Chapitre 38

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Je perçu au loin les mouvements de magie nécessaires à l'ouverture du portail de la cour intérieur du palais. Je posais la plume à plat sur mon bureau, prêtant attention à ce que son bout encré n'entre pas en contact avec la table, puis je repoussai la chaise pour me lever de mon bureau et m'approcher de la fenêtre. Lorsque je travaillais, j'étais toujours dos à la fenêtre, j'avais d'abord pensé que cela évitait que je sois distrait durant mon travail, mais j'avais ensuite compris les véritables intentions de mon père : lorsque quelqu'un entrait dans le bureau face à moi, un effet de contre-jour des plus saisissant devait leur donner une illusion de grandeur et d'importance de ma personne, de plus, cela permettait des mouvements de tissu des plus impressionnants lorsque je me retournait pour contempler la fenêtre, comme le faisait régulièrement mon père.

Un transport fonctionnant à la magie, d'une taille de quatre places avec chauffeur, avait franchit les portes extérieures du palais et avançait maintenant vers le bâtiment. Mon fils était de retour. Je devais désormais lui montrer à quel point son rôle était important dans notre société, et sans doute jeter un œil à sa femme pour me faire une idée de l'héritier qu'elle pourrait engendrer. Pour cela, un simple accueil aux portes n'aurait pas suffit, je claquai des doigts dans un sourire, et le conseiller principal se matérialisa au plus près de moi.

« - Va dire à mon fils que je souhaite dîner en sa présence ce soir, et passe le mot aux cuisines tant que tu y seras.

- Tout de suite, sire. »

Alors que le conseiller sortait de mon bureau, le véhicule disparut lui aussi de ma vue sous les hauts-reliefs du palais. Ne perdant pas de temps, je retournais à mes affaires, attendant le soir.

En m'approchant de la salle à manger principale, je fus surpris par le crépitement nerveux de magie qui s'en échappait. Je reconnus rapidement celui de mon fils, qui d'ailleurs avait encore augmenté depuis la dernière fois que je l'avais vu, je lui donnerais avec peu de doute mon niveau, quoique toujours un peu hésitant. La moindre des choses devant son empereur était de cacher sa nervosité, surtout lorsqu'elle malmenait tous les gardes du couloir qui semblaient se sentir mal en point. La chose pouvait cependant être rationnalisée ; je me rappelais de ma propre gêne avec ma première femme, et surtout de mon appréhension lors du premier dîner avec mon père.

J'entrai alors dans la salle, repoussant les portes sans les toucher, impulsant un mouvement majestueux à ma cape. Mon fils et sa femme qui semblaient parler ensemble un instant avant, se tournèrent vers moi d'un même mouvement mais me lancèrent un regard très différent. Chez elle, il y avait un sérieux impropre à une femme, ne semblant me regarder que parce que je venais d'arriver, paraissant à tout moment pouvoir tourner la tête et lancer le même regard avec le même intérêt au premier servant qui entrerait. Chez lui, il y avait un défi, un regard farouche, prêt à défendre ses décisions par le sang, si je venais à les contester.

Cela était compréhensible, car ses décisions étaient, pour le moins qu'on puisse dire, contestables : sa femme portait des lunettes, ses cheveux étaient ternes, même abimés, malgré les efforts visibles du personnel pour les rendre plus lumineux, sa peau était d'un blanc sale, mais au visage bronzé de mon fils, je pouvais deviner que cela était principalement lié à l'environnement dont ils sortaient. Elle était également de petite taille par rapport à la moyenne, et bien d'autres choses que je n'aurais absolument pas voulu qu'elle transmette à un héritier.

Nous passâmes le souper dans un silence relatif, ponctué par des questions sans intérêts sur nos vies respectives durant l'absence de l'autre, et nous nous quittâmes promptement lorsque le dessert fut terminé. Durant les jours qui suivirent, mon fils ne vint pas me voir une seule fois dans mon bureau, ne se joignit pas au conseil des ministres, et nous ne nous vîmes pas avant le jour de l'accouchement de ma femme.

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