Chapitre 30 : Pleurer ou ne pas pleurer ?

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Il était temps de terminer cette histoire. Karma prit une profonde inspiration :

- Je n'ai pas pleuré. Enfin, pas sur le coup. Après ça, j'avais été interrogé par les médecins et la police, mais je n'ai jamais rien dit. Puis on m'a fait voir un psy qui a conclu que j'étais sous le choc du traumatisme et qu'il fallait me ménager, mais que c'était normal pour un enfant comme moi d'avoir de tels blocages. Mais c'était pas vrai, je me souvenais de tout.

Je n'étais pas traumatisé, je n'avais pas peur de revivre ça, au contraire. J'arrêtais pas d'y penser, en boucle. A comment il était mort. Ca m'avait hypnotisé. Je ne voulais qu'une chose : pouvoir revoir cette scène.

Non attends, j'exagère. Je n'y pensais pas tout le temps. En fait, il y avait une part de moi qui ne voulait juste pas en parler, un côté de ma conscience qui me murmurait de faire disparaître ce souvenir de mon existence. D'une manière ou d'une autre, sa mort m'avait débarrassé du problème qu'il était. Je pouvais reprendre ma vie tranquillement avec un insecte en moins pour me faire chier.

J'avais beau être un enfant, j'étais pas stupide. Je savais que si je l'avais raconté aux adultes,  non seulement ils ne m'auraient pas cru mais en plus ils en auraient fait toute une histoire et en auraient reparlé pendant des années. Et je n'avais pas envie qu'un problème hors de cause revienne gâcher ma vie par pure curiosité morbide. Je ne voulais pas qu'ils me posent des questions sur comment je me sentais par rapport à ça. J'allais bien tant qu'on ne me le demandait pas. J'avais déjà assez de choses à gérer avec sa simple mort "accidentelle", alors imagine l'agression sexuelle en plus . . .

Parce que je reconnaissais que c'était bel et bien une agression sexuelle. Mais puisqu'il ne me ferait plus de mal, je ne ressentais pas le besoin de le dire... Ni d'en être triste, dégouté, choqué ou quoi que ce soit. Je n'avais plus de raisons de m'en plaindre, dorénavant.

Mes parents me répétaient toujours qu'ils étaient là pour m'écouter, que je pouvais m'exprimer sans peur et que j'avais le droit de pleurer. Tout le monde me le disait : « tu as le droit de pleurer Karma, c'est très dur ce que tu as vu. » Le psy le disait aussi. Et je haïssais ça.

Mais je n'ai pas pleuré. Je n'ai pas pleuré pendant une année entière, aucune larme ni pour lui ni pour le reste. Je vivais ma vie, je jouais normalement, je mangeais ce que je voulais, je faisais des bêtises. 

Et même si je repensais tous les soirs à la douloureuse agonie de laquelle j'avais été témoin, je ne pleurais jamais. Jusqu'à ce qu'on retourne au cimetière.

Pour l'anniversaire de sa mort, sa famille avait organisé une marche funéraire et une petite cérémonie. J'avais dis que je ne voulais pas y aller mais le psy avait convaincu mes parents que c'était important, alors je n'ai pas vraiment eu le choix. Mais je m'en fichais un peu d'être là ou non. C'était juste un type banal à mes yeux, je ne le détestais pas particulièrement... Et je ne l'appréciais certainement pas non plus.

J'avais quasiment effacé son existence de ma vie. Il était juste le type que j'avais vu mourir, rien de plus.

En fait, j'étais anormalement attiré par toute la partie "processus de mort", mais totalement insensible à tout ce qui concernait le harcèlement sexuel. C'était pas un blocage, c'était juste... Par exemple, comme quand tes parents t'achètent un pull bizarre pour Noël. Tu t'en fous un peu, tu le ranges dans ton placard, et tu oublies son existence. Ce n'est ni un bon souvenir, ni un mauvais. Juste . . . un souvenir.

Je savais ce qu'il m'avait fait, mais je n'y pensais pas.

Mais voilà, quand nous sommes arrivés au cimetière, tout m'est soudainement revenu. Que ce soit ses doigts sur mon corps, les regards pervers qu'il me lançait, les promesses mielleuses débordant d'hypocrisie, la chaleur des flammes, la panique dans sa voix, le bruit de ses os qui craquent, l'odeur de sa chair brûlée . . . ça m'est brutalement tombé dessus à l'instant où j'ai franchi les portes du cimetière.
Toutes les émotions en même temps.

𝐖𝐡𝐨 𝐀𝐦 𝐈 ?  [ INCOMPLETE ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant