Chapitre 12

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Je levai mon bras noir au dessus de ma tête et quelques regards se tournèrent vers moi. Mon savant prit la pomme à pleine main et me la lança. Un lancer parfait. On aurait pu croire que le lanceur était aussi le récepteur. Il semblait stupéfait de son geste tandis que ses collègues l'enterraient sous les reproches. Je me choisis un autre savant qui leva bien haut la main au dessus de la foule et j'effectuais le même lancer parfait. Ce nouveau savant à l'air ahuri resta planté là, la pomme dans la main, tandis qu'un autre encore levait la main et qu'une nouvelle passe s'ensuivait. Le brouhaha furieux des savants se reprochant les uns les autres de jouer lors d'une étude se fit plus important.

Quand tous les savants se furent passé la pomme, elle me revint. J'arborai un grand sourire qui leur aurait fait bien plus peur s'ils avaient su que j'étais responsable du chaos ambiant. Ils décidèrent plutôt de prendre leur journée et de revenir le lendemain. Ce n'était que partie remise, ils auraient peur le lendemain. Finalement, l'exercice de la pomme n'était pas si mal pour éveiller ses pouvoirs.

Yvan revint dans la soirée, il avait trouvé aux archives des témoignages d'historiens qui seraient tombés sur des preuves d'une ancienne civilisation humaine utilisant un autre langage, et possédant une divinité telle que Frère, qui pourrait être Premier. Malheureusement les données étaient faibles, mais Yvan s'en passionna et il m'annonça vouloir partir étudier lui-même sur le terrain dès le lendemain. Son enthousiasme inhabituel me réjouit et je l'encourageai. Je lui communiquai mes craintes, vis-à-vis de l'absence de Victor dans la journée, mais Yvan était passé à l'infirmerie du palais, confirmant que notre frère était toujours évanoui mais que son état était stable et son réveil imminent.

Je lui résumai alors en quelques phrases mon exercice de la pomme, qui avait mis fin aux expérimentations. Il s'en fallut de peu que ses yeux ne sortent pas de ses orbites tant ils s'écarquillaient et, bouche bée, il cogita. Il posa son regard sur moi avec précaution, et quelque chose avait changé. Il avait besoin de plusieurs secondes pour s'y faire et je le compris en ce même temps. Je n'étais plus une petite fille défiant le fait d'être comme j'aurais dû l'être, et qu'il essayait d'aider à se forger la place qui lui revenait dans la société. J'étais bien au-delà, et la place qu'il fallait me faire était bien plus grande que celle qu'il imaginait.

Je lui laissai ce temps nécessaire, puis il monta une nouvelle théorie, qui nous sembla dangereusement proche de la réalité. Frère donnait un pouvoir physique, agissant sur les corps et les objets, sans limites pour les plus puissants d'entre nous. Premier donnait un pouvoir mental, agissant seulement sur l'esprit, restait à savoir si j'avais des limites. Yvan eut quelques nouvelles idées d'expériences, me proposant d'agir sur lui mais je refusai. Je préférais les noter pour travailler sur ma foule de savants et il me parut soulagé. Je supposais en effet que perdre le contrôle de soi-même ne devait pas être une expérience très agréable, et décidai de ne pas agir sur mes proches.

Dans la nuit, le pas pressé de Victor et le bruit de la porte de ma chambre claquant me réveillèrent. Les yeux encore embrumés, je sentis ses mains me tâtant la figure, en quête d'une preuve matérielle de ma vie. Ses bras illuminés, il fit basculer l'interrupteur de la pièce pour mieux me voir et je vis moi aussi, les traces de larmes sur ses joues. Essoufflé, les mains sur mon visage, il était en arrêt devant moi et je pris l'initiative d'une étreinte qu'il me rendit immédiatement. Ce fut à partir de ce jour qu'il m'appela Eva. Je partageai ensuite les résultats de nos recherches avec lui et il m'écouta sérieusement du haut de ses neuf ans, assis sur mon lit.

Le lendemain, Yvan se rendit dans le bureau de père, pour demander à quitter le palais pour étudier des ruines, s'étant trouvé un soudain intérêt pour l'histoire antique. L'empereur, trop content d'éloigner Yvan de moi, lui accorda un départ immédiat et mon frère eut tout juste le temps de nous saluer, Victor et moi, avant de partir.

Toute la journée, je sondai l'esprit de mes savants, les obligeant à faire des choses, puis en leur faisant croire d'autres, leur faisant dire des choses, voir des choses, sentir des choses, ressentir des choses, farfouillant dans leurs mémoires pour en retirer mes expérimentations, les dissuadant de prendre de nouveau leur journée. Je tentai ensuite de les faire sortir et revenir. Très vite, en s'éloignant, ils échappaient à mon contrôle et je devais attendre qu'ils reviennent de leur propre chef. Je trouvai cependant que si je souhaitais implémenter une idée particulière dans leur tête, ils la garderaient plus longtemps.

C'est ainsi que l'un d'eux m'amena un oiseau, que je trouvais bien plus malléable mentalement. Je compris qu'il me faudrait des jours, si ce n'est des années pour arriver à un niveau de maitrise illimité, mais tant que l'ennemi se tenait devant moi, j'étais en sûreté. Grâce à cet oiseau, j'envoyai un premier message à Yvan et il devint notre oiseau voyageur. Je décidai ensuite de changer d'autres choses et j'étais impatiente, cela devait se faire au plus vite.

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