Chapitre 0

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— Tu es Jules, c'est bien ça ?

— Oui.

— Dis-moi, Jules, qu'est-ce qui t'amène ?

— J'ai un bébé dans la tête.

La psychologue cessa de griffonner sur sa feuille. Derrière ses lunettes carrées, elle scruta le garçon. Il fuit le regard, sans ironie ni étincelle dans les yeux. Étrange, mais il semblait sérieux. Un raclement de gorge, le stylo en main, et la femme reprit :

— Un bébé dans la tête, c'est-à-dire ?

— Un bébé, avec un petit corps et une grosse tête, expliqua Jules avec évidence. Plusieurs fois par semaine, il pleure à m'en faire mal aux tempes, mais je ne sais pas comment l'arrêter.

— D'accord... Et tu souhaites que je t'aide à le calmer ?

— Voilà. Enfin, c'est surtout ma mère qui l'a décidé. Moi, je ne comprends pas comment parler aiderait Bébé à se taire.

Dans la salle, chargée de plantes et de babioles, résonnait le frottement du stylo sur la feuille. Impossible pour Jules de déchiffrer quoi que ce soit entre les lignes remplies d'abrégés. Tapotant ses baskets contre le sol, il espérait seulement que la psychologue ne le prenne pas pour un fou.

Peut-être pas à ce point, mais sous ses lunettes devenues opaques par les reflets, la vieille femme ne le trouvait effectivement pas commun. Il lui donnait du fil à retordre à en avoir mal au crâne. Et si elle aussi avait un bébé qui lui tapait contre sa tête ?

— Bien... souffla-t-elle enfin. Qu'est-ce qui fait tant pleurer ce bébé ?

— Je ne sais pas... Quand je dors trop ou pas assez, quand j'entends trop de bruit, quand je mange des agrumes aussi.

— Rien d'autre ?

— Rien d'important.

À nouveau, le silence. Un souffle, un bruissement de stylo, rien de plus. Lorsque la vieille femme eut fini de se masser la tempe, elle leva les yeux vers Jules. Lui ne savait pas où porter le regard. Il fouillait la pièce des yeux, avant de se décider à fixer la fenêtre. Il faisait beau dehors.

— Comment ça se passe à la maison ?

— ... Bien.

— Vraiment ? Tu as hésité.

— Vraiment.

— Tu as des frères et sœurs ?

— Non.

— Un animal ?

— Non.

Vainement, la psychologue supplia sa montre. A bien y réfléchir, congédier un patient plus tôt ne paraît pas si grave... Mais peut-être n'était-il pas encore trop tard pour faire parler le garçon. Pour les deux, l'attente se faisait toujours plus longue entre chaque question.

— Tu es au lycée, je suppose. En quelle classe ?

— En première.

— Tout se passe bien ?

— Oui.

La psychologue ne sut quoi ajouter. Elle se gratta la tête comme pour y déceler une énième question à poser. Face à l'adolescent qui ne daignait toujours pas la regarder, elle soupira :

— Tu n'as rien à me dire ?

— Non.

Le stylo n'écrivit plus. Sur la table, à gauche d'un panier de poupées, il s'allongea. Au vu de son teint terne, la psychologue aimerait faire de même.

— Dans ce cas, je te propose de revenir me voir seulement lorsque tu décideras de parler. Au revoir, Jules.

Un bébé dans la têteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant