Chapitre 2 (2/2)

22 2 0
                                    

Jules serra les poings, tremblants. Le regard éberlué de sa mère se durcit soudain. Elle fixa son fils d'une hauteur telle qu'il recula d'un pas. Le ciel s'assombrit, le vent souffla plus fort. Ses bouclettes brunes s'agitèrent, et, lorsqu'Amélie croisa les bras face à lui, Jules céda et s'enfuit non sans lâcher un juron.

— Jules ! l'apostropha son père.

— Tu n'as pas encore vu mon chalet !

Mais les mots de Gérard n'atteignirent qu'à peine le garçon. Hors de question de se retourner ! Il continua de marcher toujours plus vite, les poings toujours serrés. Mais Jules s'inquiéta de sa respiration saccadée : s'il ne se calmait pas rapidement, Bébé risquerait de s'agiter. Et puisque le garçon avait oublié sa trousse de médicament chez lui, mieux valait éviter.

Au bout de quelques mètres, les rayons de soleil se montrèrent moins timides. Le souffle de Jules résonnait désormais plus que le vent lui-même. Il ralentit le pas lorsque le champ de fleurs du jardin se dessina devant lui. Orchidées, Camélia et Acacia ce mois-ci. À force d'entendre son grand-père le répéter, Jules connaissait leur nom par cœur. Pour autant, chaque pétale coloré le fascinait toujours autant.

La contrariété ne l'avait pas quitté lorsqu'il s'installa sur l'herbe fraîche. Pourtant, observer ainsi la végétation avait pour habitude de le calmer. D'ailleurs, voilà un moment déjà qu'ils ne s'étaient pas promenés au parc de leur ville avec Luna... Peu à peu, les ruminations passèrent avec les minutes. Trois ou quatre défilèrent avant que, soudain, des bruits de pas s'invitèrent. Jules se retourna, aux aguets.

— Elles sont magnifiques les fleurs cette année, déclara son parrain. Je peux m'asseoir ?

Soulagé, le garçon lui sourit, laissant Jérémy s'installer à ses côtés.

— Tu ne vas pas voir le l'abri de papy ? s'étonna Jules.

— Ça fait trente-deux ans qu'il me bassine avec ses bricolages : j'ai le droit de souffler un peu !

Son rire cristallin fut contagieux. Puis Jérémy plongea ses petits yeux azur dans le champ de fleurs. Avec ses fines lèvres et ses épais cheveux ébène, la ressemblance avec son filleul frappait.

Le parrain tenta de prime abord de lancer une futile discussion. Les vacances approchaient à grands pas ! Et au fait, que voulait Jules pour Noël et son anniversaire ? Peine perdue : le garçon comprenait bien la raison de sa venue. Finalement, l'adulte se décida :

— Je sais que tu la trouves collante, mais elle veut avant tout te protéger. Elle s'inquiète pour toi, tu sais. Amélie est comme ça, elle ne peut pas s'en empêcher.

— N'empêche que c'est pénible...

— À te regarder, j'ai l'impression de me revoir à ton âge ! Ta mère a toujours été pour moi une grande sœur surprotectrice. Elle surveillait plus mes devoirs que mes parents, c'est te dire ! J'imagine que pour son propre enfant, c'est encore pire.

Jules hésita à s'amuser ou s'attrister de l'anecdote. À sa gauche, son parrain se tut quelques instants, sans doute plongé dans de doux souvenirs d'enfance. Lui aussi, il avait dû courir à travers tout le jardin et admirer le travail d'un Gérard plus jeune.

Son voyage à travers le temps terminé, Jérémy se retourna vers le garçon :

— En tout cas, maintenant je comprends son comportement. Même si elle est embêtante, elle ne cherche qu'à veiller à ton bonheur.

La grimace rebelle de Jules amusa son parrain. Ils avaient beau tous deux avoir une bouche similaire, le sourire chaleureux de Jérémy les rendait bien différentes.

— Et Bébé, pensa Jérémy, comment il va ?

