Chapitre 1

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Au commencement, j'ai eu tendance à croire que les humains étaient tous humains. Plus tard, bien plus tard, quand leur civilisation eût grandi, qu'ils se furent multipliés, que je pus les comparer les uns aux autres, je décrétai qu'ils seraient égaux. J'avais le droit de choisir cela pour eux. Pas à ce moment-là, mais plus tard, encore plus tard. Pour être plus précis, c'est au moment où ils vinrent à moi que j'en eus le droit.

Tout d'abord, ils me virent la nuit. S'ils ne m'avaient pas vu cette nuit-là, ils m'auraient vu la suivante, peu importe, car s'il s'agissait de notre premier contact physique, moi, je les avais déjà vu. Voir n'est pas le mot exact, mais je savais qu'ils étaient là depuis le jour où ils s'étaient mis à parler. A vrai dire, le jour où ils s'étaient mis à balbutier des borborygmes ressemblant à mon langage.

Mais cette nuit était sombre, le ciel obscurci par les nuages ne laissant pas les étoiles éclairer la Terre. Chez moi, c'était lumineux. Mais ça l'est toujours aujourd'hui, peut-être même plus encore. La journée qui suivit, ils se rapprochèrent. Je pensais qu'ils faisaient un détour vers moi, n'étant pas leur destination initiale. J'appris peu de temps après que je l'avais toujours été, leur destination étant la découverte de nouveauté, j'avais parfaitement comblé leurs désirs.

Le jour qui suivit, ils firent plusieurs fois le tour du dôme lumineux semi-transparent qui était mon domaine, et ceci sans me voir. Oh, ce n'est pas qu'ils étaient aveugles, j'étais bien au centre du dôme, mais seize pieds sous le niveau du sol. Je ne voulais pas qu'ils me voient. Pas maintenant. Ces humains là étaient à peine une dizaine, et je savais leur peuple bien plus nombreux. Alors je les attendis tous. Et ils vinrent.

Il va sans dire que si un humain était entré dans mon dôme avant que les autres n'arrivent, je serais évidemment venu à sa rencontre. Mais ils attendirent avec moi que les autres arrivent. Leur civilisation était encore peu évoluée à ce moment-là, mais elle était ce que je voulais dans ses moindres détails. Suffisamment organisée pour avoir des projets, des ambitions, de la curiosité surtout, et suffisamment peu pour qu'ils aient besoin de moi. Tous. J'insiste sur ce Tous. Chaque humain, quel qu'il soit, devait être mis à égalité avec son voisin. Je le voulais depuis longtemps.

Mais il y eut un premier. Il devait forcément y avoir un premier, juste pour tester. Même moi, qui savais qui était chacun d'entre eux, ne savais pas qui viendrait me voir en premier. J'en étais très curieux, plus que je n'aurais dû l'être pour en faire des êtres égaux, mais je savais me contenir, une fois l'impatience passée, il ne resterait que lui et moi. Et tous les autres. La complexité de l'identité du premier résidait dans le fait qu'il aurait pu être n'importe qui : un vieux qui n'a plus rien à perdre, un immoral à sacrifier, un enfant ignorant le danger, un courageux se portant volontaire...

Ce ne fut aucun de ceux-là. Obligé par personne, un curieux mis sa main contre le dôme, comme tout le monde et je sentis immédiatement qu'il allait passer. Mais pas tout de suite. Plusieurs longues secondes s'écoulèrent, sa main en suspension entre chez lui et chez moi. Puis, lentement, très lentement, sa main s'enfonça, le dôme imprimant sa forme sur ce qui ne fut que quelques millimètres, et d'un même mouvement, il fit un pas en avant et le dôme redevint lisse derrière lui. Il était passé.

Le brouhaha ambiant qui résidait chez lui depuis déjà plusieurs jours se tut. Il ne l'entendit pas. Il n'était plus chez lui, il était chez moi, mais il vit. On pouvait voir aussi bien d'un côté que de l'autre ce qui ne se passait pas chez soi. Il regarda ces visages qui le toisaient avec la même curiosité contagieuse qu'il avait répandu lorsqu'il était entré. La première chose qu'il fit, ce fut d'essayer de ressortir. Ça me contraria. Un instant. Parce que l'instant d'après il se retournait vers le centre. Il avait compris qu'il ne retournerait pas chez lui avant d'avoir vu chez moi. Il ne cria pas, ne se mit pas en colère, ne tenta plus de passer au travers de la barrière lumineuse, comme le faisaient certains à l'extérieur, chez lui.

Au contraire, sa curiosité le poussa vers le centre et il avança. Je lui avais préparé un chemin, au premier, et à tous les autres. Un chemin d'une roche blanche, sur laquelle il traversa le vide pour aller au centre de ce même vide. Vraiment curieux. Un courageux ne l'aurait pas mieux fait. Alors, je montais, et nous nous regardâmes durant de longues secondes. Non, pas regarder, je n'avais pas de yeux, ce n'était pas ce que je faisais, ce n'était pas non plus ce qu'il ressentait. Seul le mouvement constant de mon corps pouvait lui indiquer que j'étais un être vivant. Seule la langue commune que nous partagions lui indiquerait que j'étais un être vivant doté d'intelligence. Je pris la parole et tout alla très vite. 

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