Chapitre 5

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Je venais d'atteindre quatre ans lorsque ma sœur vint au monde. Cette sœur là. Je sais en avoir eu bien d'autres mais nous n'y faisions pas attention. J'aurais dû et je le regrette maintenant. J'aurais découvert bien des choses uniques que je ne soupçonnais pas. Rien d'aussi exceptionnel que ce que je découvris avec elle, mais d'autres choses sûrement. J'avais seulement un frère ainé qui devait avoir douze ans à l'époque, mais père voulait encore un héritier mâle et il fut déçu. Quand père était déçu, nous devions l'être aussi. D'ailleurs, tout le monde devait l'être et tout le monde le fut. Quand ma sœur arriva au palais, mon père, mon frère et moi sommes allés la voir. Il fallait l'introduire comme princesse officielle, fille de l'empereur mon père. Ce titre n'avait presque aucune valeur à cette époque, il lui garantissait tout juste de rester en vie pendant les 5 premières années de sa vie.

Des domestiques ouvrirent les portes de la pièce, des hommes couleur caramel il me semble. Ma sœur les a appelés comme ça la première fois. Avant, il y avait nous les blancs, parfaites créatures de la natures et les hommes de couleurs plus foncées, qui - je l'avais appris par mes précepteurs dès mon plus jeune âge - n'étaient pas des hommes. Nous devions nous adresser à eux par ordres concis et courts seulement, sinon ils pouvaient ne pas comprendre. Ma sœur m'avait prouvé que cela aussi était faux.

Evidemment ce jour-là, je ne savais rien des vérités qu'elle allait m'apporter, et nous entrâmes dans la pièce. Sa mère, huitième femme de l'empereur, était assise plus loin sur une chaise. Elle était triste, résignée aussi. Elle avait accompli ce qu'elle était venue faire au palais, maintenant elle allait sortir et la nourrice s'occuperait de ma sœur. C'était donc la dernière fois qu'elle voyait mon père et qu'il la voyait, mais aucun de nous ne lui prêta ne serait-ce qu'une once d'attention.

Mon père, mon frère et moi nous penchâmes sur le berceau d'un même mouvement qui cacha toute lumière à l'enfant, le plongeant dans notre ombre. Ma sœur ne dormait pas, ne faisait pas de bruit et bougeait à peine. Mais elle nous regarda. Un par un, avec ses grand yeux d'enfant. C'était des yeux grands et ronds de nourrisson innocent, mais il y avait plus que ça. Elle possédait des iris d'un profond violet améthyste, avec des pépites d'or étincelantes, qui nous hypnotisèrent un instant. L'empereur se releva alors et nous déclara :

« - Excellent, elle nous fera une alliance avec l'un des royaumes de l'ouest. »

Nous quittâmes la pièce, laissant sa mère effondrée sur sa chaise, et promettant à ma sœur un futur des plus désagréables.

Nourrice était un travail des plus enviables chez les femmes de nos jours. Il pouvait durer bien plus longtemps que d'autres et ne laissait pas d'enfants à charge après. La nourrice de ma sœur était donc une des femmes les plus méritantes de l'empire. Cela ne l'empêcha pas de souffrir de nos caprices à moi et à mon grand frère, qui avions tout deux oubliés l'existence de cette jeune sœur parmi d'autres.

Ce fut trois ans plus tard qu'elle me revint à l'esprit. A vrai dire, elle revint à moi physiquement mais je la reconnus immédiatement malgré les années. De tels yeux n'existaient que dans les livres fantastiques. Elle avait désormais une chevelure dorée aux reflets roux qui bouclait sur ses épaules, et ses grands yeux améthystes pétillaient d'or et de malice. Mon précepteur m'avait donné des devoirs de mathématiques sur lesquels je mordillais mon crayon dans la bibliothèque. C'est là qu'elle entra, par curiosité sûrement, et contempla les rayons de livres, dos à moi, faisant mine de ne pas me voir pendant que je la contemplais, elle.

« - Eh, tu me déranges, fais moins de bruit ou va voir ailleurs. » furent mes premières paroles à cette belle sœur dont j'avais oublié le nom.

- Je m'excuse votre majesté, prince Victor, dit-elle en se tournant vers moi, ses yeux pétillants pas du tout désolés, je vais tâcher de faire moins de bruit. »

Ses grands yeux me fixant, mon prénom dans sa bouche qui tournait en boucle dans ma tête. Je me renfrognai et tentai de me rappeler son prénom.

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