Chapitre 13

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Le contenu du plateau ne bougea pas, malgré mon pas rapide et les mouvements brusques du personnel, qui courait dans les couloirs de service. Dans ces couloirs étroits, cachés dans les murs du palais, l'agitation régnait sans cesse, peu importe ce qui se passait dans les larges couloirs dorés de l'autre côté du mur, dans lesquels personne ne courait. Me rapprochant de ma destination, l'activité se fit moins dense et à encore trois couloirs des appartements de la princesse je ne croisai plus qu'un jeune servant trottinant avec des draps dans les bras. La princesse avait emménagé dans ces quartiers au nord-est du palais il y avait quelques jours, et personne ne semblait savoir d'où en provenait l'ordre.

J'avais moi-même déjà rencontré la princesse Evelyn alors que je servais les savants l'étudiant dans sa chambre. J'avais dû leur amener toutes sortes d'objets insolites, allant d'un simple verre d'eau à un oiseau de voyage que la princesse avait gardé. Je m'étais questionné sur les notes qu'ils prenaient et les expériences qu'ils menaient, allant jusqu'à remettre en question à haute voix plusieurs de leurs décisions. D'abord avec subtilité, m'inventant des prétextes pour m'excuser d'intervenir au milieu de leurs travaux, puis, devant leur absence de réaction, poussant mes raisonnements jusqu'à l'insolence, leur suggérant que je réfléchissais, ce qui était formellement interdit pour le personnel.

La situation m'avait amusée et chaque jour, je monologuais dans la pièce en distribuant du thé, corrigeant leurs postures, commentant leurs expériences, parfois même divagant politique tout seul, un sujet qui me passionnait et il me semblait que seule la princesse m'écoutait, portant ses yeux attentifs sur moi. C'était bien sûr une pensée idiote, les femmes ne comprenaient pas grand-chose, et la fillette de cinq ans devait tout juste saisir que je parlais. J'étais resté dans les parages jusqu'au départ des savants, qui fut soudain, chacun retournant chez soi sur un coup de tête, me privant de ce qui était devenu mon passe-temps préféré, devant même le fait d'écouter dans un coin les ministres inventer des stratégies politiques bourrées de failles.

Par une dorure du mur, j'entrais dans le dernier couloir doré menant directement à la chambre de la princesse, sortant de mon étroit couloir gris et froid. Je toquais deux fois avec l'index, et entendis une voix masculine.

« - Entrez monsieur. »

Il s'agissait du prince Victor sans aucun doute. Seul lui donnait du monsieur au personnel, et il avait gagné une forte popularité parmi nous grâce à cela. Je ne saisissais pas pourquoi, mais je n'aimais pas ça. Je savais qu'il partait d'un bon sentiment, c'était simplement que je n'arrivais pas à m'imaginer être désigné comme un monsieur. Je poussai la porte et entrai dans la pièce spacieuse. Les meubles étaient sculptés, raffinés, inattendus dans les quartiers d'une princesse.

« - Bonjour Monsieur Caramel. »

Encore ce monsieur. Le monsieur n'était pas moi, je ne le voulais pas et ne parvenais pas à me l'expliquer. Mais le caramel si, c'était la couleur de ma peau et j'appréciais que la princesse la vît ainsi. Le prince, s'adressant à moi, me demanda de rester dans un coin pour subvenir aux besoins de sa sœur tandis qu'il partait assister à son cours. D'un hochement de tête j'acquiesçai, et il referma la porte derrière lui. Je déposai mon plateau sur la table et reculais de deux pas, observant la princesse. Ses yeux rêveurs fixaient le livre qu'elle tenait entre les mains.

J'avais déjà pu confirmer que les rumeurs sur ses yeux étaient bien en-dessous de la réalité. Les paillettes dorées scintillant dans ses iris prune, elle semblait absorbée par le contenu de l'ouvrage. Soudainement, elle releva la tête vers moi, ses yeux encore un peu dans le vague se centrèrent rapidement sur les miens.

« - Ça t'embête quand je t'appelle Monsieur Caramel ? »

Son frère avait dû lui demander de me poser la question, elle n'aurait pu me voir autrement qu'un meuble sans lui.

« - Ma peau a la couleur du caramel princesse, je n'y vois aucun inconvénient, merci de votre sollicitude.

- Alors c'est le Monsieur qui t'embête ? Tu n'es pas un monsieur ? »

Je ne sus quoi lui répondre. Le terme me dérangeait, mais il y avait quelque chose de plus. Devant mon mutisme, elle se repencha sur son livre, ne me prêtant plus d'attention. La probabilité qu'elle eût simplement oublié sa question était forte, cela arrivait au cerveau des femmes, qui n'était pas très développé. Néanmoins un doute subsista dans mon esprit, car l'existence de cette dernière question signifiait qu'elle avait pu raisonner d'elle-même.

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