Chapitre 19

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Le soir même, alors que le professeur lisait un énième rapport, je réfléchis à la portée de mes actions. Rendre mon refus public me ferait perdre la vie mais le prince y laisserait également son honneur pour m'avoir fait une telle demande. Cela n'était évidemment faisable que par lui et il n'y avait aucun intérêt. Ce qu'il pouvait tenter serait une vengeance personnelle, sans témoin, en me laissant pour morte dès la fin de son méfait. J'essayais de me convaincre de l'impossibilité de la chose, il avait été jusque là poli avec un air gentil mais aussi plus intelligent que les autres, il pourrait être un hypocrite complet. Son absence de résistance lorsque je l'avais repoussé devant la porte de la salle des rapports, en revanche, était un élément plus concret.

A son âge, il aurait dû suffisamment maitriser ses pouvoirs pour ne pas bouger de l'embrasure de la porte. Mais je ne connaissais pas son âge. Mais il était un prince. Les altesses royales possèdent toujours un pouvoir plus puissant que les hommes du commun. Or ce détail pouvait suggérer un déficit de pouvoir chez le prince héritier de l'empire du Nord. Un scandale qui n'avait pas besoin d'être public pour me sauver la vie.

Il ne suffit que de quelques minutes au prince Yvan pour me faire mentir. Je m'étais alors arrangé un angle de vue parfait sur le nouveau rapport de mon mari, pour lire tout en lui montrant que je n'étais bien qu'un légume, assise à côté, occupée à regarder dans le vide, lorsqu'on toqua à la porte. Le professeur se leva en grognant pour aller ouvrir, tandis que je jouais mon rôle végétal à la perfection avec son rapport posé à ma droite. Sa voix se fit des plus aimables.

« - Bien le bonsoir votre altesse, que puis-je faire pour vous ? »

Cela était un problème, incontestablement. Je détachais mes yeux du rapport pour tourner la tête vers le prince et mon mari, seule barrière entre nous. Barrière était un rôle trop tôt pour être affirmée, le prince pouvait toujours l'utiliser contre moi car le dialogue était possible entre eux. Cependant, à moins d'être de nouveau un hypocrite d'un talent inégalé, la gestuelle du prince ne semblait pas trahir d'intentions malveillantes.

« Il s'agit d'une erreur. J'ai commis un impair. Lourd de conséquences. Je souhaiterais m'excuser. »

On devait leur apprendre ça dans les palais, l'hypocrisie. Sans doute quelque chose d'utile à la politique. Il était impressionnant.

« - Vous, votre altesse ? Une erreur ?

- Oui, me permettrez-vous de m'excuser ?

- Eh bien... je vous en prie. »

Ils restèrent un instant face à face silencieusement, puis le prince toujours hésitant prit une inspiration pour commencer sa phrase et la porte se démit de ses gonds pour s'effondrer sur le professeur.

Je récriais une exclamation de surprise en bondissant sur mes pieds, tandis que le prince rattrapait mon mari et l'allongeait plus loin sur le sol pour lui faire un examen physique. Alors que ses bras lumineux couraient au-dessus du professeur, la porte se remit seule dans ses gonds et se referma. En effectuant une telle démonstration de son pouvoir, le prince ne pouvait aucunement être en déficit. Son visage soucieux se détendit rapidement, j'en déduisis que mon mari n'était pas blessé, seulement inconscient, mais que la barrière n'était plus là et cela était voulu.

En levant les yeux vers moi, le prince perdit son visage détendu pour détourner le regard en se relevant au-dessus du professeur, face à moi. Devant son air penaud et son manque d'action, j'entrevu la possibilité d'une erreur de jugement de ma part.

« - Vous souhaitiez vous excuser.

- Ah oui, je suis désolé d'avoir assommé votre mari. »

Je haussai un sourcil. Il se reprit.

« - Et de vous avoir fait croire que... enfin... »

Il s'assit par terre, en tailleur, la tête baissée pour éviter mon regard, la voix s'affirmant pourtant.

« - Je n'ai jamais fait l'amour. Je n'en ai pas particulièrement envie et encore moins avec vous parce que vous ne le voulez pas. J'ai été arrogant, égoïste, idiot et je m'excuse de vous avoir fait croire quelque chose d'aussi offensant. »

Je pris un instant de réflexion puis m'assis face à lui, à terre aussi.

« - Je m'excuse de vous avoir accusé d'une chose que vous ne pensiez pas »

Il releva la tête pour me regarder tout en restant avachi. Il avait l'air plus petit qu'avant.

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