Chapitre 16

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Je n'osais pas laisser la princesse seule, ma curiosité envers elle était bien trop élevée pour que je permette qu'un accident lui arrive alors qu'elle était si mal en point. J'hésitais cependant à me rendre à l'infirmerie, sachant pertinemment que les princesses ne devaient pas pouvoir être soignées là-bas. Le prince Victor coupa cours à ma réflexion, entrant dans la pièce sans frapper pour prendre immédiatement le pouls de sa sœur. Après un rapide examen physique, ses bras lumineux navigants maladroitement au-dessus du corps de la princesse, il s'éloigna pour s'assoir, épuisé, dans un fauteuil des plus confortables dont la princesse avait fait doter sa chambre.

D'un geste de la main accompagné d'un regard, il me fit signe de m'assoir en face de lui et me somma de lui raconter l'entrevue impériale. Je m'assis en croisant les jambes, sans m'adosser au fauteuil, faisant face au jeune prince qui s'était affalé dans le sien après l'utilisation éreintante de ses pouvoirs. C'est en lui résumant l'audience que je réalisais le cruel manque d'informations dont je disposais, étant capable de décrire les faits mais non de les rationnaliser. Le prince avait regagné un peu d'énergie et s'était déjà redressé sur son fauteuil quand vint la fin de mon récit.

Il était resté silencieux, manifestant un intérêt évident, me rappelant le mien tout en s'en éloignant car il possédait, sans aucun doute, plus de précisions sur ce qui touchait à sa sœur que moi. Il eût été illusoire de penser qu'il puisse m'apporter des réponses et imprudent de risquer d'être renvoyé de la pièce pour une question insolente. Emmurés dans le silence, nous attendîmes, jetant régulièrement des regards soucieux vers la princesse. Consultant la montre que chaque membre du personnel se devait d'avoir au poignet, je me fis la réflexion que l'heure du dîner approchait pour le jeune garçon, qui n'allait pas tarder à être recherché dans tout le palais.

Il devait lui aussi s'en être rendu compte car il se leva pour se diriger vers le lit d'un pas rapide. L'examen fut cette fois-ci plus succinct, ne fatiguant pas autant le prince que lors de la première fois. Monté sur ressorts, il fit les cent pas en se rongeant les ongles. Le temps qu'elle passait endormie commençait désormais à prendre sur ce qu'elle allait pouvoir lui rapporter de la situation. Derrière la fenêtre le ciel était noir depuis ce qui semblait être une éternité, et à chaque instant, il nous semblait entendre le bruit de la poignée de la porte, prête à s'ouvrir sur un majordome affolé.

L'homme tant attendu et redouté surgit de derrière un mur, plus précisément d'un couloir de service donnant directement dans la pièce, que je n'avais jamais emprunté par souci de toquer à la porte permettant toujours de l'ouvrir pour que le prince puisse sortir derrière moi. Le prince n'adressa pas un mot au majordome, sortant d'un pas rageur, claquant la porte derrière lui. Le pauvre homme le suivit à petits pas pressés, sans même remarquer la princesse, maintenant assise qui le fixait, me faisant manquer un battement de cœur.

Je me levais et elle repoussa le lourd drap muni d'une couverture pour s'asseoir sur le bord du lit. La fatigue que sa longue sieste n'avait pas réussie à dissiper la rattrapa et ses épaules s'affaissèrent. Mon masque dénué d'émotions, formé durant des années de travail, parvint avec succès à dissimuler mon indécision quant à l'attitude que je devais adopter envers la princesse. Elle me compliqua la tâche.

« - Et maintenant ? »

Sa question me prit au dépourvu, m'irritant même du peu de considération pour mes connaissances limitées de la situation dont elle pouvait faire preuve, après ses démonstrations évidentes de la reconnaissance de notre intelligence égale. Prenant ma décision, je saisis un fauteuil léger à proximité que je déplaçai en face de la fillette. Faisant fi de la plupart des règles de bienséance qui m'avaient été inculquées, je m'assis, les coudes sur les genoux, penché en avant jusqu'à pouvoir poser mon menton sur mes mains jointes, mes yeux à la hauteur exacte des siens.

« - Mais avant ? »

Elle prit un instant de réflexion malgré sa fatigue apparente, puis me sourit. J'eu alors droit à un résumé concis des évènements jusqu'à l'audience avec l'empereur, dont elle avait un point de vue très différent : après maints efforts, elle aurait réussi à implanter durablement une idée dans la tête de son père, qui était de penser à la princesse comme un à individu de sexe masculin. Parvenant à relier les faits aux dires de la fillette, je pris finalement conscience des réalités qui m'entouraient. Elle avait terminé son histoire et me fixait de nouveau, comme elle l'avait fait à sa sortie du sommeil, avec ses grands yeux violets. Alors je lui répondis.

« - Maintenant, il vous faut sortir du palais pour découvrir un monde qui est bien plus nuancé que ce que vous pouvez le penser. »

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