Chapitre 27

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Lorsque je me réveille il est très tôt le matin et la lumière du jour m'agresse en provenance d'une grande baie vitrée qui se trouve presque nez à nez avec moi. Je ne suis plus dans le taxi et je n'arrive plus à me remémorer cet homme que j'ai détesté pendant une longue soirée, sans m'arrêter. La vue qui s'offre à moi semble être celle de New York, cette ville que depuis longtemps je rêvais de visiter. Je ne sais pas pourquoi je suis là mais j'ai envie de remercier celui qui m'a amené ici. J'ai du mal à croire que tout cela soit l'oeuvre d'un seul homme mais quel qu'il soit je lui dois une fière chandelle.

Je me lève et remarque que ce n'est pas seulement la vitre en elle-même dont les dimensions sont exagérées mais tout l'appartement dans lequel je me trouve actuellement. C'est un loft, un loft new-yorkais, un rêve pour moi. J'avance vers le grand plan de travail sur lequel se trouve une lettre.

"Tu as une dernière chance et la voici."

Elle n'est pas signée et je meurs d'envie de savoir de qui elle provient mais, de manière évident, je ne le saurais jamais. C'est à la fois un cadeau et un avertissement. Je ne dois plus foutre en l'air tout ce que je fais, je n'ai plus le temps pour ça. A côté de la lettre se trouve une liasse de billet, retenue par un trombone et à en croire son épaisseur je parierais qu'il y a plusieurs dizaines de millions de dollars ici, sûrement venus tout droit de mon compte en banque parisien.

Je compte saisir cette nouvelle chance et le faire bien, pour une fois ; alors sans prendre le temps de visiter cet appartement qui semble comme être désormais mien, je fonce dans la salle de bain que j'aperçois au loin. J'ouvre la porte de la douche et la découvre, grande, immense, et impeccablement blanche. Je me déshabille et jette ces vêtements sales que je porte depuis plusieurs jours loin de moi, comme de vulgaires déchets, signe de la fin de quelque chose. Je rentre dedans et ferme la porte derrière moi. Je commence à faire couler l'eau et les seules pensées qui me viennent sont "Que vais-je faire aujourd'hui ?" et "Que va être ma vie désormais ?" ce qui change de mes anciens questionnements éternels et douloureux de tous les jours. Ma peau se sent revigoré et mon petit cœur aussi. Un homme sain dans un corps. Je me savonne, partout, avec ce savon de Marseille que j'ai trouvé à l'angle de la douche. Je me rince et recommence encore une fois, juste pour le plaisir. Il caresse ma peau comme pourrait le faire une femme et glisse contre moi, contre mes jambes, contre mon ventre, sur mes épaules, sous mes pieds et c'est une joie divine qui m'empare. A se précipiter on en oublie toujours l'essentiel, le bonheur des pauvres choses, des attentions délicates, des plaisirs discrets. Je m'attelle aux cheveux et dépose une noisette de ce shampoing à l'aloé vera qui, depuis tout à l'heure me fait de l'oeil, dans le creux de ma main. Je masse mon cuir chevelu avec et c'est une délicieuse odeur qui emplit désormais toute la cabine. Cela me rappelle mes doux voyages dans le Sud de la France lorsque que ma mère m'y emmenait encore. Je m'évade et pourtant je me force à garder les pieds sur terre. Je ne dois pas m'emballer, je le sais. Je ne dois pas me dire que tout est acquis car comme le mot que l'on m'a fait parvenir, je dois faire attention. J'enlève tous les résidus de cette mixture de mes cheveux et regarde ainsi, s'en aller, cette émulsion blanchâtre, vers le siphon de la douche comme l'écume de la mer s'en allant vers l'horizon.

Je coupe l'eau et arrête avec, mes illusions que je sais comme pouvant être dévastatrices. J'ouvre la porte, ma petite affaire finie et attrape la serviette que je remercie d'être là. Je me frictionne avec et me sens plus propre que jamais. Nu, je pars à la quête de vêtements, propres et distingués. Je pousse toutes les portes qui s'offrent à moi et découvre ainsi un bureau, les toilettes, une petite chambre et enfin un dressing que je n'aurais pu imaginer plus beau. J'ouvre un tiroir et celui-ci se trouve rempli de boxers et de caleçons en tous genres. J'en enfile un en gigotant un peu et pars à la recherche de chaussettes. Je m'étonne de voir que les vêtements qui sont ici sont bien les miens et je ne comprends pas comment ils sont arrivés jusqu'ici. Arrête de penser. Je reconnais mon jean fétiche et la veste en flanelle que j'ai porté tout l'été. J'ouvre un second tiroir et prends, nonchalamment, une paire de chaussettes. J'enfonce délicatement mes pieds dedans et la sensation de marcher dedans sur le sol moquetté sonne pour moi comme étant la signification que je suis bien chez moi. Je ne sais pas encore où je vais aujourd'hui mais je dois être chic, branché et bien apprêté. J'enfile un jean, un peu serré, noir, et le fait maintenir avec une ceinture en cuir marron. Je pars à l'autre bout de la pièce qui, ma foi, doit bien faire quinze mètres carrés et attrape une chemise qui pendouille là, sans se poser de questions. Je la passe autour de mon torse et la boutonne, en prenant bien soin de la froisser la moins possible. Je m'observe dans le miroir et même si mon look n'est pas fini je me reconnais déjà. J'aime cette personne que je vois et elle m'inspire confiance alors j'espère secrètement qu'elle inspirera confiance à ceux chez qui je vais frapper à la porte en recherche d'un emploi aujourd'hui. Près du miroir, mes vestes s'entassent, presque serrées les unes contre les autres, s'étouffant mutuellement. J'en libère une de son triste sort et la superpose à ma chemise. Ma tenue se finit peu à peu et il ne me reste que les chaussures à choisir. Je tourne sur moi-même et remarque un grand tiroir, de deux mètres, deux mètres trente de largeur et l'ouvre, furtivement. La caverne d'Ali Baba est là et j'ai presque envie de verser une larme quand je vois que je n'ai pas perdu toutes ces belles paires de chaussures que pendant des années j'ai entassé. J'en prends une puis la repose, ayant subitement changé d'avis. Une deuxième, mais toujours pas. Je ne trouve pas chaussures à mon pied et j'en rigole doucement. Mes préoccupations sont futiles, triviales et absolument légères, sans grande portée, sans rien qui puisse me faire devenir triste ou en colère. Je me décale de quelques pas sur la droite et attrape enfin celles qu'il me faut. Vernis, elles ont le chic en elles et pourtant la forme de basket que son créateur leur a donné leur confère une certaine modernité. Pour les cinq cents cinquante cinq euros qu'elles m'ont coûté je suis bien heureux de ne pas les regretter. A mes pieds, elle semble comme être la pièce qu'il manquait à l'image que je me devais d'avoir aujourd'hui.

Et la vérité s'envolera avec moiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant