Chapitre 7

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Les murs du palais étaient larges et la porte en bois très épaisse. En utilisant un peu mes pouvoirs, j'aurais pu écouter la discussion. Je ne le fis pas. En fait, je regardais ma sœur. Elle était parfaitement détendue, tandis que les deux hommes les plus importants du pays parlaient d'elle dans l'endroit le plus important du pays. Avec une nonchalance feinte, je lui demandais comment elle pensait que cette histoire allait se terminer. Elle me regarda dans les yeux, avec ses mêmes yeux pétillants qu'un peu plus tôt, mais toute trace de malice avait disparue. Elle était bien plus sérieuse et je crus même y déceler une pointe de regret.

« - Il va m'interdire de faire des mathématiques. »

Sa phrase resta en suspension dans l'air quelques instants et la porte s'ouvrit sur mon frère.

« - Evelyn, tu ne feras plus de mathématiques, mais tu as toujours le droit d'aller à la bibliothèque. »

Il repartit sans nous attendre, un peu avachi, sans doute fatigué par l'entrevue. Sans bouger, Evelyn et moi le suivîmes du regard. Lorsqu'Yvan eut disparu au détour d'un couloir, quelques secondes s'écoulèrent sans un bruit, puis, ma sœur se retourna vers moi avec un grand sourire.

« - On va jouer dans le parc ? »

Une part de moi savait que ce sourire était faux, une autre me disait de ne pas y réfléchir, que tout allait pour le mieux. Alors je lui souris en retour et nous partîmes en courant dans les couloirs vers le parc.

A l'avenir, je la croisais souvent pour jouer au parc ou à la bibliothèque, où elle consultait beaucoup de livres sérieux, et m'aidait, mine de rien, en mathématiques. Après plusieurs mois à l'écart, Yvan nous rejoignit à la bibliothèque, s'intéressant de loin aux activités d'Evelyn. Il ne parlait pas avec elle et je jouais le rôle d'un intermédiaire entre eux. Evelyn me racontait à demi-mot ses lectures en souriant et Yvan m'interrogeait dessus dès qu'elle s'éloignait. Ce fut bien un an après l'aventure des mathématiques que mon frère parla à Evelyn. Il lui posa des questions politiques que j'essayais de saisir, mais n'y parvins pas et cela m'énerva.

Par la suite, Yvan fut très occupé. Il était invité à chaque réunion de père et il passait le temps restant avec nous, parlant surtout à notre sœur. Souvent il nous quittait en disant :

« - Il sera obligé de reconnaitre tes mérites, et ce jour là tu verras, il te suppliera de le pardonner! »

Evelyn souriait toujours. Pas le même sourire heureux que lorsqu'on jouait ensemble dehors, mais un sourire sans les éternels yeux pétillants, parce qu'elle savait que notre frère menait une quête impossible.

Un soir, alors qu'il faisait trop sombre et trop froid pour travailler, Evelyn et moi sommes allés attendre Yvan à la sortie de son conseil. Il faisait froid, l'hiver commençait, et grâce à mon influence, ma sœur avait eu droit à un bonnet, des gants, un manteau et une écharpe. Nous rigolions en regardant nos souffles s'échapper en des formes abstraites dans le froid naissant, et essayant de prédire le premier jour de neige de l'année.

La salle du conseil donnait directement dehors pour que les ministres puissent rentrer chez eux le plus vite possible à la fin des réunions. Il y avait une porte donnant sur l'intérieur, mais seul l'empereur l'empruntait. Nous attendions donc Yvan à l'extérieur. La porte s'ouvrit sur un brouhaha de politique, vite remplacé par des jurons d'adultes contre le froid. Ma sœur et moi sourîmes en les entendant, nous nous cultivions. Après le passage de la foule de ministres, nous jetâmes un coup d'œil à l'intérieur. Notre frère, qui rangeait ses documents nous aperçut et sourit. Il ralentit ses gestes sans détacher son regard de nous, puis se tourna vers père.

Excepté nous deux derrière la porte, hors de vue de l'empereur, il ne restait qu'Yvan et père dans la salle.

« - Mon père- »

Commença Yvan, et la porte massive nous claqua au nez. Mon frère ou mon père ne souhaitait pas être entendu. Alors, nous attendîmes dans le froid.

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