Chapitre 4

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Mon frère vint au monde lentement. Tout se déroule lentement dans ces situations-là. Il était petit et faible, perdu aussi, sans aucun doute. Alors je tendis une trainée de ma fumée vers lui. Hésitant d'abord, parce qu'instable, il tâtonnât ce bras gazeux que je tendais vers lui. Il était vert, mais d'un vert très clair qui aurait été blanc pour un observateur peu attentif. Plus mince à cet instant, ne connaissant pas son but, se raccrochant doucement à moi, comprenant nos similarités. Sans le brusquer, d'un mouvement délicat, je le ramenais lentement vers moi. Très lentement. Il ne fallait pas qu'il se perde en route. Le centre était l'endroit où il pourrait grossir, grandir, s'épaissir et plus tard apprendre, comme moi.

Ce fut quand il atteignit le centre que je compris mon erreur. Notre erreur. A moi et aux humains. Je compris aussi ma nature, dont je doutais encore. Et je compris les conséquences qui allaient suivre. Je me figeais, hésitant un instant à le repousser tant qu'il était encore fragile, lui, mon frère. Je ne le fis pas. Et il profitât de cet instant d'hésitation pour prendre place avec moi. Nos fumées se mélangèrent, tout en restant distinctes l'une de l'autre. Nous étions désormais un seul corps composé de deux fumées et deux êtres.

Immédiatement je descendis. Au plus bas. Les humains dehors coururent vers le tunnel pour me voir, me parler dans la grotte. Quand je dis que je descendis, c'était évidemment avec mon frère. En bas, les humains me questionnèrent, et je leur expliquais ce que j'avais compris et ce qu'il allait ce passer maintenant. Pour eux. Pour moi. Pour mon frère qui ne parlait pas notre langue.

Tout d'abord, j'étais bel et bien le noyau de la planète. Elle s'était façonnée selon moi, avec tout ce qui existait à sa surface, qu'il s'agisse d'êtres vivants ou non. La présence d'un second noyau allait reconstruire la planète. Beaucoup de choses disparaitraient, si ce n'est tout, et d'autres choses les remplaceraient. Les humains de nouveau. Ils eurent peur, et je peux aujourd'hui affirmer qu'ils eurent raison d'avoir peur. Ils avaient peu de temps, mon frère imaginait, il s'appropriait les choses, mais je pouvais encore retarder la construction. Pas longtemps. Tout s'accélérait, ça arrivait souvent après la lenteur.

Les humains avaient dans le passé envisagé le voyage dans l'espace comme une découverte, et à ce moment là, comme une fuite. Mais le temps manquait. La fuite ne pouvait pas être éternelle et revenir après comportait des risques. Et puis une fuite c'était bien beau, mais vers où ? Le vaisseau était prêt, mais que faire avec ?

Ils trouvèrent la solution tout seuls. Cela ne veut pas dire qu'ils n'avaient plus besoin de moi, au contraire, mon appui leur paraissait nécessaire, et je leur promis de faire de mon mieux. Ils s'entassèrent au maximum dans le vaisseau qui ne volerait plus très haut, et s'endormirent pour un sommeil au réveil inconnu. Ils placèrent le vaisseau dans ce qu'ils considérèrent être un lieu sûr, et je fis de mon mieux pour garder ce lieu comme il était au travers des changements qu'opérait mon frère.

Sans les humains autour, je pus m'adonner à la réflexion. Mon frère que j'avais de plus en plus de mal à considérer comme tel, avait déjà prévu des changement majeurs et j'arrivais trop tard pour avoir le plus important du nouveau monde. Mais garder mes humains de l'ancien monde en sécurité, était-ce le plus important pour moi ?

Après un certain temps en présence de mon double vert, je me rendis compte qu'il avait développé un langage qui n'avait rien à voir avec le mien et à ce jour encore je ne le comprends pas. Il avait aussi recréé ses propres humains, parlant sa langue, et avec lesquels je ne suis jamais arrivé à communiquer. Ces humains ignoraient jusqu'à mon existence, et voyaient à peine les vestiges laissés par leurs prédécesseurs. Ils n'avaient que deux sexes, des couleurs de peau ne prenant des teintes qu'entre le noir et le blanc, en passant par le marron, des yeux bleus ou marrons seulement, avec à peine quelques nuances supplémentaires, et les cheveux avaient perdus leurs couleurs éclatantes et disparates pour ne laisser que du noir, du marron, du blond, du roux parfois, et on pouvait trouver du blanc et du gris. Ce qui me chagrinât le plus, ce fut leur société. Avec ces moindres différences, ils cherchaient à les accentuer, créant des inégalités. Plus le choix s'était restreint, plus les discriminations étaient profondes.

C'est durant ce temps de solitude forcée que je réalisais le plus grand mensonge que je m'étais fait à moi-même. Peu importe mes idéaux, mes actes et la société dont je m'étais entouré. Peu importe mes paroles, j'ai su qu'au fond, le premier humain, mon premier humain à moi, le curieux, avait toujours été mon préféré.

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