Premier

Chapitre 48

A l'époque où j'arpentais l'empire de l'Est, je donnais les noms des femmes qui m'avaient aidé et leur location exacte sans hésitation. Personne d'autre que nos alliés ne nous écoutaient, il n'y avait donc aucun danger à divulguer des informations pouvant être utile à tous plus tard. Mais il y a une aventure dont jamais je ne devrais parler à personne, car personne ne devait plus jamais se rendre là où nous nous sommes rendues. Peu de temps après son installation, Martin nous fit lentement parvenir par l'intermédiaire du réseau un document scellé, écrit de sa main.

Le document n'était pas passé par Annie, par peur des contrôles marchands, et chaque femme qui l'eut entre les mains avait pour consigne de ne pas l'ouvrir, et de le brûler si quelqu'un d'autre souhaitait le prendre. Il s'agissait du document le plus important n'ayant jamais été aux mains de femmes, plus important encore que les livres d'Histoire antique que Martin nous avait fait parvenir. Cet écrit ne devait surtout pas tomber entre les mains des hommes, car il recelait des informations qu'eux-mêmes n'avaient pas encore découvertes.

Le papier finit par arriver au camp, le sceau intact, et fut ouvert par Thérèse dans le plus grand secret. Le sujet sembla la tourmenter un bon bout de temps, avant qu'elle ne choisisse avec soin les femmes qui seraient mises dans la confidence. Ainsi, trois d'entre nous fûmes convoquées et passâmes un après-midi entier à écouter les informations cruciales que nous donnait Thérèse. Puisque ces données impliquaient une mission précise en lien avec la lutte que nous menions, Thérèse avait choisi celles qui l'avaient d'abord soutenue lors de la réunion, à l'exception de Magdalena, car celle-ci avait d'autres missions de la plus haute importance à mener.

Ainsi, Marjorie et moi étions de la partie, mais aussi Marie, car l'opposition de l'ancienne au combat était moins radicale, et surtout, que sa sagesse était nécessaire pour prendre la bonne décision. Thérèse nous expliqua que la lettre de l'historien nous indiquait une localisation bien précise : un endroit où l'ancienne civilisation aurait préservé quelque chose de capital. Cette chose que l'historien n'était pas parvenu à identifier était si importante que l'ancienne civilisation avait trouvé un moyen de la préserver malgré leur extinction, et cela l'historien en était certain.

Il ajoutait que ses confrères du camp de recherche ne l'avaient pas encore trouvée, et ne le trouveraient pas avant un certain temps, car ils étaient aveuglés par des notions sociales qui les empêchaient de mener des recherches constructives. Cela nous sembla invraisemblable, mais s'avéra vrai. Il est incroyable de voir à quel point les hommes avaient abaissé le niveau de leurs réflexions puisqu'ils se croyaient tous puissants. Le but de cette lettre était évidemment d'envoyer des femmes à cet endroit pour mettre la main sur le plus précieux vestige d'une civilisation qui avait mis tous les sexes à égalité (peu importe combien de sexes Martin pouvait prétendre qu'il existait à l'époque).

L'aventure m'emplissait d'excitation, comme à chaque voyage, et Marjorie visualisait approximativement le chemin discret qu'il nous faudrait emprunter pour nous rendre à cet endroit. Marie approuva notre voyage ; il lui paraissait important de mettre la main sur cet objet, son étude pouvant nous permettre de comprendre de nouvelles choses sur leur culture, le moyen d'obtenir un pouvoir, l'égalité...

Ainsi, dès le lendemain matin, Marjorie et moi partions pour une mission que jamais il ne me faudrait conter à personne. Je ne peux raconter les périples que nous traversâmes en chemin, ni comment nous nous introduisîmes dans l'endroit secret, ni d'ailleurs ce que nous y trouvâmes. Cependant, nous en ressortîmes avec un pion décisif à placer sur l'échiquier de notre lutte. Nous avions mis un temps infini à trouver le pion idéal, et un temps encore deux fois plus long à nous assurer l'une et l'autre que nous prenions la bonne décision.

Avec l'aide d'une noble de l'empire du Nord, notre pion s'introduisit sur l'échiquier, et monta de main en main jusqu'au chevet de l'impératrice grâce aux trésors d'ingéniosité déployés par les femmes de la noblesse du Nord. Le pion, qui devait simplement prendre la place d'une fille de baron, changea de destin lorsque l'impératrice elle-même fit une fausse couche à un stade bien avancé de sa grossesse, et supplia la baronne de toutes ses forces de lui donner l'enfant. Selon les mots de la baronne qui nous parvinrent par la suite, l'impératrice paraissait si désespérée, et avait si peur des représailles de l'empereur lorsqu'il apprendrait qu'elle avait perdu son enfant, que la baronne prit pitié d'elle, et lui donna l'enfant que nous avions sorti du vaisseau.

Nous n'eûmes ni le temps, ni les moyens de placer une nourrice à ses côtés, mais un élément crucial avait été mis en place et nous surveillerions de loin sa croissance. Celui que nous avions prévu de surveiller de plus près ne survécu pas. Nous avions eu la chance de trouver un autre nourrisson d'apparence plus ou moins convenable, mais le camp boueux au milieu de la forêt n'aurait jamais permit à un enfant d'une autre époque de survivre, seuls les moyens médicaux de la noblesse du Nord permirent à la fillette placée là-bas de survivre.

Si nous avions trouvé des adultes, nous les aurions sûrement pris, malgré le risque sanitaire et le danger du refus d'adaptation à un nouveau monde tel que le nôtre. Néanmoins, la survie de la fillette était prometteuse, et son passage au dôme à l'âge du rite encore plus. J'eus l'opportunité de l'entrapercevoir de nouveau quelques années plus tard dans la capitale de l'empire du Nord, après le meurtre de nombreux membres du réseau, l'accueil de Mickael au camp et de nombreuses exactions.

Plus décidée que jamais, je repartis la chercher quelques mois plus tard en compagnie de Rachel, une combattante qui avait remplacée Magdalena à la tête des forces armées de notre mouvement, et la nouvelle tentative de contact fut un succès.