— Maman a failli le faire pleurer, mais c'est passé. Il a été pénible cette semaine.

— Je t'ai demandé d'arrêter d'en vouloir à ta mère, le taquina-t-il.

Jules ne réagit pas, alors son parrain reprit la parole.

— Peu importe. J'ai peut-être une solution pour l'aider à le calmer.

— Comment ça ?

Cette phrase, Jules l'avait trop entendue pour y croire. Quelle étrangeté d'ailleurs, de la savoir prononcée par Jérémy. Ce dernier fouilla dans sa poche sans plus attendre. Sous l'attention du garçon, il attrapa une pierre d'un violet brillant. Jules scruta la chose, pas plus haute que son pouce. Déjà, il n'en espérait plus rien.

— C'est une améthyste, précisa Jérémy, une pierre connue pour soulager les maux de tête.

— Une pierre ; tu te moques de moi ? Je prends des médicaments tous les jours, j'ai essayé l'hypnose, de changer mon alimentation, mercredi encore j'étais chez une psy. J'ai même testé l'acupuncture, et rien ne fonctionne. Parrain, on m'a planté des aiguilles dans la peau, sans succès, et tu veux calmer Bébé avec une pierre !

— Jules... Je comprends que ça te semble ridicule, mais essayer ne coûte rien. A une réunion de musiciens, j'ai rencontré une femme avec qui j'ai discuté. J'ai fini par parler de toi et elle m'a informé avoir souffert du même mal que toi. C'est cette même pierre qui l'a aidée. Elle a eu la gentillesse de te l'offrir, maintenant qu'elle n'en a plus besoin.

— Elle est pas nette, je l'imagine des bijoux pleins les bras et une boule de cristal à la main.

— Pas du tout ! rit Jérémy. Peu importe, comme prévu, je te la donne. Fais-en ce que tu veux.

Il roula la pierre jusqu'aux mains de son filleul. Au contact de sa peau, Jules la trouva froide et dure. Une pierre, rien de plus. Sa couleur violette était cependant bien particulière ; à la fois sombre et lumineuse, elle semblait réfléchir mille éclats de lumière tout en l'aspirant.

— Et je dois en faire quoi de ton truc ?

— Seulement l'avoir toujours sur toi.

— C'est stupide...

Après toutes ces années à la recherche d'un quelconque remède, un caillou violet n'allait tout de même pas le guérir du jour au lendemain. Impossible ! Et son parrain non plus n'y croyait pas : le ton de ses paroles suffisait à le montrer.

— Bien, conclut Jérémy, je te laisse. Au fait, tu devrais aller voir ton papy, lui qui n'attendait que ça de montrer son magnifique abri à son petit-fils.

Jules le regarda partir, silencieux. Il scruta l'améthyste une dernière fois avant de la ranger au fond de sa poche, puis, se leva marcher au fond du jardin. Le petit abri en bois y était fièrement dressé, mais trop tard : son papy était déjà parti.

Avant de retrouver la famille dans le salon, Jules prit quelques instants pour contempler la cabane. À peine à l'intérieur que l'odeur d'engrais l'assaillit ; heureusement, Bébé n'y réagit pas. Le bois était clair et lisse au toucher. Dans l'étroit intérieur, sombre et déjà rempli d'outils de jardin, un cadre se tenait accroché : une photo d'un petit Jules souriant, dans les bras d'un vieil homme rieur, à la tête ronde et à la moustache blanche. Le portrait de son grand-père fit sourir l'adolescent. Gérard avait déposé son fameux chapeau de paille sur la tête du garçon, qui, bien trop petit pour le couvre-chef, avait les yeux cachés.

— Désolé papy, murmura Jules pour lui, il est super ton abri.

Les quelques instants s'allongèrent, si bien que le garçon ne savait combien de minutes s'étaient écoulées. Tout en triturant la mystérieuse pierre, le garçon s'assit, loin d'être décidé à rejoindre le salon.

Un bébé dans la têteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant