Ce que je ne vois n'est plus réellement l'interprétation d'une image captée par mes yeux mais plutôt une réalité que je m'invente tout seul faute de pouvoir ouvrir les yeux sous cette montagne d'eau qui m'engouffre actuellement. Je vois du bleu et j'en vois partout. C'est un bleu magnifique, un bleu roi et canard et turquoise qui me fait face. C'est une déclinaison de sérénité qui s'offre à moi. Je me sens apaisé et rien ne me donne envie de remonter.
J'ai comme l'impression d'avoir plus d'air ici. Je coule et ainsi que je descends encore et toujours plus bas, j'entends de moins en moins ces voix et ces soupirs épris de jugements qui crient à la surface. Je suis heureux d'être là et j'aimerai pouvoir y passer du temps. Peut-être pas jusqu'à mourir, peut-être juste jusqu'à un changement or je ne pourrais jamais le voir si je ne remonte pas. Les changements que j'aimerais voir s'opérer sont vastes et il est totalement ridicule de vouloir les énumérer. Je me sens bien et c'est léger que je pourrais me laisser aller désormais.
J'ai toujours été sceptique sur ce moment où s'offre à nous le choix de la vie ou de la mort et même en ce moment je ne sais pas trop quoi en penser. Je pensais que l'on me proposerait un choix, qu'on m'indiquerait une direction ou des consignes qui dirait quelque chose comme "Si vous voulez vivre : arrêtez de vous poser des questions, battez des jambes et atteignez la surface. En revanche, si vous voulez mourir : laissez vous aller." Or ce n'est pas du tout ça. Il n'y que moi comme cela l'a toujours été qui suis maître de moi-même. Même dans ce choix on est seuls et il n'est pas simple de se décider. Il me faudrait du temps et je suis si bien ici.
Les minutes s'écoulent et je suppose que quelle qu'elle soit une entité m'attend en bas, dans les ténèbres que certains imaginent comme affreux. Je ne crois pas au paradis, ni en rien mais il est dur de se dire qu'on disparaît comme ça. On peut faire disparaître un corps, de la matière, des souvenirs et encore beaucoup d'autres choses mais peut-on faire disparaître une âme ? Peut-on oublier un individu et les influences qu'il a eu sur les autres ? Peut-on réellement se dire que rien n'a existé ? Est-ce que le mensonge n'est pas qu'une vérité qui n'a jamais pris d'importance dans la bouche des gens ? Les minutes sont des heures et le froid m'envahit même si je ne le ressens plus tellement. Je n'ai pas la force de bouger et personne ne le fera à ma place. On ne peut pas changer ce que j'ai décidé pour moi. Je ne veux pas qu'on me sauve. J'irai où j'irais mais une chose est sûre : j'irai.
Je comprends maintenant que l'état d'esprit dans lequel j'ai toujours été n'a jamais été réellement sombre car tout ce que j'ai pu penser ou dire n'est pas plus sombre que la sensation de mourir et de le vouloir. Il n'est plus question de lumière mais de petite éclaircie qu'il nous faut la volonté de voir sous peine de sombrer à tout jamais. J'aurais aimé me dire que ce moment serait parfait et pourtant il ne peut jamais l'être. Pourquoi croire que cela puisse être bien ? Ce n'est qu'un chemin où la route te rappelle au combien les demi-tours sont encore possibles. Au fur et à mesure d'elle les panneaux clinquants qui te conseillent de revenir en arrière s'espacent et tu finis par ne plus y faire attention en même temps que tes possibilités de survivre deviennent faibles et s'amoindrissent.
Je commence à penser que je ne suis plus humain et me considère presque comme déjà ailleurs. Je m'imagine déjà bleue pâle dans cette eau verdâtre et sale dans laquelle j'ai presque sauté mains et pieds liés. Je ne sens plus de chaleur en moi et peut-être que mes veines ne s'irriguent déjà plus correctement. Il ne me semble pas que je respire encore et mes muscles deviennent plus faibles à chaque moment que je passe ici. Je n'ai plus le courage de me débattre et j'aimerais pouvoir transmettre toutes mes idées à quelqu'un qui puisse les faire passer à son tour et ainsi garder encore espoir que plus tard le monde puisse changer un petit peu et que j'en sois la cause majeure. Il m'aurait été agréable de savoir que mes actes créeraient une certaine explosion dans la tête de tous ces gens endormis face à la vie. Je voudrais que cela leur saute à la gueule et qu'ils se rendent compte que ce monde léthargique n'est qu'un prologue de leur lit de mort. Ma bouche n'arrive même plus à faire l'effort de se fermer pour que je ne boive pas la tasse et c'est comme cela que de grandes goulées d'eau rentrent dans mes poumons sans que je ne veuille y faire quoi que ce soit ou que j'arrive à en ressentir le douleur qui serait considérée comme logique et normale. Je me sens rempli d'eau et de lâcheté, de désillusions, de regrets, de remords et de plein d'autres choses que j'aurais pu éviter comme je le pense maintenant. Je ne suis plus et je m'enfonce encore et encore. Il n'existe plus de sorties et je crois maintenant que c'est réellement la fin.

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Et la vérité s'envolera avec moi
Mystery / ThrillerJe m'en vais, je pars loin de tout ce que je connais. Je refuse de dire que je fuis mais c'est ce que je fais. C'est décidé, je n'ai plus ma place ici et c'est bien ailleurs que je vais espérer la trouver. Je n'emporte que très peu de choses, j'ai...