La devanture m'apparaît de nouveau sous les yeux et celle-ci ne semble pas effrayée par le monstre que beaucoup doivent penser que je suis. Elle est accueillante et malgré les panneaux clinquants annonçant d'affolantes "happy hours" cet endroit m'inspire confiance. Je pousse la porte et la cloche se trouvant derrière vibre dans une douceur de réveillon de Noël. L'endroit est encore calme car il n'est que vingt heures mais on peut sentir dans l'air ces reflux d'alcool que tous apprécient venir siroter ici dans de longues soirées mélancoliques ou au contraire de grandes célébrations festives.
Le lieu est spacieux et même si un peu poussiéreux il respire bon vivre. Il est de ça et là, quelques petites canapés en cuir de disposés, quelques fauteuils, deux ou trois lampes donnant une lumière tamisée. Ca sent la fumée de cigarette que la loi interdit maintenant de fumer ici, les parfums de joie et d'excitation de fin de soirée, la violence parfois utilisée par les videurs au petit matin. Ca sent la vie, une vie sombre, une vie que l'on cache. La faible musique d'ambiance est tout à fait appréciable et le peu de personnel qui est déjà ici danse déjà, un peu timidement, en essayant de ne pas se faire remarquer.
Je m'avance et trébuche après une marche. Je me rattrape et me reprends. Je dois faire une bonne impression et je lève ainsi la tête, le regard supérieur. Je reçois une grande tape dans le dos, me retourne et remarque que le propriétaire du bar est déjà surpris de me voir. Il s'approche, me met sa main sur le pectoral et me dit, d'une voix douce et affectueuse :
"Ne t'inquiète pas. Tu n'as pas à te justifier."
Je sais de quoi il parle et pourtant je pourrais me blâmer de me présenter ainsi ce soir. Je n'ai aucune présentation et aucun maquillage ou déguisement ne pourrait cacher le look abominable que j'essaye de porter le plus fièrement possible. J'ai l'air d'un gangster avec mes cicatrices au front et pourtant on voit bien que je ne ferais pas de mal à quiconque en voyant ma tenue taillée à quatre épingles. Je fais pâle figure parce que rien ne me paraît assumé chez moi. Je suis douteux de moi-même et l'image que je donne n'est clairement pas celle que je voudrais.
"Mais je n'ai rien de plus que ça pour le moment. Je n'ai pas le temps d'aller me changer. Je suis désolé vous savez. Je vous en prie..
- Chut, m'intime-t-il. Viens avec moi. Tout ça n'est pas un problème."
Il passe devant moi et me conduit vers un coin plus sombre du bâtiment. Je préfère ne pas laisser transparaître mon inquiétude et y vais donc, le suivant, feignant une joie et une reconnaissance que je veux subtile. Nous empruntons une petite porte mal camouflée dans le papier-peint et montons un petit escalier dont la largeur laisse à désirer. La lumière rend les murs glauques et le passage suffocant mais c'est très vite que nous arrivons en haut. Une nouvelle porte. Il la franchit puis m'invite à en faire de même d'un geste très courtois de la main.
Nous arrivons dans une pièce étonnamment claire et dénuée de tout sens. C'est un capharnaüm infernal que celui là mais je me refuse à faire des réflexions par mesure de précaution. Ce n'est pas sale juste quelque peu dérangé. Il y a des livres partout, principalement sur les cocktails et comment les réussir, des vêtements s'amusent à se cacher sous les meubles, une assiette ou deux restent là, pensives, sur une table basse dont on ne saurait définir la couleur, des tableaux s'entassent le long des murs sans avoir été accrochés et tout cela dans un lot de couleurs dont la gaieté réveillerait un mort. Je suis fasciné par autant d'éclectisme et de passion. Ca pue mais ça pue la vie, une senteur dont j'avais oublié le doux parfum. Cet appartement appartient à quelqu'un qui en veut et je crois avoir découvert où j'étais depuis déjà un moment. Il m'a invité chez lui et c'est peu de temps après avoir compris que je l'avais remarqué qu'il me l'annonce :
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Et la vérité s'envolera avec moi
Mystery / ThrillerJe m'en vais, je pars loin de tout ce que je connais. Je refuse de dire que je fuis mais c'est ce que je fais. C'est décidé, je n'ai plus ma place ici et c'est bien ailleurs que je vais espérer la trouver. Je n'emporte que très peu de choses, j'ai...