Chapitre 27

6 2 0
                                    


Je ne fus pas aussi choquée que l'on aurait pu le croire sur le moment. Deux draps sales et grisâtres étaient étendus à même le sol et on devinait dessous les formes de deux corps, leurs pieds formant des pointes à un bout du drap et leurs visages se dessinant à l'autre bout. Je vis du coin de l'œil la foule bouger sans y faire vraiment attention et après quelques secondes, sentis la main de Morgan sur ma tête à travers la capuche. J'entendis de façon diffuse sa voix demandant discrètement à ceux qui l'entouraient qui étaient ces deux individus.

Puisque nous étions devant un passage réservé au personnel, quelques personnes de couleur étaient présentes dans l'attroupement. L'une d'elle lui répondit qu'il s'agissait là des deux gardes en poste devant cette entrée du palais pour la journée, mais qu'ils venaient tous deux de mourir étouffés, et ce, sans aucune trace de lutte ou de strangulation physique sur leurs cou. Morgan était fort intelligent, comprenant très vite que je n'étais pas allé voir ces deux corps par curiosité morbide, mais pour ma responsabilité dans l'accident.

L'homme de couleur qui l'avait renseigné spéculait désormais d'une voix forte, rejoint par d'autres, que l'homme qui avait été capable d'agir sur des organes internes en restant à une distance suffisante pour qu'il n'y ait pas de lutte devait être un bien fort détenteur de pouvoir, s'étant sans doute par la suite introduit dans le palais par là, peut-être dans le but de s'en prendre à la famille impériale. Certains hommes blancs qui se trouvaient là durent croire entendre cette voix dans leur propre tête et beaucoup prirent peur, courant voir leurs fils ou leurs pères pour s'assurer de leur sécurité. Le personnel restait devant l'entrée, se sentant presque plus en sécurité à l'extérieur qu'à l'intérieur avec un puissant tueur.

Morgan s'accroupit devant moi, me cachant la vue des draps, et me parla d'une voix ferme pour me faire sortir de ma torpeur :

« - Tu peux marcher ? »

Je mis quelques instants à comprendre le sens de ses mots avant de hocher la tête et il m'empoigna par la main pour me tirer hors de la foule, qui se faisait de plus en plus bruyante. Nous marchâmes rapidement, je n'avais aucune notion du temps et Morgan me tirait dans les couloirs en se retournant parfois pour remettre la capuche sur ma tête. Je ne vis pas son visage fermé tandis qu'il dirigeait notre marche, dans ma tête tournait en boucle ce que j'avais fait plus tôt sans y penser.

Je repensais à ces deux gardes qui se tenaient dos à nous, face au soleil. Je repensais à ce que je leur avais demandé de faire. Plus bouger. Aucune précision, juste ne plus bouger. Ils n'avaient pas bougés. Ils n'avaient pas bougé jusqu'à en devenir pâles. Puis peut-être bleus, et à un moment, peut-être, avec une teinte violacée. Peut-être qu'ils avaient réalisés qu'ils ne respiraient plus, mais peut-être qu'ils ne pouvaient plus vouloir respirer. Peut-être qu'ils étaient morts en sachant qu'ils ne respireraient plus. Peut-être qu'ils étaient morts sans avoir le temps de redevenir eux-mêmes, qui sait ?

Morgan poussa une porte au bout d'un couloir qui nous fit directement rentrer dans mes appartements. Là, au milieu de la chambre, un garde impérial attendait, debout. Il nous vit rentrer dans la pièce avec une pointe de surprise et nous détailla alors que nous devions encore être haletants. Ses bras s'illuminèrent et la capuche tomba de ma tête pour se poser mollement sur mon dos. Il finit par tourner les talons et sortir de la chambre. Je n'osais pas le faire rester un moment supplémentaire pour connaitre ses intentions, mais nous étions trop insignifiants pour que les actions de ce garde nous causent du tort.

Morgan ferma rapidement la porte principale de la pièce derrière le garde et revint vers moi pour me saisir par les aisselles et m'assoir sur un fauteuil. En se passant une main dans les cheveux pour ne pas les avoir dans les yeux, il ramena une chaise et s'assit lui-aussi, face à moi. Ce fut lui qui parla le premier :

« - J'en assume l'entière responsabilité, nous n'aurions pas dû sortir.

- J'étais la première à ne pas voir le danger que représentait un pouvoir inconnu, et j'ai choisi de l'utiliser de cette façon sans réfléchir aux risques, la faute est mienne.

- J'ai été celui qui a suggéré de sortir alors que tu n'étais pas prête, je-

- Nous avons attendu deux ans avant de sortir, c'est moi qui ai estimé que- »

La porte sortit de son gond supérieur pour s'ouvrir brutalement en interrompant ma phrase qui avait elle-même interrompue Morgan dans la sienne.

PremierOù les histoires vivent. Découvrez maintenant