Chapitre 2

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Ne nous attardons pas sur le premier ; il était comme les autres, et il fut comme les autres. Il ne fut rien de plus que le premier. Les autres se succédèrent un par un après lui, me posant des questions auxquelles je répondais patiemment. Accordant à tous la même chose, leur prêtant tous la même attention. Alors, ils évoluèrent, construisant des bâtiments de plus en plus solides, de plus en plus beaux, maitrisant les mathématiques, l'astronomie, l'art surtout, que je suivais moins mais qu'on m'offrait souvent, sans doute pour que je reste dans l'air du temps.

Les humains ne passaient qu'une seule fois chacun devant moi. Je l'avais préféré ainsi. Leur laisser un libre accès chez moi m'aurait enlevé beaucoup d'intimité. Mais leurs questions se multipliaient. Ce que je leur donnais pouvait les rendre plus forts, peut-être plus intelligents. Ils avaient soif de savoir, soif de pouvoir aussi, mais ce n'était pas une mauvaise soif. Au fil des siècles, leur curiosité vis-à-vis de moi grandissait. Ils avaient tout exploré sur Terre, tout étudié, et ils voulaient partir plus loin encore. Mais pourquoi partir plus loin quand on peut étudier ce qui se passe ici ?

« - Cette boule de fumée noire, c'est votre corps ? »

La petite fille n'était pas envoyée par les scientifiques. Ses termes étaient trop peu techniques. Elle venait acquérir son pouvoir, le même que les autres, celui que je donnais à chacun. Les humains avaient appelé ça le rite de passage. Ils le faisaient très jeunes, c'était bien, cela me permettait de les mettre à égalité les uns avec les autres le plus tôt possible.

« - Oui, je vis mais pas comme vous.

- Vous êtes une divinité ? Comme le soleil, mais vous parlez ?

- Plutôt comme le noyau de cette planète, pour le langage, je crois que c'est ce qui nous unit. »

La fillette était curieuse elle aussi ; était-ce la même curiosité que celle du premier, ou que celle des scientifiques ?

« - Il est temps pour toi de recevoir mon cadeau, ton pouvoir.

- Que dois-je faire ?

- Dire mon nom. »

Longtemps après le départ de la fillette, je décidais que les curiosités ne pouvaient pas se ressembler sans être plus différentes. Aussi longtemps qu'un humain serait poussé par sa curiosité et par elle seule, il serait un bon humain, tel que je le souhaitais.

« - Est-ce que c'est ce que j'entends dans l'air autour de vous ?

- Ce n'est qu'un mot, mais il fait justement partie de cette langue qui nous unis. »

Si j'avais pu sourire, je l'aurais fait à ce moment-là. Et à bien d'autres d'ailleurs. Ne possédant pas de lèvres, je tentai de mettre une intonation bienveillante et amicale dans cette phrase. Elle dut le comprendre, car elle sourit pour deux. Et elle le dit.

« - Premier. »

Je crois m'être attribué ce nom tout seul. Mais je n'en suis pas sûr. J'étais simplement le premier à parler la langue, et mon nom s'est imposé à moi comme une évidence. A moins que ce ne soit autre chose...

PremierOù les histoires vivent. Découvrez maintenant