Chapitre 34

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Les branches du saule pleureur se refermaient encore après notre passage, que déjà nous marchions vers les tentes, près de la berge, et Mickael courait devant avec le panier, il se retourna vers nous sans vraiment s'arrêter :

« - Je les amène aux réserves et je reviens ! »

Il repartit à toute allure en slalomant entre les tentes, et disparut rapidement de notre vue. Sylvia perdit l'air joyeux qu'elle avait encore quelques instants auparavant, pour me demander :

« - Quand est-ce qu'il aura cinq ans ? »

Je soupirai en laissant mes yeux divaguer dans la direction que le gamin avait prise.

« - Est-ce important ? »

Sylvia se remit en marche, assez lentement pour que je puisse la suivre, et renchérit :

« - Il sait qui est Frère ?

- Je ne lui ai rien caché, il sait quel jour il aura cinq ans, il sait ce qu'il est possible de faire ce jour là, il sait aussi qui étaient ses parents, il prendra lui-même la décision qu'il veut.

- Il a intérêt à prendre la décision que le camp a déjà prise pour lui, sinon je ne suis pas sûre que tu pourras continuer à le protéger. »

Je ne répondis pas. Elle avait raison bien sûr, mais les femmes qui se cachaient dans ce camp, n'étaient-elles pas justement des individus souhaitant prendre leurs propres décisions ? Malheureusement pour Mickael, son sexe ne lui permettait pas de prendre ses propres décisions ici, il était au contraire tout ce que les réfugiées cherchaient à éviter en se cachant dans le marais.

J'avais suivi Sylvia afin de poursuivre notre conversation, et je me retrouvais alors devant la tente de Thérèse, dont Thérèse elle-même sortait en s'exclamant sur le retour de Sylvia. J'avais justement un sujet à aborder avec Thérèse, la dirigeante incontestable de notre camp, et tandis que Sylvia lui racontait son voyage dans l'empire du Nord, je réfléchissais à la meilleure entrée en matière.

Sans interrompre Sylvia, Thérèse écarta un pan de tissu pour nous laisser entrer dans sa tente, où l'histoire de la poursuite de la sixième princesse du Nord continua. Nous nous assîmes sur des rondins de bois que Thérèse avait découpée elle-même il y a deux ans, et je contemplais Sylvia toujours dynamique, avec un flot intarissable de paroles, et notre chef, de stature imposante, toute en muscles, qui pouvait assoir son autorité avec bienveillance. Sylvia parvint finalement à la fin de son récit et fixa un regard déterminé sur son interlocutrice. Thérèse n'eut pas le temps de placer un mot que déjà, l'exploratrice lui disait avec ferveur :

« - Je veux repartir là-bas au plus vite, la princesse peut devenir une alliée de choix si elle nous donne accès à des entrepôts remplis de nourriture impériale, de matériel de soin impérial, ou si elle a déjà des contact avec le personnel du palais qui est plus libre. Bref, je veux m'introduire dans le palais pour lui parler, et pour ce faire, j'ai besoin de Rachel. »

Rachel était le meilleur atout du camp, une combattante qui égalait sans mal des soldats de l'armée de l'Est, l'empire où était située la forêt dans laquelle nous vivions. Avec elle, Sylvia ne courrait plus de danger sur les routes la menant à la capitale de l'empire du Nord, mais le camp se retrouverait affaibli ou moins bien défendu. Cependant, depuis le massacre d'il y a quatre ans, où plusieurs femmes du réseau ainsi qu'un honnête historien avaient trouvées la mort de la main de soldats de l'Est, nous n'avions pas été attaquées, ni même recherchées. Les soldats devaient croire nous avoir toutes tuées, heureusement, ils étaient loin du compte.

« - La décision revient à Rachel elle-même, mais je te conseille de te reposer au camp ce soir et de lui demander demain matin, tu la trouveras quelque part sur le camp. »

Thérèse avait dû estimer que le camp serait hors de danger, même sans la présence rassurante de Rachel pour veiller sur les plus faibles. Je souris et me fit la réflexion que ce n'était pas le moment d'enssevelir Thérèse sous les problèmes, je pourrais lui parler de ce qui me tracasse un autre jour. Cette réflexion tombait à pic, car justement Dyson entrait dans la tente, elle balaya brièvement l'endroit du regard avant de parler :

« - Bonjour Sylvia, bienvenue parmi nous. Marie, le petit Mickael fait encore des siennes à l'école, tu devrais t'en occuper. »

Je me levai d'un bond. Quelle sottise de laisser le petit garçon tout seul dans le camp ! L'idée me traversa de reprocher à Dyson de ne pas l'avoir aidé elle-même, mais je ne pouvais pas demander à toutes les femmes le même effort que moi pour oublier les soucis que nous ont toujours causé les hommes. Au lieu de ça, je m'adressais à elle en sortant :

« - Merci de m'avoir prévenue. »

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