Chapitre 28

6 1 0
                                    


Victor passa le pas de la porte, les bras illuminés, même pas essoufflé. Il s'arrêta un instant pour balayer nerveusement la pièce de ses yeux, permettant à trois gardes impériaux, eux à bout de souffle, de pénétrer à leur tour dans mes appartements. Je reconnu en l'un d'entre eux celui qui nous attendait un peu plus tôt au même endroit. Morgan et moi n'avions pas bougé lorsque le regard de Victor se posa durement sur nous avant de se retourner vers les gardes :

« - Dehors ! »

Les gardes qui devaient sentir le pouvoir de mon frère crépiter dans toute la pièce ne posèrent pas la moindre question et partirent, encore épuisés. La porte claqua avec bruit dans leur dos et j'admirais le sang-froid de Morgan qui ne sursauta pas. Si j'étais rassuré par l'affection que me portai le prince depuis longtemps, je nous savais en tort et malgré les apparences, je devinais Morgan inquiet. Aussitôt après la fermeture de la porte, mon frère se déplaça dos à nous et passa une main dans ses cheveux, tandis que Morgan se levait silencieusement pour adopter la posture réglementaire des servants, mains croisées devant, dos au mur, au plus près d'une porte dérobée.

Refusant d'entrer dans un tel jeu de froideur, je me levai à mon tour pour m'approcher de Victor dont les bras s'étaient désormais éteints et saisis sa main afin qu'il me regarde. Il se tourna vers moi avec une pointe de surprise puis s'abaissa brusquement pour me serrer dans ses bras. Je dois avouer que s'il n'avait pas désactivé son pouvoir au préalable, je serai morte étouffé durant cette étreinte. Quelques hypothèses sur cette marque d'affection défilèrent dans mon esprit durant mes quelques secondes d'asphyxie, puis Victor se releva, les sourcils froncés.

« - Où étais-tu ? »

Je l'entrainai vers les fauteuils en le guidant par la main que je n'avais pas lâchée, et je décidai d'un demi-mensonge pour le moment.

« - Dans les couloirs du personnel, j'étais curieuse de ce qu'on pouvait y trouver. Mais tu m'as l'air fort inquiet, que se passe-t-il ? »

Mon frère jeta un coup d'œil à Morgan, qui soutint son regard sans sourciller. Si ma brève explication pouvait justifier sa conduite inappropriée lors de l'entrée de Victor dans la pièce, elle ne justifiait plus alors une telle effronterie. Afin d'empêcher une nouvelle réaction trop impulsive de mon frère, je me mis moi-même à le fixer, lui rappelant silencieusement que j'avais posé une question. Il se détourna très vite de Morgan pour poser sur moi un regard moins tendu mais tout aussi sérieux.

« - Un individu puissant s'est introduit dans le palais de force, il a déjà fait deux victimes, j'ai voulu m'assurer de ta sécurité mais tu n'étais plus ici, j'ai laissé un garde au cas où tu reviendrais et je suis parti à ta recherche dans le palais, mais maintenant te voilà ici... »

Je montai sur le fauteuil avec lui, nous étions petits et le fauteuil, déjà large pour un homme adulte, nous laissait suffisamment de place pour que nous soyons serrés l'un contre l'autre sans être assis de façon inconfortable. Les mains collées entre mes jambes, je pris la parole.

« - Je suis désolée de t'avoir inquiété.

- Tu ne pouvais pas savoir, mais tout va bien maintenant. »

Victor me fit un grand sourire de soulagement, auquel je ne pus répondre par un même sourire. Je baissai mon regard sur mes mains, remarquant mes jambes qui battaient contre le fauteuil. Je forçai mes jambes à l'immobilité et repris la parole.

« - J'ai tué deux hommes, à une porte du Palais. »

Il y eu quelques instants de silence durant lesquels je n'observais que mes mains, puis mon frère demanda :

« - Porte extérieure sud des domestiques ?

- Possible.

- Deux gardes par arrêt respiratoire ?

- Oui.

- Comment ?

- Par erreur. »

De nouveau se réitérèrent quelques instants de silence avant que Morgan n'intervienne en avançant de trois pas face à nous.

« - J'ai voulu lui montrer la ville sans savoir que ses pouvoirs étaient encore instables, qu'elle était trop jeune, je suis à blâmer pour ces deux morts. »

Les bras de Victor commencèrent à prendre une teinte verdâtre, et je décidai de couper court à la conversation.

« - L'après-midi est bien avancé, il doivent avoir besoin d'aide aux cuisines pour préparer le dîner de la cour. »

Morgan sembla sérieusement réfléchir à défier cet ordre indirect, avant de s'incliner et de se retirer par la porte secondaire. Je laissai couler le silence un court moment avant de saisir de nouveau la main de mon frère, qui s'était doucement calmé. Il pressa ma main dans la sienne et me regarda, souriant encore mais avec une pointe de tristesse. Il conclut en me disant :

« - Je ne sais pas encore comment, mais on va y travailler, d'accord ? »

Je fus enfin capable de lui rendre son sourire :

« - D'accord ! »

PremierOù les histoires vivent. Découvrez maintenant