense tout sans compter, notre bonne humeur, notre argent et chaque once de notre joie de vivre. New York n'a pas de regrets et lorsque je débourse la modique somme de mille dollars en caisse je n'en ai pas non plus. Je ressors, mes achats à la main, telle une star lors d'une virée shopping et je me sens pris dans cette émulsion de plaisir instinctif, dans ce mouvement de foule parmi lequel je me laisse porter. Je ne suis plus maître de moi-même et la ville est en moi. J'inspire de grandes bouffées d'air comme pour me dire que tout cela n'est qu'une scène faite en papier mâchée, crée de toute pièces et pourtant rien ne me semble plus réel. Je suis fasciné, par le monde et par moi-même, essayant de m'y intégrer comme je ne l'ai jamais. Pourquoi pas avant ?

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Et la vérité s'envolera avec moi
Mystère / ThrillerJe m'en vais, je pars loin de tout ce que je connais. Je refuse de dire que je fuis mais c'est ce que je fais. C'est décidé, je n'ai plus ma place ici et c'est bien ailleurs que je vais espérer la trouver. Je n'emporte que très peu de choses, j'ai...