Préparer un festin, et maintenant apporter un bouquet : Jules n'aurait jamais cru un repas entre fratrie aussi théâtralisé. S'il avait à inviter un frère ou une sœur, il n'en ferait sûrement pas tout un fromage. Mais c'était peut-être car il n'en aurait jamais l'occasion que Jules ne comprenait jamais.
— Joyeux anniversaire ! souhaita la famille à la jeune femme.
Elle sourit et remercia tout le monde d'une voix chaleureuse, mais fatiguée. À côté de Jérémy, la sportive pourtant d'habitude pleine d'énergie se hâta de s'asseoir. En un mois, depuis la dernière fois que Jules l'avait vu, son ventre s'était bien arrondi. De sa main, elle le touchait, comme pour le protéger et le monter aux yeux de tous dans un même temps. Amélie, émerveillée, demanda des nouvelles du « trésor » que la jeune femme cachait maintenant depuis six mois.
À l'apéritif, à l'entrée, puis au plat : on en parla tout le repas. Une fois le poulet mariné servi, la curiosité d'Amélie n'était toujours pas rassasiée.
— Et alors, une idée de prénom ? demanda-t-elle.
Jérémy finit sa bouchée.
— On a choisi ! Je ne sais pas si je peux déjà l'annoncer, mais peut-être que vous tenez à le savoir maintenant.
— Bien sûr qu'on veut.
Après coup, Jules regretta quelque peu ses paroles. Mais entre les regards étonnés des parents et l'incompréhension de Diane, son parrain lui sourit.
— Alors tu es prêt à l'accueillir dans notre famille ?
— En tout cas, que je l'accepte ou non, elle est là. M'en plaindre n'y changera rien.
Jérémy se retint presque de rire. Si le ton de son filleul semblait un peu trop distant pour Amélie, il se réjouit tout de même de l'avancée du garçon. Ce dernier savait que son parrain le remerciait en silence, et il s'en montra gêné. Tandis que Jules se tortillait, maugréant qu'il aurait dû se taire, le futur père annonça :
— Elle s'appelle Juliette.
La famille s'exclama : quel beau prénom ! Magnifique ! Dans quelques mois, peut-être, chacun dévoilera son véritable avis. Jules, lui, aimait vraiment. Et Jérémy le savait.
Amélie partit chercher le fromage. Mimolette, tomme, maroilles ; elle revint encombrée d'un plateau rempli. Ce fut à ce moment-là qu'après un clin d'œil de Diane, soudain Jérémy annonça :
— Jules, on en a discuté avec Diane, et si tu es d'accord, on aimerait beaucoup que tu sois le parrain de Juliette.
Il avala de travers. Lui, parrain ? Mais c'était Jérémy le parrain ! Harry et Amélie manquèrent de sauter au plafond de fierté. Leur fils deviendrait parrain ! Sauf que le fils en question ne sut comment réagir.
— Vous êtes sûrs ? C'est que je ne m'occupe pas très bien de mon propre Bébé...
— Enfin, Jules, Juliette n'est pas dans ta tête ! Tu seras un très bon parrain, je le sais.
Jules ne fut pas capable de répondre autrement que par un rougissement ridicule. Le sujet ainsi clos, la famille parla ensuite de tout autre sujet. Puis le dessert arriva. Les cadeaux suivirent. Ils étaient plus destinés à Juliette qu'à celle dont la famille souhaitait l'anniversaire.
Enfin, les invités durent partir. Mais alors que Harry débarrassait la table et qu'Amélie discutait avec la future maman sur comment aider son bébé à faire ses nuits au bout de deux semaines, Jules profita du peu de temps qui lui restait pour rester seul avec son parrain.
Ce dernier se montra ravi de parler avec son filleul, si bien qu'il évoquait tout et rien. Le repas était excellent, comme toujours. Et au fait, tout se passait bien au lycée ? Jules répondait à chaque question d'un ton toujours plus bas ; il s'était décidé à lui annoncer une nouvelle importante, et Jérémy le présentait.
Le parrain se tut, attendant non sans crainte ce que l'adolescent souhaitait lui dire. Ce dernier ne le fit donc pas attendre plus longtemps :
— L'améthyste, la pierre que tu m'as offerte : je crois, qu'il est temps que je la confie à quelqu'un d'autre.
Jérémy ne répondit pas tout de suite. Il admira quelques instants la pierre que le garçon venait de sortir de sa poche. Devant l'entité violette, son visage s'apaisa ; sans doute pensait-il que son filleul annoncerait une nouvelle plus grave.
— Oui, bien sûr. Elle est à toi, après tout. Mais, dis-moi, Jules, est-ce que cette améthyste t'a aidé ?
Dans la tête du garçon virevolta un millier de souvenirs, certains douloureux, d'autres heureux, mais tous remplis de leçons inoubliables. Jules, enfin, offrit à Jérémy la même expression paisible que ce dernier.
— Oui, répondit-il, beaucoup.
— Tu m'en vois ravi. J'espère qu'elle servira à beaucoup d'autres après toi dans ce cas.
— D'ailleurs, j'aimerais te dire : cette pierre n'est pas comme les autres.
— Je me doute ! rit Jérémy
— Je veux dire : encore plus différent que tu ne peux l'imaginer.
Curieux, le parrain tendit l'oreille, se prépara à découvrir un secret dont il ignorait l'ampleur. Jules se rapprocha pour ne pas parler trop fort et ouvrit la bouche. Sauf que ce fut Diane qui parla :
— On rentre, chéri ?
Il opina du chef maladroitement, puis regarda Jules.
— Pas grave, dit-il, je t'expliquerais tout en détail un autre jour.
— J'ai hâte !
La famille Duval salua ainsi les deux amants, qui retournèrent à leur voiture main dans la main.
Le soir, le garçon se sentit satisfait, repu d'un bon repas et de bien-être.
— He bien, tu vois, ça c'est bien passé, se félicita Amé.
— Mouais, fit mine de bouder Jules.
Depuis qu'elle avait annoncé son départ, il ne pouvait lui parler sans y penser. Amé s'amusait à lui faire remarquer son tracas, mais jamais ne fut capable de cacher sa déception à elle aussi.
— Finalement, demanda-t-elle plus bas, tu as une idée d'une personne qui a besoin de mon aide ?
Il en avait une. En plus de comment se réconcilier avec ses parents, Jules avait longuement réfléchi à la question la nuit passée. Les yeux baissés, il répondit d'une voix faible :
— Oui. Je pense qu'elle pourrait avoir besoin de toi.
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Un bébé dans la tête
Teen FictionLycéen, bon élève, fils unique : Jules a tout d'un adolescent banal. Ou presque. Car Jules ne vit pas comme tout le monde : il a un bébé dans la tête. Un bébé qui, lorsqu'il pleure, lui donne des maux de crâne affreux, des nausées, des vertiges, et...